dimanche 6 mai 2018

Fiers de "Fiertés"

J'ai lu avec intérêt le billet "deux-en-un" que Céléos consacre, dans Véhèmes,  à Qui a tué mon père, le nouvel opus d’Édouard Louis dont des voix qui comptent nous disent déjà beaucoup de bien, et que je m'en vais quérir dans les heures qui suivent chez un vrai libraire.
Le thème m'intéresse au plus au point pour des raisons telles que j'ai déjà écrit de nombreuses pages d'un pseudo-roman que je pourrais intituler Le pater ou encore Un tyran ordinaire, voire pire, c'est vous dire !

Victor à 17 ans (Benjamin Voisin) et Sellim (Sami Outalbali)


Le père de Fiertés, la "mini-série" (ils disent comme ça) de Philippe Faucon diffusée jeudi dernier par Arte (qui d'autre ?) nous offre un modèle du genre "père d'homo", de ceux — si nombreux, semble-t-il ! — qui rejettent d'emblée la différence de leur progéniture. Les exemples en sont légion dans le cinéma ou la "dramatique" télévisée : on pense au père pharmacien du beau Laurent, joué par Cyrille Thouvenin dans Juste une question d'amour de Christian Faure.
On peut donc construire sa vision de l’œuvre de Philippe Faucon autour de ce père très bien interprété par Frédéric Pierrot : à mon sens, Charles, le père de Victor, symbolise l'évolution de la société française sur l'homosexualité depuis le "douloureux problème" d'antan jusqu'à la loi Taubira, dont on sait comment elle fut accueillie par la frange la plus réactionnaire de la population : la scène de ce film en trois volets (je pense que Faucon aimerait qu'on le définisse ainsi) où la proviseure du lycée reçoit les parents (un couple d'hommes) de Diego et ceux de Noémie et Paul à la suite d'une altercation entre les deux garçons, est révélatrice de l'état d'esprit des tenants de la "manif pour tous".
Charles ressemble à ces milliers de Français, d'une gauche "humaniste mais-faut-pas-exagérer" qui rejettera tout d'abord, puis tolèrera (quel verbe, que "tolérer" !), pour abdiquer enfin... à charge de régression, car, quitte à jouer les Cassandre, n'oublions pas que nous sommes, avec peu d'autres pays, une exception dans un monde où il ne fait pas bon être "gay".
Fiertés, en trois époques, retrace notre histoire commune de 1981 à nos jours, mais aussi — c'en est l'une des nombreuses qualités — l'histoire de chacun d'entre nous : j'ai eu mon Sellim, et le lecteur aura sans doute reconnu une part de sa vie dans ses propres mises en abyme.
Sur la forme, on ne pouvait attendre moins du cinéaste de Fatima, film en état de grâce qui mérita amplement son "César du long métrage" en 2016 : découpage de première main, restitution d'époque(s) impeccable, scénario sans faille dû à Philippe Faucon, José Caltagirone et Niels Rahou, et une distribution ("casting", pour les anglophones) sans erreur, font de Fiertés un exemple parfait de très bonne télévision.
Je me réjouis chaque jour qu'Arte existe et permette l'éclosion d’œuvres de ce niveau.

On peut revoir Fiertés jusqu'au 16 mai inclus par ici : clic 
Après, ou même avant, on pourra se procurer le DVD, déjà en vente.

Samuel Theis (Victor, adulte) et Stanislas Nordey (Serge)  © Arthur Farache Sauvegrain/Scarlett Production/Arte France Photo de tournage




6 commentaires:

  1. Bonjour Silvano,
    J’ai également beaucoup apprécié chacune des trois époques de la série de Philippe Faucon. Le personnage de Charles est effectivement intéressant, on le voit opérer des bougés tout au long de sa vie au même titre que les autres protagonistes d’ailleurs. Ce père aimant est doté d’une solide intelligence relationnelle, mais peut-il pour autant figurer l’archétype du père de gays, même de gauche ? J’en doute… Mais depuis François Truffaut nous savons que "Les films sont plus harmonieux que la vie... IL n'y a pas de temps morts. Les films avancent ... comme des trains dans la nuit" (Dialogue du film La Nuit Américaine).
    Bon dimanche.
    Éric.

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  2. Bien commenté, Eric ! Je n'ai pas dit que Charles était l'archétype du père de gay.

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  3. Plus largement, c'est toute la question du pariarcat qui est évoquée dans ces trois volets. Même si les présences féminines y sont au second plan, les personnages laissent envisager que leur attitude s'inscrit également dans le phénomène "me too" qui remet en cause la légitimité de ce pouvoir patriarcal. En ce sens on se prend à rêver que la question gaie soit la clé qui bouscule les fondements de cet ordre établi...

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  4. Je ne dis pas que vous dites que Charles est archétypal, je pose simplement qu’il est un personnage de cinéma, j’ai l’âge de Victor et vous comprenez certainement que j’aurais aimé avoir un Charles pour père, or je ne vis pas dans un film… Mais beaucoup mieux que cela, je vis dans la vie !...
    C’est chouette de vous lire Silvano.
    Éric.

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  5. Eric, par moments, Charles est loin de représenter le père idéal. Que vous eussiez aimé l'avoir pour père ne peut que me chagriner. Mais, je suppose, bienvenue au club !
    Celeos, exactement ! Souhaitons que le phénomène "me too" ne soit pas qu'épi, et qu'il ne soir à la source d'injustes dérives.

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  6. Merci Silvano, pour cette belle recension qui rejoint mon impression sur Fiertés.
    Le personnage de Charles me rappelle beaucoup de ceux de mes proches qui ont manifesté du « mauvais » côté en 2013. Des réactions inadaptées fondées sur des projections, des certitudes « infaillibles » et surtout sur une ignorance totale liée au fait de n’avoir jamais été mis en situation de discuter vraiment avec des homos et de chercher à les écouter. Je peux comprendre ce père et ses réactions, sans pour autant les justifier. Il me semble que son évolution est intéressante : elle fait primer en fin de compte le sentiment d’amour paternel sur les idées préconçues.. mais le chemin est long ! Si seulement tous ceux qui ont montré tant de haine et de rejet il y a quelques années pouvaient faire ce cheminement..

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