"Ils voient des gays partout !"
D'ordinaire, certaines rumeurs sur la sexualité des célébrités me laissent circonspect. Même si ça flatte notre ego collectif (quoi ?), je préfère vérifier cent fois que d'affirmer tout de go que tel ou tel "en est". Si la personnalité n'a pas fait sa "sortie du placard" (coming out, pour les millions de français anglophones !), la prudence s'impose. Je pense, par exemple, à ce jeune espoir de la droite, connu pour ses positions contre le mariage pour tous, récemment "outé" sur le plateau d'une émission de télévision : le (joli) garçon s'est empêtré, certes, dans sa (non) réponse aux insinuations d'un brillant animateur (qui ne s'en cache plus, lui !) et de leur hôte (qui ne s'est jamais caché d'en avoir "tâté"). Mais la pression télévisuelle, l'ambiance, les projecteurs, ont peut être contribué au désarroi de ce partisan d'une droite "forte". Si les assertions des deux complices sont exactes, on ne pourra que ricaner de l'hypocrisie qui sévit dans certains milieux conservateurs. Je me souviens qu'en d'autres temps, Daniel, un ami, et moi, affirmions à des hétéros suffoqués que Lino Ventura et Jean Gabin étaient amants. Le plus drôle est qu'il en fut pour nous croire ! Avec Internet et les réseaux (a)sociaux, la rumeur se propage à la vitesse de la lumière. D'où mes extrêmes précautions.
Alors, Ravel ?
Au début du siècle précédent, la musique française connaissait une Renaissance -la majuscule s'impose ici- après une très long stage dans les limbes de l'histoire. Depuis la fin de la période baroque, presque rien ! Bon, allez, Berlioz, si vous voulez (je ne l'aime pas), et Chopin n'était qu'un tout petit peu français, et éminemment polonais. Puis, miracle, c'est l'éclosion : César Franck, Gabriel Fauré, Camille Saint-Saëns, Francis Poulenc, Erik Satie, et, surtout, Debussy et Ravel !
On sait l'homosexualité avérée de Poulenc.
Pour Maurice Ravel, que je vénère entre tous, subsiste un mystère, car les informations sont contradictoires. Celles que donna Emile Vuillermoz, son condisciple dans la classe de Fauré au Conservatoire de Paris, vont à contrecourant de celles qui nous dépeignent Ravel en être indifférent aux choses du sexe, tout en appréciant les dames.
Emile Vuillermoz (1878-1960) ne craint pas, donc, d'écrire ceci :
" L'indifférent est un véritable tour de force de grâce et de délicatesse. Le poème est charmant mais la musique en a décuplé la force de rayonnement. Ici, Ravel trouve le moyen d'évoluer dans une sorte d'équivoque d'une rare saveur. Nous ne savons pas de qui émane l'appel que dédaigne ce jeune étranger dont les yeux sont "doux comme ceux d'une fille" et qui passe son chemin, " la hanche légèrement ployée par sa démarche féminine et lasse". Cet éphèbe repousse-t-il l'invitation d'une courtisane ou celle d'un philosophe grec?
Quand on connaît ce qu'on a appelé l'énigme sexuelle de Ravel, qui fut, lui aussi, un "indifférent", on demeure troublé par tout le délicat mystère qui flotte autour de ce petit texte, rempli de si étranges résonances, et l'on s'aperçoit que cette page est une des zones les mieux protégées de sa sensibilité. Il abandonne sa pudeur coutumière pour se livrer à une sorte d'effusion lyrique, discrète, mais pénétrante, qui constitue dans toute son œuvre un aveu exceptionnel. "
En 2004, dans "Ravel, portraits basques" (Atlantica éd.), Etienne Rousseau Plotto écrit :
"Ravel avait peur de l'insomnie et retardait toujours le moment de rentrer. Il adorait marcher la nuit dans les rues de Paris."
