lundi 22 mai 2017

Le chemin des contrebandiers (Tombe, Victor ! Livre 2) Prologue

Photo (c) Tom Franck - Tous droits réservés
C'est un sentier hérissé de ronces et de rosiers sauvages, un chemin de ronde en contrebas des villas des riches, à la pointe du Cap.
Tous les adolescents de la ville l'ont emprunté un jour.
On s'y rendait en expédition, de nuit, avec d’infinies précautions car les bruits les plus terrifiants couraient sur la présence d'un gardien armé jusqu'aux dents qui n'eût pas hésité à tirer sur le premier intrus pris dans sa ligne de mire.
Pourtant, on ne lut jamais dans la presse locale le moindre fait-divers pour confirmer la rumeur.
Il y avait toujours un gosse, cependant, pour affirmer qu'il connaissait quelqu'un qui avait reçu une chevrotine, une volée de plombs, une balle… - le projectile variait selon l'imagination du conteur.
Les plus jeunes s'y risquaient en pleine journée, équipés de masques et tubas, pour en rapporter quelque poulpe gluant dont ils savaient qu'il faut en taper la tête contre les rochers dès la capture afin d'en attendrir la chair.
Jamais par la suite Paul ne put déguster le savoureux octopode sans emprunter à nouveau en pensée le sentier interdit.
On pouvait fréquemment croiser sur la grand-route en arc de cercle ces bandes de joyeux gamins exhibant fièrement leur butin accroché à un fil de fer, clamant qu'ils avaient échappé à l'ogre mythique.
Les plus grands, les vieux qui avaient dépassé seize ans d'âge, s'y rendaient la nuit de préférence, en petit groupe, se donnant des frissons quand ils escaladaient le premier mur où, accroché à une chaîne rouillée, pendait l'écriteau fatidique :
"Propriété privée – Défense d'entrer – Danger".
Il fallait ensuite franchir quelques obstacles : murets, sentes noyées sous de hautes herbes qui vous griffaient et rochers moussus qui étaient selon eux "vachement casse-gueule".
Le chemin des contrebandiers – on disait aussi "contrepelars" : personne ne sut jamais pourquoi - les attendait en ultime recours au désœuvrement des soirs d'été où l'on n'a pas les sous pour s'offrir un verre au Pims ou mieux, pour aller se trémousser sur la piste d'un night-club.
Paul se souvient d'y avoir pris sa première cuite, d'un rosé chaud à bas prix acheté "en bas", au Printania.
On déconnait sur les rochers, se menaçait mutuellement de s'envoyer "à la baille", puis on s'asseyait en cercle sur un embarcadère de béton pour refaire le monde, se raconter des blagues, art dans lequel Paul excellait, présentant de véritables shows truffés d'allusions homosexuelles dans le but d'exciter la curiosité de quelque camarade jugé un peu plus attentif à ces choses que ses compagnons.
Il y était venu aussi en compagnie d’Angelo, à l'heure où le soleil renaissant donne à la Méditerranée des rougeoiements de jeune fille effarouchée.
Avec l’Ange, aux temps où ils se découvraient, ils se baignaient nus, s'enlaçant dans l'eau encore sombre et fraîche à l'aurore, s'étourdissant de baisers salés, s'étreignant jusqu'à faire exploser sans autre façon leurs verges juvéniles dont la sève rejoindrait quelque abîme peuplé de monstres marins.
(À suivre)
(c) Louis Arjaillès - Gay Cultes 2017
Si vous avez manqué le début (la suite, plutôt !) :
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Note
Pardon d'égarer mon (mes) lecteur(s), en livrant aujourd'hui ce texte, qui précède, bien sûr, les six extraits déjà publiés ici. 



1 commentaire:

  1. Vous nous faites joliment tourner la tête, Silvano, en nous perdant dans le temps et l'espace de votre histoire puis nous déposer en douceur sur les terres ensoleillées de l'adolescence

    Marie

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