Une image neuve, moderne, de la masculinité
Revoyant il y a peu le magnifique "Fleuve sauvage" (Wild River) d'Elia Kazan, film écologiste prophétique, je pensais à la carrière sans erreur du beau "Monty", à son visage tourmenté, à ses choix exigeants, se confiant à Hitchcock pour le rôle de prêtre en proie au dilemme de "La loi du silence" (I confess) et, bien sûr, au personnage qu'il incarne dans "Soudain l'été dernier" (Suddenly last summer)où l'on voit un garçon "différent" lapidé par une bande de jeunes barbares qu'on dirait aujourd'hui "homophobes".
Il n'y a aucun doute sur l'homosexualité de Clift, discrète (Hollywood n'en aurait pas pardonné l'étalage) et sans doute mal vécue dans l'Amérique puritaine des années 40/60.
Une amitié exacerbée mais évidemment platonique vit le jour avec Liz Taylor dont on comprend mieux les engagements par la suite.
Terrassé à 46 ans, le génial acteur des "Désaxés" (The misfits) de John Huston, film maudit en casting-hécatombe (Gable, Marylin et Monty partirent pour l'au-delà dans les mois qui suivirent), Clift a donné à l'écran une image neuve, moderne, de la masculinité (nous n'oserons pas écrire "virilité"), en opposition aux canons de l'époque, en homme fragile, en proie au doute, revendiquant de fait sa part de féminité, suscitant l'admiration de James Dean qui n'hésita pas, certain jour, à signer "Jimmy Clift Dean" !
De sa trop courte carrière on retiendra, hors les 3 films précédemment cités, l'énorme succès commercial que fut "Tant qu'il y aura des hommes" (!) (From here to eternity), "Une place au soleil" (A place in the sun) avec l'inoubliable musique de Waxman et, bien sûr, "La rivière rouge" (Red River) de Hawks où la confrontation Clift/J.Wayne est révélatrice de deux "manières" d'être un homme.
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Filmographie : ici
Lire :
"Montgomery Clift – Portrait d’un rebelle, de Patricia Bosworth – Mercure de France
et "Monty - la vie déchirée de Montgomery Clift" de Robert La Guardia (Editions France Empire) (Merci au lecteur qui nous a recommandé cet ouvrage)
Je ne suis pas sûr qu’on puisse parler d’homophobie pour le chef-d’œuvre : « Soudain l’été dernier ». Ce qui y est montré est à mes yeux plus complexe – la psychanalyse y est omniprésente – et de portée plus générale. Le personnage de Monty incarne bien une sorte de monstre, mais dans une représentation avec des jeux de miroirs éblouissants. Son incontestable beauté (d’aucuns y verront celle du diable), son élégance (naturelle et étrange), son aisance décalée, trouble tout le monde, y compris bien sûr les jeunes fauves qui finiront par exorciser une part de leur désir – au moins de lui ressembler, en quelque sorte – dans un rituel expiatoire d’une barbarie sauvage : il n’est pas lapidé, mais littéralement dévoré ! ce qui est un symbole invraisemblablement puissant, à la hauteur des grands mythes antiques - comme une sorte de Minotaure renversé. C’est aussi le vilain petit canard, et le montrer jeune, beau, riche et sophistiqué est juste une manière très habile et subtile. C’est d’abord une pièce de Tennessee Williams, et l’on était en plein maccarthysme : il aurait pu être communiste ou noir plutôt qu’homosexuel, cela n’aurait pas fondamentalement changé la morale de l’histoire. Ce qui est mis en lumière, c’est la monstruosité de toute différence par rapport à la pression de la norme majoritaire. Ce qui reste universel et très actuel.
RépondreSupprimerMerci Pierre pour ce commentaire fort bien argumenté qui m'incite à revoir ce film avec un regard différent, et, sans doute, à commettre un nouveau billet.
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