Que cherchait-il dans ses déambulations nocturnes? Il rencontrait beaucoup d'amis dans les cabarets et restaurants à la mode[...] . Mais il cherchait peut-être aussi ces rencontres furtives dont parle beaucoup Julien Green (pour lui-même) dans ses mémoires. Pourtant, si l'homosexualité de Ravel ne fait guère de doute, n'en déplaise aux biographes trop réservés (et Marguerite Long préfère lui attribuer la rencontre de Vénus de carrefour") il la refoula sans doute toute sa vie.
Que cherchait-il dans ses déambulations nocturnes? Il rencontrait beaucoup d'amis dans les cabarets et restaurants à la mode[...] . Mais il cherchait peut-être aussi ces rencontres furtives dont parle beaucoup Julien Green (pour lui-même) dans ses mémoires. Pourtant, si l'homosexualité de Ravel ne fait guère de doute, n'en déplaise aux biographes trop réservés (et Marguerite Long préfère lui attribuer la rencontre de Vénus de carrefour") il la refoula sans doute toute sa vie.
Ci-après, un extrait du beau roman "Ravel", de Jean Echenoz (Minuit) qui ne quitte pas ma table de chevet :
" Il pourrait peut-être essayer de dormir avec quelqu'un, quand même. Le sommeil est parfois plus facile quand on est moins seul dans un lit. Il pourrait toujours tenter le coup. Mais non, rien à faire. On ne sache pas qu'il ait amoureusement aimé, homme ou femme, quiconque."
Pour finir, je cite D., un ami, qui ne craint pas, l'autre jour, de me dire, sur réseau social : "faut être homo pour avoir le talent d'écrire ça" ("ça", ci-dessous). Jolie boutade !
Samson François (piano)
André Cluytens (direction)
Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire (je n'ai pas choisi les images...) :
Lino et Gabin... voilà qui est très drôle ! Ce qui l’est moins, ce sont vos prises de positions musicales. Certes, vous êtes chez vous, mais votre maison est ouverte… et j’en profite.
RépondreSupprimerPrimo, si vous placez une Renaissance de la musique française début XXème, Saint-Saëns, Franck et Fauré n’en font pas partie car ils sont bien des musiciens du XIXème (même morts au XXème). Ensuite, Chopin n’était pas « un tout petit peu français »... Il était bien entendu de mère polonaise mais tout de même de père français et donc de nationalité. Du reste, le pays qu’il a choisi, c’est la France – où il passa toute sa vie adulte (sans plus jamais séjourner en Pologne). Je précise que ces questions de nationalités ne m’importent guère (qui plus est pour un artiste), mais c’est vous qui mettez l’accent dessus. En passant, on lui prête aussi certaines "amitiés particulières", et même une passion de jeunesse pour un ami... George Sand n’a jamais fait mystère non plus du manque patent de virilité de son "amant" : « Il y a sept ans que je vis avec Chopette (sic) comme avec une vierge. »
Quant à Berlioz, vous avez parfaitement le droit de dédaigner cet immense musicien, tandis qu’il fut admiré (et l’est toujours), voire adulé, dans toute l’Europe (plus qu’en France même), notamment par tous les plus grands compositeurs. En portée artistique et novatrice, sa magnifique « Symphonie fantastique » est l’équivalent au XIXème du « Sacre du printemps ». Sans compter son remarquable traité d’orchestration ou ses écrits piquants et avisés. Je recommande à tous (ceux que la musique intéresse) de lire : « Les soirées de l’orchestre ».
Nous avons aussi Bizet ! Là encore, on peut ne pas aimer, mais il est un fait que « Carmen » est l’opéra le plus joué au monde... Et là encore, tous ses plus éminents collègues ont salué son magnifique talent. Et nous avons encore Offenbach ! (que j’adore) lui aussi mondialement admiré. Il est évidemment éminemment français et son œuvre encore plus ! Quel bonheur ce fut d’en voir (des opéras) montés par Jérôme Savary ou interprétés par la savoureuse Felicity Lott... Ça se trouve en DVD. Il y a encore Gounod (« Faust » !) et Massenet (je ne peux pas écouter « Werther » sans pleurer).
