samedi 6 octobre 2012

Deux romans d'importance



Efficace autant que discret, attentif et mesuré, empathique mais retenu, le "garçon parfait" est toujours prévenant avec les voyageurs, sait d'expérience entamer une conversation mais aussi y mettre fin, développant "un juste instinct des désirs du client". Ernest en est l'exemple : une ombre furtive et une présence rassurante. Il travaille dans un palace suisse, à Giessbach, où descend la bonne société internationale d'avant-guerre. Sans son métier comme chez lui, rien ne semble en désordre. Cette ligne de vie est juste écornée, parfois, le temps d'une étreinte derrière un buisson. L'arrivée de Jacob, apprenti serveur, va bouleverser la vie d'Ernest. Jacob est lui aussi un "garçon parfait". Ernest va le former, vivre avec lui une liaison passionnelle. Mais un jour Jacob le quitte, part aux Etats-Unis... trente ans plus tard, en 1966, Ernest reçoit un courrier de Jacob qui rouvre la plaie : la soumission au désir, la violence et la mélancolie.
(Babel chez Actes Sud)


Prix Prix Médicis étranger en 2008, le roman passionnant d'Alain Claude Sulzer nous plonge dans l'Europe des années trente, dans un havre de paix où commencent à parvenir, feutrés encore, les échos de la montée en puissance du terrible régime qui s'impose dans l'Allemagne voisine.
Rien ne doit venir déranger la sérénité ambiante, et, pour Ernest, personnage principal, le déroulement d'une vie sans histoire au service des riches clients de l'hôtel de luxe où il exerce "parfaitement" son métier.
L'arrivée de Jacob, jeune allemand resplendissant, puis son départ à jamais, vont donc chambouler le bel ordonnancement de son existence.
En 1966, le courrier de Jacob va rouvrir une plaie jamais vraiment refermée, et, par là, nous mettre dans le contexte des années soixante où, avant le chambardement à venir, celui de la révolte d'une jeunesse aspirant à plus de liberté, l'homophobie rode, qu'Ernest aura à subir.
C'est un roman magnifique, poignant, excitant parfois, bien que la pudeur retienne -heureusement- l'auteur de céder aux poncifs du genre.
On s'attache à Ernest, ce garçon parfait, pas lisse pour autant, et l'on suit son voyage dans la vie comme on le ferait d'un ami trop discret, rangé dans un petit coin de notre mémoire.
Jacob, l'ami magnifique, ne connaîtra pas un destin comparable, jeune loup aux dents trop acérées, cédant aux sirènes de la vie facile, en subissant fatalement le contrecoup, piégé, là-bas, dans l'Amérique accueillante et impitoyable à la fois, comme si la vie avait décidé de venger l'affront fait à l'amour, lui aussi parfait, souillé irrémédiablement, qui l'unissait au doux Ernest.
Oui, roman magnifique, écrit dans un style remarquable, très bien traduit (les quelques fautes de français n'en étant que plus repérables, avis à l'éditeur !), "Un garçon parfait" est de ceux qui laissent leur trace, pour longtemps.



L'inconnu d'Aix est le premier roman, paru en 2008, de l'écrivain genevois Alexandre Glikine qui nous emmène avec lui, dans un fort beau style, dans son voyage à travers le temps dans les cités européennes sur les traces de Jean-Baptiste Miroglio, compositeur italien baroque, dont il a découvert une oeuvre qui lui révèle l'association couleurs-sons inhérente à toute composition musicale pour peu que l'on sache la déceler.
L'auteur est de toute évidence musicien, la musique faisant battre le coeur de son bel ouvrage, présente à chaque chapitre, à chaque page de ce voyage onirique et... baroque.
Il faut, certes, en posséder quelques codes pour appréhender comme il se doit cette mise en abyme, cette folie douce qui s'empare du narrateur, où, finalement, les amours masculines n'ont, à mon sens, qu'une importance secondaire, presque banalisées, tant la Musique majuscule baigne l'atmosphère de l'ouvrage.
La personnalité du narrateur se dédouble au fil du récit, le transportant à travers le temps en claveciniste du 18ème siècle, amoureux du superbe chevalier qui l'accueille dans sa demeure et dans sa vie.
En fin de compte, dans sa recherche éperdue, le narrateur n'est-il pas en quête de lui-même ?
Beau voyage au coeur de soi, empreint d'un mysticisme musical extra-ordinaire, "L'inconnu d'Aix" gagne amplement à être connu.
(Editions de la Différence)

Nota : tiens donc, deux auteurs suisses !



6 commentaires:

  1. Je vais certainement lire « Un garçon parfait », car vous m’en avez donné envie, Silvano. Ça n’a peut-être aucun rapport, mais d’instinct, j’ai songé à « La montagne magique » (Thomas Mann) et à « L’ami retrouvé » (Fred Uhlman). En tout cas, votre présentation est très attirante, à mon goût.

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  2. Silvano | Gay Cultes6 octobre 2012 à 09:35

    Oui, Pierre, vous songeâtes pertinemment : il y a de ça, en effet.

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  3. Je commande le premier. L'autre, j'ai peur de me perdre. Pas assez cultivé, je crois.

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  4. Cher Stan, il n’y a pas besoin d’être "cultivé" pour lire ! sans compter que la culture me semble être d’abord quelque chose très personnel, tout en ayant l’avantage de pouvoir se partager. C’est surtout une question de sensibilité, et celle de chaque individu est unique et différente, à commencer par l’auteur. Personne (d’autre que lui) ne lira le livre qu’il a écrit, ni celui que Silvano a lu – ni celui que vous lirez peut-être... car ce livre vous appartiendra dès l’instant où vous y jetterez un œil. Il vous appartiendra également de lui rendre sa liberté à tout moment si ça ne marche pas entre vous. Chacun a sa part, entre l’œuvre et le lecteur (ou spectateur). Ce n’est pas un devoir scolaire ! mais une simple promenade dans un jardin aux parterres de mots, dont vous garderez peut-être de belles images : les vôtres.

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  5. Silvano | Gay Cultes rédac.chef7 octobre 2012 à 18:53

    @Pierre : vous parlez d'or.

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  6. en lisant ce billet j'ai tout de suite eu envie de lire un garçon parfait!c'est chose faite,je vais le lire...ce blog est une pépite

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