J'avais repéré la veille, dans le centre de Turin, des petits groupes de jeunes gens revêtus d'un t shirt orange marqué "Bahia" qui aurait pu donner à penser qu'il s'agissait de supporteurs d'une équipe de football et beaucoup moins à des membres d'un orchestre symphonique.
C'était pourtant le cas : dans l'esprit du "Sistema" qui prit son origine au Vénézuela en des temps moins troublés, le Neojiba Orchestra est composé de musiciens (l'aîné a tout juste trente ans) issus des milieux les plus défavorisés de cette région du Brésil, qui ont l'occasion, actuellement de tourner en Europe et, notamment, ici, dans le cadre du MITO (
Milano-
Torino), ce festival dédié principalement à la musique dite classique, chaque mois de septembre dans ces deux villes du nord de l'Italie : concerts dans de vastes salles à prix plus qu'abordables, mais aussi pléthore de représentations gratuites dans les églises et autres lieux de cultes des deux cités, ainsi que dans leurs conservatoires, font le bonheur d'avoir franchi les Alpes !
Le Neojiba Orchestra (orchestre des jeunes de l'état de Bahia), donc, se produisait le mercredi 5 septembre dans le magnifique Teatro Regio de Turin, haut-lieu s'il en est de la diffusion de l'art lyrique dans l'ex-éphémère capitale de l'Italie.
Concert mémorable s'il en fut, et pas dans le sens auquel je m'attendais : certes, la grande Martha (ou petite Martita pour certains en mode affectueux) Argerich en tête d'affiche était suffisamment attractive pour que la très grande salle du Regio affiche complet, et même, sans doute, nécessaire pour cela. Mais la grande pianiste, dans le célèbre
Concerto en la mineur de Schumann, joué sans la moindre bavure, au cordeau, ne fit à aucun moment passer la moindre émotion, faisant - remarquablement, certes ! - "le job", comme on dit trivialement, soucieuse, peut-être, aussi, de ne pas donner de sueurs aux jeunes musiciens, lesquels semblaient suffisamment stressés de jouer avec pareille concertiste de classe internationale !
Orchestre un peu à la peine, donc, auquel l'on eût aimé que la grande pianiste apporte un peu plus de soutien complice, de mon point de vue.
Car ses jeunes en ont sous l'archet et ailleurs, comme ils le prouvèrent après l'entracte, libérés de la présence de la "statue de la commanderesse", enfin "chez eux" sur l'immense scène où ils donnèrent toute la mesure de leur enthousiasme et de leur énergie communicative.
Ce n'est pas à des gosses des favelas qu'on apprendra à faire claquer les percussions, à bouger en rythme sur leur chaise, à faire virevolter en rythme violoncelles et contrebasses, bref à enflammer un lieu vénérable et à toucher au cœur un public transalpin exigeant mais généreux en réciprocité !
Ouverture de
West side story en hommage à Bernstein,
Ouverture cubaine de Gershwin,
Danzon de Marquez, création en Italie de
Sonhos percutidos de Wellington Gomes et, en bis, un
Brazil et un
Tico-Tico offerts par ces gamins apparemment stupéfaits de l'ovation qui saluait chaque œuvre jouée !
J'étais venu à Turin pour entendre Martha Argerich : j'avais, en sortant du Regio, presque oublié la première partie.