lundi 11 décembre 2017

Tumulte

Les tambours médiatiques se sont enfin tus, qui ont accompagné le décès de deux personnalités, dont ceux, amplifiés avec force mégawatts, qui résonnèrent en l'honneur d'un chanteur qui ne faisait pas partie de mes icônes, loin de là.
L'homme fut l'objet d'une ferveur populaire que je respecte, car, à l'instar d'un certain Marcel Proust, on peut détester ce genre de musique sans pour autant faire montre de mépris :


Éloge de la mauvaise musique
- Marcel Proust -

Détestez la mauvaise musique, ne la méprisez pas. Comme on la joue, la chante bien plus, bien plus passionnément que la bonne, bien plus qu'elle s'est peu à peu remplie du rêve et des larmes des hommes. Qu'elle vous soit par là vénérable. Sa place, nulle dans l'histoire de l'Art, est immense dans l'histoire sentimentale des sociétés. Le respect, je ne dis pas l'amour, de la mauvaise musique, n'est pas seulement une forme de ce qu'on pourrait appeler la charité du bon goût ou son scepticisme, c'est encore la conscience de l'importance du rôle social de la musique. Combien de mélodies, du nul prix aux yeux d'un artiste, sont au nombre des confidents élus par la foule des jeunes gens romanesques et des amoureuses. Que de "bagues d'or", de "Ah! Reste longtemps endormie", dont les feuillets sont tournés chaque soir en tremblant par des mains justement célèbres, trempés par les plus beaux yeux du monde de larmes dont le maître le plus pur envierait le mélancolique et voluptueux tribut - confidentes ingénieuses et inspirées qui ennoblissent le chagrin et exaltent le rêve, et en échange du secret ardent qu'on leur confie donnent l'enivrante illusion de la beauté. Le peuple, la bourgeoisie, l'armée, la noblesse, comme ils ont les mêmes facteurs porteurs du deuil qui les frappe ou du bonheur qui les comble, ont les mêmes invisibles messagers d'amour, les mêmes confesseurs bien-aimés. Ce sont les mauvais musiciens. Telle fâcheuse ritournelle que toute oreille bien née et bien élevée refuse à l'instant d'écouter, a reçu le trésor de milliers d'âmes, garde le secret de milliers de vies, dont elle fut l'inspiration vivante, la consolation toujours prête, toujours entrouverte sur le pupitre du piano, la grâce rêveuse et l'idéal. tels arpèges, telle "rentrée" ont fait résonner dans l'âme de plus d'un amoureux ou d'un rêveur les harmonies du paradis ou la voix même de la bien-aimée. Un cahier de mauvaises romances, usé pour avoir trop servi, doit nous toucher, comme un cimetière ou comme un village. Qu'importe que les maisons n'aient pas de style, que les tombes disparaissent sous les inscriptions et les ornements de mauvais goût. De cette poussière peut s'envoler, devant une imagination assez sympathique et respectueuse pour taire un moment ses dédains esthétiques, la nuée des âmes tenant au bec le rêve encore vert qui leur faisait pressentir l'autre monde, et jouir ou pleurer dans celui-ci.
Extrait de "Les plaisirs et les jours", Chapitre XIII


 Retour au calme
Gustave Courbet, Homme à la ceinture de cuir - 1845/46



3 commentaires:

  1. Vous et Marcel résumez parfaitement mon sentiment.
    ...et ce profond calme de la page blanche disponible à recevoir toutes sortes de mondes est si reposant du tumulte de notre monde...

    Marie

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  2. et Victor Hugo a aussi écrit "Ah ne jugeons personne...." et je ne peux oublier que certains professeurs belges de littérature appréciaient très peu la poésie de l'illustre auteur alors que , dans ma candeur naïve d'étudiant catalogué scientifique , j'osai un jour cette comparaison : "Victor Hugo fut à la littérature ce que Mozart fut à la musique : un touche -à-tout de génie "

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  3. Joseph : erreur de billet, semble-t-il. ^

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