(...) corps rompu à tous les exercices sportifs... |
Je m’y enivre de la diversité de ses adeptes : Mick Buchet, fille d’un médecin très couru du boulevard Albert 1er, anime de longues et stériles discussions politiques, le petit livre rouge de Mao en étendard. Gilles Barbieri, maître incontesté et redoutable de la belote contrée, est le seul garçon à cheveux courts. Il est également l’unique royaliste de la bande, reconnaissant comme seul et légitime prétendant à la couronne de France le Comte de Paris, connu de moi par mes lectures en pis-aller de Paris Match et de Point de vue Images du monde, au cœur de mes mornes après-midi d’août, puisqu’on m’inflige encore les vacances chez une grand-mère cévenole que je chéris malgré ce pensum. Jeffrey Schönberg, un blond au visage prématurément parcheminé, séduisant toutefois de par sa faconde, jouit d’un prestige certain dû à sa double-nationalité – c’est un franco-américain – mais du fait, aussi, qu’il possède une « mini » rouge, rutilante, dans laquelle il balade sa petite amie du moment, Marie-Anne, laquelle doit expliquer à longueur de surboums qu’elle ne se prénomme pas Marianne. Essentiel, on en conviendra. Elle m’a anéanti du regard quand je lui ai proposé de se faire appeler Anne-Marie pour éviter toute confusion. Cette fille n’a pas le moindre sens de l’humour, trait de caractère à mes yeux rédhibitoire.
J’aime bien Jeffrey, qui fait mine de s’intéresser à mon parcours musical, de même qu’il se montre passionné de littérature et d’arts plastiques. Récemment bachelier, il vient de commencer des études de droit. Je lui ai dit que plus tard, quand je serai un concertiste mondialement célèbre, je le prendrai comme avocat pour défendre mes intérêts. Nous en avons parlé très sérieusement entre deux parties de tarot, l’autre sport auquel je me livre avec les mêmes résultats qu’en éducation physique. On comprendra que je n’y excelle pas.
L’autre qualité de Jeffrey est sa proximité avec Marc Alena, dit Marco, sacré, de l’avis de toutes et tous, « plus beau mec du Milk ». Ma longue observation, à la dérobée, toujours, de cet être surnaturel, me mènerait au vertige si je n’y prenais garde. Alena condense toutes les qualités physiques susceptibles de semer la dévastation sur son passage : admirablement découplé – juste assez grand, corps rompu à tous les exercices sportifs -, la nature lui a donné un visage particulièrement avenant, illuminé par de fins cheveux blonds s’épanouissant en mèche forcément rebelle sur le front, cachant par intermittence des yeux noirs – oui, noirs d’encre ! – pétillants de malice. La peau est fine, sans le moindre défaut. Ce garçon n’a nul besoin, comme moi, d’Eau Précieuse ou de crème Clearasil pour tenter d’atténuer les outrages cutanés de l’adolescence. Marco est parfait, c’est merveilleusement injuste. Dernièrement, à l’un de ces moments fort rares où le Milk sommeillait, il s’est assis à la table où, seul, je déchiffrais une partition – j’use de cet artifice pour frimer – et, tout de go, de sa voix douce et gouailleuse à la fois, teintée d’un accent local parfaitement dosé, m’a demandé calmement :
- Dis, Soubeyrand, c’est vrai que t’es pédé ?
Et moi, sans lever les yeux de mon Bach, sans vraiment trembler :
- Oui, pourquoi ?
- Tu te fais mettre le cul en chou-fleur, alors ?
Je n’ai d’autre issue de secours à sa morgue que de répondre d’un rire sonore qui résonne jusque dans la cour de l’immeuble. Et l’impudent de poursuivre :
- Tu fais l’homme ou tu fais la femme ?
Je regarde mon interlocuteur fixement :
- Tu sais, Alena, ces questions à la con...
- Oh, tu fais ce que tu veux de ton cul, je suis curieux, c’est tout, faut pas mourir idiot.
Et sur ces mots, me laissant interloqué, le beau blond attrape-minettes du lycée se lève, et, avant de dévaler l’escalier, dans un souffle :
- Faudra peut-être que j’essaie, un de ces quatre.
(À suivre)
(c) Louis Arjaillès - Gay Cultes 2017
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On retrouve avec gourmandise dans ces premiers épisodes les qualités de styliste, l’humour et le don d’observation de l’auteur de Tombe Victor. J’y lis aussi, habilement dissimulées sous la vivacité du récit, vos qualités de cœur, cette bonté, cette indulgence que j’ai dénoncée dans votre réaction à l’affront de Ben Jelloun, cette générosité de Silvano qui est peut-être le point faible du romancier Arjaillès lequel aime trop ses personnages pour se résoudre à ce que le traitre soit un salaud sinon par dépit amoureux. Mais la bonté est aussi une arme et votre plume la manie si bien qu’elle désarme toute critique.
RépondreSupprimerJe ne sais que répondre à ça. La période m'est un peu difficile, alors, tout simplement, merci Ludovic.
RépondreSupprimerJe souscris à l'éloge de Ludovic.
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