Bref, concernant la musique française, dans le vide que vous supposez, il y a bien des figures… si ce n’est des pointures ! On ne se fâchera pas pour ça (j’espère – même si je suis prêt à aller jusqu’au duel pour Berlioz ou Offenbach !) mais il fallait que cela fût dit.
Quelle volée de bois vert pour sanctionner ma prise de position (un peu hâtive, je le concède, mais j'écris par monts et par vaux actuellement, et ici, j'aurais dû m'expliquer mieux, c'est vrai).
RépondreSupprimer1) Vous chipotez sur les dates : les 3 compositeurs que vous citez sont, pour moi, très "vingtième" ; sans doute parce qu'ils sont des précurseurs de la nouvelle musique française, votre cher Berlioz représentant pour moi (et ça n'engage que moi) la fin du romantisme en France. Vous direz, vous, si je vous lis bien, son "apogée", n'est-ce- pas ? Je dis "romantisme en France" et non "romantisme français" puisque, excepté l'auteur du Carnaval Romain, il n'y eut pas de compositeurs intéressants bleu-blanc-rouges. Les "grands" sont tous des expatriés (voyez aussi ce cher Schumann) : je me suis peut-être mal exprimé à propos de Chopin. Je trouve sa musique éminemment polonaise, nimbée, il est vrai, d'élégance française, et, merci, je connais par cœur, je vous assure, sa biographie. Concernant, au passage (comme vous) sa sexualité, vous faites référence à son amitié avec Titus qu'Alexandre Tharaud a pointée du doigt à maintes reprises. Là, je vous ramène à ce que j'écrivais en tête de billet.
Oui, il y a maints oublis dans ma liste non exhaustive : Massenet, bien sûr, dont j'écoute actuellement le Werther dit "de référence" avec Georges Thill et Ninon Vallin. Je joins mes larmes aux vôtres, ici. Oui pour Bizet également, dont j'aime énormément les "Pêcheurs de perles", "L'Arlésienne", mais aussi, moins connues, les pièces pour piano à 4 mains. Et vous avez raison de citer aussi Gounod, pour "Faust", pièce maîtresse.
Berlioz, je ne le comprends peut-être pas, quand j'écoutai, à 12 ans, sa fameuse "Fantastique" à longueur de journée. Offenbach, et bien non, ce n'est pas "mon truc" : je ne dédaigne pas, sans pour autant l'écouter à la maison. Mais je ne suis pas contre une représentation à l'Opéra Comique si l'occasion se présente : c'est du vrai et bon spectacle.
On peut enterrer la hache de guerre. Merci pour votre réactivité : c'est un vrai "plus" pour ce blog.
Cher Silvano, il ne faut JAMAIS prendre mon ton (tirant parfois sur le vif) pour de l’agressivité, mais juste le reflet d’un tempérament porté au lyrisme, pour le plaisir de l’emphase. C’est un peu comme à l’opéra ! que j’aime autant que le débat... surtout sur des thèmes artistiques, car cela n’existe plus guère. Rien n’est grave, mais tout est sérieux. Je suis donc ravi de profiter des opportunités que vous suscitez dans votre salon, naturellement porté vers l’esthétisme – dans et pour tous les sens, éclectique et ouvert.
RépondreSupprimerJe suis heureux de voir que, vous aussi, aviez forcé le trait (juste pour le style) et que vous appréciez certains qui le méritent. Moi aussi je préfère « Les pêcheurs de perles ». Pour « Werther », je suis tenant (à vie) d’Alfredo Kraus, l’ayant vu à Garnier, dans les années 80 – la représentation fut interrompue après « Pourquoi me réveiller... », tant le public était en délire ! dont moi.
Hélas, Berlioz n’a pas été repêché... Ma version préférée de la « Fantastique » est une vieille (en mono) sous la direction de l'admirable Hermann Scherchen. Quant à Offenbach, c’est vraiment la musique en fête, la joie de chanter des bêtises et d’être fou (ou folle) en liberté... J’ai en particulier le souvenir d’une « Périchole » et d’un « Orphée » montés par Savary (toujours dans les années 80) : ma-gni-fique. Ce que j’aime aussi chez Offenbach, c’est que tout le monde peut le chanter – et je ne m’en prive pas.
