Cinéma : séances de rattrapage
Une force invisible me retient, qui m'empêche d'aller voir Matthias et Maxime, le dernier opus du sieur Dolan. Mon jeune voisin G., qui exerce dans le cinoche, me dit que je ne "perds rien" et qu'il y a mieux à voir. Dans cette période qui embrume les esprits autant que le ciel, j'ai suivi ses conseils pour d'autres films, et ne m'en plaindrai certes pas.
Le film de mon Xavounet préféré attendra encore un peu ; peut-être une projection chez moi, car je regarde les films dans de bonnes conditions.
Martin Eden, divine surprise !
Un Prix d'interprétation à la Mostra de Venise amplement mérité ! |
J'ai failli le manquer celui-là, qui vient tout juste de sortir du "grand" circuit des distributeurs ; c'était pourtant bien complet à l'UGC des Halles mardi dernier. Martin Eden, c'est de ça qu'il s'agit, est encore projeté dans certaines salles parisiennes : les locaux se dépêcheront avant que le film ne soit plus visible dans la capitale. Ami(e)s de province, guettez-le, car le film de Pietro Marcello ne doit pas vous échapper !
Ce cinéaste a évité tous les écueils de l'adaptation du chef-d'oeuvre de Jack London, dont on pouvait craindre le pire : non, ingénieux, il transpose l'action dans une Naples qui affronte les bouleversements du vingtième siècle jusqu'à la déclaration de guerre (la seconde), mêlant volontairement les airs du temps, périodes, décors, costumes, objets usuels de différentes périodes. Belle acrobatie qui enjambe les a priori que l'on eût pu éprouver avant la projection. On connaît (on devrait, en tout cas !) l'histoire de ce garçon issu du petit peuple qui va traverser son époque (j'ose, allez, une comparaison avec Barry Lyndon !) joue de malchance avant que la fortune ne lui sourie, renie ses semblables, se renie lui-même, trouvant un semblant de salut dans l'amitié réciproque avec un poète idéaliste usé, désabusé, pour mieux se désolidariser ensuite de ses compagnons de"classe".
La pudeur du metteur en scène, l'humilité sans doute, ont laissé répandre le bruit que le film était superbe mais fort éloigné de l'oeuvre originale de London.
Luca Marinelli : révélation d'un immense acteur |
Pour ma part, je ne le pense pas : bien au contraire, le transport de la côte ouest des Etats Unis à la Campanie incendiée de soleil est une totale réussite. Seule la fin diffère de celle du roman sans en altérer la puissance, Pietro Marcello ayant choisi de finir son film par des images qui ont valeur de symbole.
Les décors naturels, les choix musicaux, de Debussy à Bach-Respighi (voir plus loin) en passant par... Joe Dassin et les variétés italiennes d'époque, et, enfin, la formidable interprétation de Luca Marinelli, qui a bien mérité son Prix d'interprétation à Venise, font de ce Martin Eden un grand et beau film qui fait honneur à l'un des grands romans qui exalta tant de jeunes lecteurs. Une prouesse.
Musique de fin : c'est sur le premier de ces trois "corali" de Bach transcrits pour orchestre par Respighi (jusqu'à 5:26) que se termine Martin Eden. Parfait pour nous maintenir assis pendant tout le générique de fin :
Il reste encore quelques salles pour vous permettre de voir le très beau film géorgien de Levan Akin dont le joli succès a dû faire réfléchir distributeur et exploitants.
Je fus surpris de découvrir une salle comble lors d'une projection en semaine dans un complexe où, au demeurant, les conditions de projection sont optimales. Le film a donc bénéficié - sans doute parce que quel'qu'un y a cru et s'est donné beaucoup de mal - d'une sortie confortable hors du "circuit gay parisien" habituel.
On peut d'ailleurs remercier cent fois l'auteur : outre la qualité intrinsèque de l'oeuvre (scénario, photo, interprètes), le film a valeur de document sur la situation de la jeunesse en Géorgie, cette ancienne république d'URSS qui a bien du mal à s'adapter au monde moderne, où, notamment, se creuse chaque jour un peu plus le fossé entre les générations : celle qui a connu le communisme, et celle qui a bien du mal à prendre la relève, où deux personnes de même sexe souhaiteraient pouvoir s'aimer sans que leur relation soit source de toutes sortes de vexations, voire de voies de fait.
On pense aux lois édictées par le maître tout puissant du grand pays voisin qui, à travers un alinéa condamnant toute "propagande pour l'homosexualité" - on en rirait si les conséquences n'étaient aussi dramatiques - réprime toute tentative de normalisation des amours différentes.
