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Café Saint Régis, Paris |
Une dizaine de décembre sont passés depuis la dernière fois. Tu as tenu à me donner rendez-vous dans ce café où nous venions autrefois, au fond de la rue St Louis en l'île où, chemin faisant, j'ai croisé un Guy Bedos trottinant auquel j'ai murmuré un bonjour respectueux. Un autre jour, je me serais enhardi, j'aurais cité une relation commune pour engager la conversation et le remercier pour tant d'éclats de rire passés. L'homme est chez lui, ici, où il habite un appartement cossu, sans doute, à quelques enjambées, laissons-le tranquille. J'arrive au café, ponctuel, et vais t'attendre, toi qui ne l'a jamais été. Peu de temps après, comme pour me démentir, tu arrives, juché sur une bicyclette que tu arrimes à un poteau de stationnement. Tes gestes sont mesurés, qui me laissent t'observer à loisir. La silhouette est fine, svelte encore ; mon souvenir de toi occultait ta haute taille : je n'ai qu'un vieille photo où tu es assis à une table de libations avec deux amis que je n'ai cessé de fréquenter. Pourquoi nous sommes nous éloignés l'un de l'autre ? Pourquoi m'as tu appelé, après tout ce temps ? Tu me rejoins, un sourire ironique -tu n'as jamais su sourire autrement- aux lèvres. Duffle-coat, pantalon de flanelle grise bien coupé : tu es devenu parisien. Nul besoin de briser la glace ; on s'est quittés hier soir, dirait-on. Je t'ai connu moins volubile et me félicite de voir que tu as pris de l'envergure, du charisme presque. Je n'ai pas à faire mon numéro habituel d'artiste en perpétuelle représentation, je n'ai qu'à écouter ta voix où subsiste une touche d'accent du sud. Deux heures passent, météoriques, cent vingt minutes où l'on renoue avec le ton de nos conversations d'antan : flèches, tendresses, divergences, harmonie, "bataille" ! Tu dis "tu vieillis bien" en hochant gracieusement la tête, toi qui deviens trentenaire et conserve, sous certains angles que je me plais à détailler, un physique adolescent, quand, après quelques épreuves dont je conserve, encore fraîches, les séquelles, je me trouvais dénué de tout attrait. On va se quitter ; tu dis "tu m'invites un soir ? je peux rester si tu veux, "ça" me manque". Je débite en riant faussement un flot de lieux communs : "c'est dans les vieux pots... tu crois ?" ou "tu as le goût du revenez-y, maintenant ?" et encore "tu sais, le réchauffé...". Tu ris : "allez, sois pas con !". Et pour finir : "tu fais comme tu veux, mais on en a besoin". Je tourne et retourne ces mots toute une semaine. Depuis combien de temps n'ai-je trouvé un corps tout chaud en étendant le bras, au réveil ? Tergiversations, fausses bonnes raisons, crainte de le voir envahir mon territoire... je ne l'appellerai pas.
Silvano, janvier 2014
Je me demande si vous ne devriez pas l'appeler...
RépondreSupprimerAppelle-le!
RépondreSupprimerEst ce ce de vous, Silvano?
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup cette écriture. C'est beau et doucement triste...comme la vie qui va...
Marie
@Charles et Pascartes : dilemme...
RépondreSupprimer@Marie : merci, j'avais oublié de signer, c'est fait.
Ne l'appelez pas : trentenaire, c'est un vieillard ;)
RépondreSupprimerIl ne faut pas laisser la place aux regrets, appelez-le !
RépondreSupprimerJe regrette encore mon manque d'audace durant mes vacances de septembre et depuis son visage me hante !
Bonsoir
RépondreSupprimerC'est un joli texte, plein de douceur et de mélancolie.
Marc
@Maxence @tequila... : tout est là.
RépondreSupprimer@Marc : merci.
Les poisons du regret, fleurs infroissées...
RépondreSupprimerCeleos
Let bygones be bygones ou "laissons le passé au passé".
RépondreSupprimerLa première impression est souvent (toujours ?) la bonne, Silvano.
@another country : oui.
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