J’espère enfin qu’on ne jargonne pas trop pour ceux qui ne sont pas forcément portés sur ces sujets, mais ça n’empêche pas d’être léger, malgré quelques coups d’éventail entre aficionados.
Bonne balade !
J'en reviens tout de suite à Ravel. Et à son concerto pour la main gauche, que je préfère à son frère.
RépondreSupprimerMon interprétation n'en est pas une, d'autant qu'elle doit peut-être beaucoup à une écoute un peu... dévoyée ou partiale. Qu'importe.
Ce concerto est empli de tant d’ambiguïté et d'équivoque que c'en est troublant. D'un côté c'est violent, âpre, musclé; de l'autre, d'une subtilité et d'une sensibilité peu viriles. Ce concerto m'a toujours paru empli d'une sensualité passionnée et désespérée dont l'élan ne cesse d'être contrarié ou brisé. Que la musique soit ténébreuse n'empêche pas que le la trouve d'un érotisme torride (on va dire que je suis bizarre). Les dernières minutes, ce ruissellement pianistique inextinguible, est le moment où la volupté semble sur le point de gagner la partie avant une toute dernière fois d'être repoussée.
Mais je fantasme sûrement...
@JC : c'est une vision estimable. Pour moi, le "main gauche", c'est toute l'horreur de la guerre. Mais peut-être suis-je influencé par les conditions dans lesquelles il fut composé.
RépondreSupprimerPas forcément incompatible... Eros et Thanatos se donnent la main dans cette pièce exceptionnelle...
RépondreSupprimerJ’aime bien (beaucoup) l’analyse de Jean-Christophe. Le rapport de l’artiste à l’œuvre, dans son engendrement, a fatalement une dimension sexuelle. C’est sans doute à la fois plus caché et plus criant pour un (probable) abstinent comme Ravel. Il n’a peut-être eu "que" son œuvre pour partenaire, mais force est de constater qu’il et elle ont pu en tirer des voluptés hors du commun...
RépondreSupprimerÊtre doué d'une sensibilité hors du commun, sans nul doute... Ravel savait donner à sa musique la délicatesse de la dentelle, le moelleux d'une humanité sans pareille, et des reflets de clair de lune.
RépondreSupprimerSa sonatine en est l'exemple le plus parfait. http://www.youtube.com/watch?v=zqdMlOhb3j0
Alors, qu'importe au fond ses aspirations, son penchant éventuel pour les garçons. Chacun peut trouver deux choses essentielles dans sa musique : un peu de rêve et de bonheur.
Je me mets en devoir de réécouter et revoir ce concerto que j'ai la chance de posséder en Dvd avec un grand Samson François
RépondreSupprimerSaint-Saëns aussi "en était" il me semble.
RépondreSupprimerConcernant le débat sur Berlioz, j'ai toujours trouvé son Requiem absolument génial.
Pascartes : on le dit bisexuel, effectivement.
RépondreSupprimer@Tambour Major, retrouvé étrangement dans les "spams" (!?): la Sonatine est l'une de mes œuvres préférées.
RépondreSupprimerevidemment dès que je vois le nom Ravel, quelque chose en moi s'éveille! bercé par le Boléro depuis ma tendre enfance (allez on va dire à 6 ans , au début des années 50)j'ai pourtant découvert son "génie" orchestral avec son Daphnis et Chloé et son pouvoir d'évocation avec sa rhapsodie espagnole et sa - son Tsigane rhapsodie- y (je mets les deux car il y a un doute et l'anglicisation donne un caractère commercial international à l'oeuvre) et cela pendant que je travaillais avec la chorale pour un concours à Saverne " la ronde - n'allez pas au bois d'ormonde" ! je ne suis donc pas objectif concernant ravel quie j'idolatre , au même titre que "La damnation de Faust" de Berlioz qui est pour moi la quintessence du drame lyrique ! enfin merci à l'auteur du blog de permettre ces échanges par la sagacité de ces postages
RépondreSupprimer