C'est d'ailleurs en assistant à une "pride" à Tbilissi en 2013, dont les participants ont été sauvagement pris à partie et violentés par une foule de fidèles de l'église orthodoxe, que Levan Akin, qui vit en Suède et découvrait les tares de son pays d'origine, acquit la détermination de faire un film qui traite, entre autres, de ce problème, lequel existe encore dans tant de pays souvent engoncés dans une culture religieuse intolérante, quelle qu'elle soit.
L'histoire d'amour entre les deux jeunes hommes, poignante, nous étreint, qui mènera l'un d'eux au renoncement pour satisfaire les convenances : schéma classique, direz-vous, mais qui, ici, respire l'authenticité, car traité avec un talent qui annonce de grandes choses à venir de ce cinéaste jusqu'alors inconnu.
Le "concept" du film, basé sur la dure pratique de la danse géorgienne, nous vaut quelques très grandes scènes : cette discipline ultra-physique, qui exige autant d'énergie, de persévérance, de souffrance, que la pratique de la danse classique,est, pour le spectateur de l'ouest une véritable révélation, une exploration en terre inconnue du cinéphile lambda lové dans son fauteuil de la confortable salle obscure de son centre-ville balisé, en voisinage des Starbucks, Zara, et autres temples de la consommation.
Dans le film, on est bien loin de ces conforts urbains occidentaux : il n'y a guère que l'alcool pour oublier l'âpreté de la vie, et, pour les protagonistes, la danse pour s'étourdir frénétiquement. Interdiction absolue de s'aimer, de baiser. Gare à ceux qui transgresseront l'interdit.
Une seule solution : partir.
Beau et poignant.
Musique de fin : c'est sur le premier de ces trois "corali" de Bach transcrits pour orchestre par Respighi (jusqu'à 5:26) que se termine Martin Eden. Parfait pour nous maintenir assis pendant tout le générique de fin :
Et puis nous danserons : se laisser étreindre
Je fus surpris de découvrir une salle comble lors d'une projection en semaine dans un complexe où, au demeurant, les conditions de projection sont optimales. Le film a donc bénéficié - sans doute parce que quel'qu'un y a cru et s'est donné beaucoup de mal - d'une sortie confortable hors du "circuit gay parisien" habituel.
On peut d'ailleurs remercier cent fois l'auteur : outre la qualité intrinsèque de l'oeuvre (scénario, photo, interprètes), le film a valeur de document sur la situation de la jeunesse en Géorgie, cette ancienne république d'URSS qui a bien du mal à s'adapter au monde moderne, où, notamment, se creuse chaque jour un peu plus le fossé entre les générations : celle qui a connu le communisme, et celle qui a bien du mal à prendre la relève, où deux personnes de même sexe souhaiteraient pouvoir s'aimer sans que leur relation soit source de toutes sortes de vexations, voire de voies de fait.
On pense aux lois édictées par le maître tout puissant du grand pays voisin qui, à travers un alinéa condamnant toute "propagande pour l'homosexualité" - on en rirait si les conséquences n'étaient aussi dramatiques - réprime toute tentative de normalisation des amours différentes.
Bashi Valishvili et Levan Gelbakhiani |
L'histoire d'amour entre les deux jeunes hommes, poignante, nous étreint, qui mènera l'un d'eux au renoncement pour satisfaire les convenances : schéma classique, direz-vous, mais qui, ici, respire l'authenticité, car traité avec un talent qui annonce de grandes choses à venir de ce cinéaste jusqu'alors inconnu.
Le "concept" du film, basé sur la dure pratique de la danse géorgienne, nous vaut quelques très grandes scènes : cette discipline ultra-physique, qui exige autant d'énergie, de persévérance, de souffrance, que la pratique de la danse classique,est, pour le spectateur de l'ouest une véritable révélation, une exploration en terre inconnue du cinéphile lambda lové dans son fauteuil de la confortable salle obscure de son centre-ville balisé, en voisinage des Starbucks, Zara, et autres temples de la consommation.
Dans le film, on est bien loin de ces conforts urbains occidentaux : il n'y a guère que l'alcool pour oublier l'âpreté de la vie, et, pour les protagonistes, la danse pour s'étourdir frénétiquement. Interdiction absolue de s'aimer, de baiser. Gare à ceux qui transgresseront l'interdit.
Une seule solution : partir.
Beau et poignant.
