Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


lundi 26 juin 2017

Le chemin des contrebandiers (Tombe, Victor ! Livre 2) Extrait 9

Résumé de l'épisode précédent :
Marco Alena est, de loin, le plus beau garçon du lycée, le chouchou des minettes, de ceux qu'on n'ose aborder sans craindre une cruelle déconvenue. C'est pourtant lui qui a approché Paul, qui ne cache pas ce qu'il est, et accepté sans la moindre hésitation l'invitation du pianiste à aller l'écouter chez lui, ce samedi-là. Après démonstration des talents du musicien, Marc, comme étourdi, a enjoint son nouvel ami de le "faire jouir".

"Fais moi jouir, Soubeyrand !" (extrait 8)
Elles sont à moi ces lèvres qu’on dépeindrait purpurines dans un roman de gare, il est à moi ce souffle chaud qui s’en échappe, à moi le velouté de la peau qui s’assombrit, déjà, sous les premiers soleils, à moi les pleins et les déliés de ce corps impatient de la délicieuse commotion finale, à moi le pelage de soie sur les jambes en colonnes du temple, à moi les fesses rondes et leurs tressaillements sous mes doigts, à moi le totem fiché au centre du chef d’œuvre !
D’où vient, pourtant, que je n’exulte pas comme je le devrais, que ma victoire sur le chéri des lycéennes me laisse un goût amer, inaccomplie ?
Je sais. Malgré mon âge et mon inexpérience, il est en moi quelque chose, un sixième sens qui m’alerte : l’ange blond me rend caresse pour caresse, ses gestes ne sont empreints de nulle gaucherie, point de tâtonnements de novice semblables aux malhabiles tendresses partagées avec Victor lors de mon inoubliable première fois au pied d’un arbre complice, l’été de mes quinze ans.
Je sais : je ne suis pas le premier.
«Faudra peut-être que j’essaie, un de ces quatre ! » avait-il dit.
Marco Alena est un menteur. Seule la perspective d’une enquête, d’un jeu pour découvrir qui l’a initié, a pour effet de me ragaillardir, d’atténuer mon ressentiment. Il était venu pour ça, il jouit. Je le rejoins aussitôt, délivré. Je ne peux réprimer un rictus de dépit, qu’il intercepte :
« Eh, l’pianiste, t’en fais une tête quand tu jouis, toi ! »
C’est la première fois que je fais l’amour en n’aimant pas.
Je presse Alena de s’en aller, prétextant ma crainte d’un retour inopiné de ma mère, je vais chercher un gant de toilette humide que je lui tends quand, autrefois, je me délectais d’effacer, sur Angelo, les traces de nos épanchements. Le beau Marco se rhabille, à peine un regard, un serrement de main, sa morgue, « ciao, on se perd pas de vue, hein ? ». 
Porte, ascenseur, porte, chambre ; je pleure. 
(À suivre)
(c) Louis Arjaillès - Gay Cultes 2017

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11 commentaires:

Anonyme a dit…

J'attendais avec patience et ne suis pas déçue.
La joie indéfinissable de la lecture est au rendez-vous.
Marie

Silvano a dit…

Marie, j'étais débordé, vous le saviez, et vous vous avez patienté. Je vous remercie.

Bive a dit…

Pour ce qui est de la photo, c'est l'abandon total... Merci Silvano !

Alex H a dit…

Enfin !
C'est passionnant de suivre l'évolution de Paul au fil des mois, y compris dans sa manière de raconter sa vie. J'aime !

Celeos a dit…

Le goût amer des amours vaines...

MATEIVA a dit…

Je lis quelque uns des extraits, mais je me retiens car j'attendrai avec patience et impatience la version complète et finale du tome 2 :-)
Un grand merci en tout cas de ce partage.
J'adore toujours autant votre plume qui m'emporte à chaque mot.

Hersaint a dit…

J adore votre vocabulaire qui oblige l humble lecteur que je suis
à imaginer à douter de l interprétation...pour un peu ,vous me ferai
m estimer davantage...quelle intelligente complicité!

Hersaint a dit…

Délicieux et pudique érotisme!!

ludovic a dit…

Toujours fin et pertinent dans l'observation, précis et élégant dans la narration, encore une centaine de livraisons hebdomadaires de même qualité et on tient le chef d’œuvre. On vous suit Silvano avec admiration et détermination.

Silvano a dit…

Vous ne pouvez savoir à quel point vos commentaires me stimulent, et m'obligent, aussi, à progresser de jour en jour. La trame est tendue, mais les idées se télescopent, pléthoriques ; au point, parfois, de me désorienter. C'est la raison pour laquelle je prends parfois de longues pauses pour les mettre en ordre. Merci à vous.

joseph a dit…

Deux phrases lesquelles, et tant de sentiments exprimés et cachés : celle qui parle de première fois sans amour et la finale qui pleure!