vendredi 1 octobre 2010

A Single Man : la douleur de vivre

Je sais maintenant pourquoi j'avais tant traîné lorsque le film était sorti sur les écrans; au point de le laisser filer jusqu'à son édition en DVD.
L'adaptation littéraire au cinéma est un exercice périlleux s'il en est, les exemples de réussites en ce domaine étant rarissimes et dus, le plus souvent, à des cinéastes aguerris.
Il se trouve, de plus, que cet "Homme au singulier" n'a guère quitté la table de chevet depuis des années, repris souvent, tant aimé.
Le film de Tom Ford - qui est bien loin d'être John - ne peut donc que décevoir le lecteur que le court roman autobiographique de Christopher Isherwood a passionné.
Certes, on saluera le passage au 7ème art du talentueux créateur, qui met en scène mieux que beaucoup d'artisans chevronnés; l'homme a bon goût (un peu trop parfois ?), on s'en doutait, et installe ses personnages dans un univers classieux à souhait, les vêtant de costumes... "fordiens" fort bien coupés, ce qui est bien le moins...
Pourquoi faut-il donc que cet objet filmique très identifié ne laisse jamais passer la moindre émotion, le réalisateur reculant, sans doute par crainte du pathos, devant la traduction à l'écran du sentiment amoureux ?
Il pourra sembler facile d'évoquer les pages sur papier glacé des magazines de mode : les filles et les garçons y sont beaux mais volatiles, désincarnés, absents.
Juliane Moore est, certes, la plus belle, la plus merveilleuse, la plus talentueuse actrice qui soit; las, on ne retrouve pas ici l'émotion (encore ? eh oui !) qu'elle nous transmettait dans le beau "Loin du paradis" de Todd Haynes (chroniqué quelque part dans ces pages).
La promotion du film s'est beaucoup appuyée sur la performance de Colin Firth présentée comme exceptionnelle; on en est déçu bien sûr, d'autant que l'acteur est excellent, comme souvent, mais ne justifie pas que l'on se pâme sur son jeu.
Qui s'étonnera qu'on ait un faible pour le jeune Nicholas Hoult dont ce sont les premiers pas au cinéma ?
Réussissant l'exploit de rester adorable malgré le pull en poils de chat dont Ford, mal inspiré sur ce coup, l'a affublé, l'ancien briseur de coeurs de la série Skins ne nous cache rien d'une anatomie fort agréable mais ne nous fera pas dire qu'un grand acteur est né.

Le fond de l'histoire est mince qui faisait paradoxalement tout l'intérêt de l'oeuvre initiale : la perte douloureuse de l'être aimé rend la vie du principal protagoniste impossible à assumer; le désespoir est ici d'un gentleman qui ne craque qu'exceptionnellement, choisissant plutôt de disparaître avec une dignité toute "british", y renonçant avant un ultime rebondissement.
Tom Ford s'acquitte finalement avec savoir-faire de la tâche qu'il s'est assignée.
Un doute subsiste néanmoins : fallait-il le faire ?

  Nicholas et son pull angora

"A single man", DVD et Blu-ray - Warner Home Vidéo.

4 commentaires:

  1. J'ai lu le livre après avoir vu le film. Alors si on souhaite comparer, le film paraît trop esthétique et "sans âme". Pourtant, le film est pour moi inoubliable. C'est juste autre chose...

    RépondreSupprimer
  2. Réponse: oui le film méritait d'être fait.

    Je ne suis pas du tout d'accord avec vous car je trouve le film autrement plus réussi que le livre, ce qui ne m'arrive pourtant jamais.

    Les personnages et l'atmosphère du livre de Isherwood sont durs, cassants, austères, cyniques, en un mot froids. Ce livre ne m'a procuré aucune émotion, aucun attachement même si je l'ai presque dévoré.

    Tom Ford arrondit peut-être les angles, simplifiant un peu les personnages. Mais il le fait en magnifiant le tout. A cet égard, la bonne amie campée par Julianne Moore est transcendée, incandescente. Aigrie, nostalgique mais pas terne comme dans le roman.

    Le personnage campé par Colin Firth, que je ne connaissais pas auparavant, gagne aussi, j'ose le dire, en crédibilité dans le film. Les traits et les névroses dont l'affuble Isherwood dans le livre le rend pour le moins caricatural et on a bien du mal à s'y identifier.

    Le film en dresse un portrait simple, certes très élégant et maitrisé, d'un homme de tous les jours, qui en dépit de son homosexualité, a seulement perdu l'être qu'il aimait. C'est sans fioritures et sans états d'âme extravagants.

    Pour le reste, j'admire les effets de la photographie du film, je reste pantois devant la classe incroyable qui se dégage de chaque plan, de chaque décor, de chaque costume. C'est aussi pour ce genre de sensations que j'aime le cinéma.

    Le roman est gris, monochrome, dur. Le film atténue ces travers mais je trouve qu'il en restitue une certaine part, de façon magistrale.

    Que d'ambiances dans le film! A la lecture du livre, jamais je n'aurais pu croire que quelqu'un était capable de les restituer d'une part et de les restituer de façon tellement plus intéressante et sublimée.

    Je ne me lasse pas du film alors que je ne relirai jamais le livre, c'est certain.

    RépondreSupprimer
  3. @kynseker :voilà de bons arguments en tout cas, même si nous ne sommes pas d'accord.
    Mon histoire avec le livre est sans doute trop intime pour que mon jugement soit clairvoyant...
    Si j'avais le temps, je développerais plus.
    J'y reviendrai donc.
    Même si je dois le revoir pour ça : une projection avec des amis étant programmée, qui sait...

    RépondreSupprimer
  4. Kynseker, tu m'ôtes les mots de la bouche...même si j'ai quand même apprécié le livre.

    RépondreSupprimer

Bonjour. Ce blog rédigé bénévolement ne fait pas partie de ces réseaux "sociaux" où, sous couvert d'anonymat, on vient déverser ses petites ou grosses haines. Les commentaires "ronchons" ou égrillards ne sont pas publiés, de même que ceux dont le pseudo contient un lien menant vers un blog ou site pornographique. Signez d'un pseudo si vous voulez, sans en changer, de façon à ce que nous puissions sympathiser, merci !