Le traître, de Marco Bellochio : rigoureux et sanglant
Le bouche-à-oreille est tel, et les critiques tellement positives, qu'en fou de cinoche, on se laisse porter vers la salle la plus proche qui diffuse ce film taillé à la mesure des événements qu'il met en images, avec une rigueur que l'on doit saluer, ne nous épargnant pas les scènes de violence et les crimes atroces qui ont - il y en eut tant ! - émaillé cette période de l'histoire de la Sicile.En contant l'histoire de Buscetta, le repenti, le traître, qui permit à la justice italienne de mettre hors d'état de massacrer, Bellochio, dont j'ai revu il y a peu, l'extraordinaire premier film Les poings dans les poches (1965), confirme qu'il est un très grand cinéaste, l'un des derniers de la meilleure période d'un cinéma transalpin que la télévision populaire, pour le moins populiste, et le manque de soutien des différents gouvernements, à l'exception, peut-être de la courte période Renzi, ont mis à l'agonie.
Il est néanmoins intéressant, vous ne manquerez pas de me le faire remarquer, que deux films majeurs, dans cette page, nous viennent de la "botte" : souhaitons que ce ne soient d'ultimes soubresauts, mais, au contraire, le signe d'une renaissance tant espérée.
Pierfrancesco Favino, le "traître" de Marco Bellochio |
Le traître sera une "claque" pour les spectateurs, du moins pour ceux qui n'ont pas eu la chance de voir l'extraordinaire document en deux parties de Mosco Levi Boucault Corleone, le parrain des parrains, diffusé fin août par Arte, lequel démythifie la mafia sicilienne décrite dans les (excellents) Parrain de Coppola, et suit l'itinéraire de Toto Rina, le plus sanguinaire des "soldats" de Cosa Nostra, l'un de ceux que le "traître" Buscetta permit de faire tomber.
Pour les autres, ce sera simplement un grand moment de cinéma.
Ce qui n'est pas peu.
Bonjour Silvano
RépondreSupprimerJ'ai également vu Martin Eden et j'allais vous écrire à ce sujet. Je partage votre analyse mais à un bémol près la passion pour la mer et son infini de Martin Eden a été marginalisée dans ce film. N'oublions pas qu'il meurt dans une ile du Pacifique éloigné du monde décevant !
Le travail de Luca Martinelli est en effet saisissant notamment lorsqu'il devient célèbre
Merci de nous donner de l'énergie positive chaque jour !
Bien fidèlement
F.
Beau panel de films à voir que je n’aurais sans doute pas retenus sans votre conseil, si du moins ils passent dans nos provinces. Pour M&M de Dolan n’hésitez pas trop longtemps ; Les films sont devenus des produits frais à date de péremption rapide. Je comprends la déception de votre jeune voisin et je l’observe chez d’autres. C’est un film grave, beaucoup plus difficile qu’il n’y parait et on se laisse facilement étourdir par un scénario d’une intelligence subtile mais déconcertante. Dolan y pose quelques pièges dans lesquels l’article stupide de Télérama était déjà tombé. Le constat de Dolan sur l’amour en général et sur celui qui nous occupe particulièrement est beaucoup moins optimiste que l’énergie frénétique du début le laisse croire. Pour vous, Silvano, à voir absolument. Et encore merci pour vos conseils.
RépondreSupprimerJe partage totalement votre enthousiasme pour ces films y compris Corleone, le parrain des parrains. C'est quand même formidable de voir deux films italiens à la suite, cette langue est une des plus cinématographique qui soit.
RépondreSupprimerEn revanche Xavier Dolan m'a terriblement déçu.
à F. : les dernières images, cependant (je ne veux pas divulgâcher)...
RépondreSupprimerLudovic et Marc : vos commentaires démontrent à quel point les dernier film de Dolan divise.
J'adore Ottorino Respighi, qu'il ne faut pas confondre avec son frère Dermato Respighi dont la musique me donne des boutons.
RépondreSupprimerLa diversité des opinions sincèrement exprimées est à l'honneur du blog qui les publie.
RépondreSupprimerArthur P. : sortez !
RépondreSupprimer: )
Merci et bravo pour vos billets. Notamment dans celui-ci, de partager votre engouement pour "Et puis nous danserons", qui m'a bouleversé. J'ajouterai à votre excellente critique que le film questionne aussi sur la notion de masculinité. Il est donc pleinement de notre temps.
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RépondreSupprimerBonjour
Merci pour cette recommandation. Le film « et puis nous danserons » m a emballe et touché
Quel magnifique film’ si touchant, subtil et magnifiquement interprété.
Il faut toujours penser a ces pays encore très nombreux où il est risqué de vivre sa différence
Bonjour
RépondreSupprimerJ'ai pour ma part , raté la projection de Martin Eden , dommage pour moi car les avis en général sont très favorables. Hier après midi j'ai vu le Polanski,
J'accuse , c'est une vraie réussite , à voir absolument. Ici en Aveyron on doit parfois faire des km pour voir un film intéressant .
Serge