Un beau pas de deux : Kader Belarbi & Marie-Agnès Gillot |
Invité à l'Opéra Bastille par un vieil ami pas vieux, j'ai reconnaissance pour ce geste généreux : je pense, pendant cette représentation de "Signes", au compte-rendu final, à l'impression que lui, l'invitant, gardera de ce spectacle pas assez déroutant à mon goût. Une heure trente après, je serai soulagé : même regard circonspect sur les peintures envahissantes, faisant office de décor, d'Olivier Debré, même constat de l'absence totale de folie qu'on serait en droit d'attendre sur cette immense scène, du manque évident d'émotion, de ce qui vous chamboule les sens, s'imprime en vous pour longtemps. Bref, de la signification du mot "spectacle". Il y a, sur le blanc tapis de danse, les meilleures danseuses et danseurs que l'on puisse voir, bien éclairés, impeccablement synchronisés, que des étoiles et des premiers danseurs, ce qui, certes, n'est pas du peu. Mon ami est plus sévère que moi, qui qualifie la représentation de "spectacle pour touristes". Achetant néanmoins le livret, il dit sa déception au vendeur, un jeune noir dont l'allure est bien plus proche de Donna Summer que de Mike Tyson. Le garçon, d'humeur très gaie (et très gay) part d'un large sourire et d'un "ah bon, vous aussi ?". Dans la belle et vaste salle que ne laisse pas deviner le bâtiment hideux de la Place de la Bastille, le public ovationne encore, debout*, Carolyn Carlson, chorégraphe internationalement reconnue, quand nous sommes déjà sur les marches, au soleil à demi-couché.
On traverse la place pour jeter un œil sur le nouveau "spot-tendance" (ah, ce langage des magazines se voulant "hype" !) des frères Costes, un "Café français" revisité classieux, qui aimante le péquin soucieux -parce que, voyez-vous, c'est question de vie et de mort- d'y être vu, vraisemblablement mal reçu par un personnel (ça se jauge au travers des portes vitrées) imbu d'une dérisoire importance. D'un "beurk" de mon compagnon, qui fait pourtant dans la mode mais garde le bon sens des réalités, nous nous en éloignons d'un pas vif et rejoignons les quais de la Seine où le soleil, bon prince, nous a attendus pour tirer sa révérence, nous offrant enfin le plus beau des spectacles. Il faut que l'été arrive (enfin !), que nos préoccupations professionnelles se fassent moins boulimiques, pour retrouver la ville où l'on vit sans avoir, le reste du temps, l'occasion de l'apprécier, belle, souveraine, "chargée d'histoire" comme disent Stéphane Bern et les guides touristiques. La marche est agréable, un vent léger atténue la chaleur estivale qu'il parviendra un peu plus tard à dissiper. Loin de la branchitude de pacotille évaluée plus avant, nous avisons un restaurant "à l'ancienne" qui dispose d'une jolie terrasse face aux bouquinistes. La terrasse est pleine de gens simples, nul touriste ne s'est risqué (à tort) dans cette vénérable maison qui tient de l'auberge de province et du relais de poste. Nous devons être sympathiques : l'aubergiste demande à la serveuse de sortir une table à notre intention et nous voici installés "à la fraîche". Courtois, mon convive me laisse la place d'où je peux voir le spectacle de la rue, des passants déstressés, enfin, de jolis garçons en tenue légère, des asiatiques en goguette, extatiques, des gamins sur planche-à-roulettes. Le repas est français, œuf mayonnaise et ris de veau en cocotte, en bien venue madeleine, le vin (un Buzet) légèrement capiteux, on est au mieux. On parle de nos vies, on s'écoute -chose rare, précieuse !-, on partage un moment exquis, on se retrouve enfin, nous qui nous connaissons depuis des lustres, nous que la vie avait un temps séparés (lui ne tint pas en place pendant quelques années). Il y a de l'amitié et une tendresse qui ne se manifeste pas en gestes inutiles, qui plane dans l'air de Paris, au-dessus de nous.
Le Pont Louis-Philippe et l'Ile Saint-Louis | Les berges sont maintenant entièrement piétonnes. (Photo Arnaud Frich) |
* La télé(sans)vision a banalisé l'ovation-debout (standing ovation diront les anglophones) : le moindre chanteur éphémère, la personnalité la plus ringarde, le personnage de téléréalité le plus débile, ont droit à cette démonstration de bonheur qu'en d'autres temps on réservait à l'exceptionnel.
Encore un bien joli billet, avec tout ce qu’il faut où il faut. J’en partage totalement l’esprit et le propos, de l’impression du "spectacle" au menu. Le temps (éternel) de la lecture : j’étais des vôtres. Tout est dit... merci.
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