lundi 13 janvier 2020

D'hiver ( 2020 /1)

Le monde d'aujourd'hui


Je m'évertue, jour après jour, à distribuer ici un peu de bienveillance, d'y souffler quelques bulles de savon, je m'y repose avec vous du climat délétère qui nous asphyxie crescendo, de ce mouvement que rien ne semble pouvoir arrêter. Alors, comme beaucoup sans doute, je freine comme je peux, des deux pieds, je trouve de-ci de-là un beau visage, une attitude, une oeuvre d'art, voire une paire de fesses rebondie à souhait. Je nous offre quelques petits bonheurs qui permettent d'estomper un moment ce qui nous agresse, j'écoute quelque musique céleste née de l'un de ces trop rares bienfaiteurs de l'humanité que l'on appelle génies pour oublier le fracas, les fantoches qui gouvernent et jouent à se faire peur jusqu'au moment où tout peut s'effondrer.
Stefan Zweig
Je m'accorde aujourd'hui d'être plus sombre qu'à l'accoutumée, tant l'entassement des problèmes de toutes sortes que nous vivons atteint à présent des sommets qu'on n'aurait pu imaginer à l'époque bénie où ceux de ma génération d'entre-deux vivaient une période en parenthèse enchantée - et l'expression revêt en l'occurrence toute sa signification.
Mais nous n'avons pas fait grand chose, voyez-vous : on regardait ailleurs, comme l'avait dit tel dont on peut douter des convictions en la matière, et quand on lit le mépris et les haussements d'épaules de nombre de ceux qui portent la parole médiatique devant la colère de cette gamine venue du froid - et l'on dira demain "du tiède" -, ça résume très exactement où nous en sommes.
On lira et relira Le monde d'hier de Stefan Zweig, qui parle tout d'abord des temps heureux pour nous faire assister au glissement progressif vers l'horreur.
Jamais écrits n'ont été autant d'actualité.

Un café, avant de retourner chez les fous ?


Vienne : le Café Central de nos jours
Le même au temps de S.Zweig . Très masculin, non ?


Il est peut-être une institution du monde de Zweig qui n'a pas changé : les cafés de Vienne. S''ils sont rafraîchis périodiquement, le temps semble s'y être arrêté, si ce n'étaient les smartphones des touristes qui traînent sur les tables quand ils ne sont pas rivés tels des prothèses à l’œil de leurs propriétaires.
Les Viennois s'en distinguent, qui les gardent dans leur poche intérieure en mode silencieux ou vibreur et sortent pour prendre un appel important : la politesse, quoi ; encore une notion disparue.
On sourira tristement, pensant à nos cafés d'ici où "faut consommer !", de leur description par l'écrivain dans le livre évoqué plus haut :
« Le Kaffeehaus représente une institution d'un genre particulier, qui ne peut être comparée à aucune autre au monde. C’est en fait une sorte de club démocratique ouvert à tous pour le prix abordable d’une tasse de café où chacun peut s’asseoir pendant des heures, discuter, écrire, jouer aux cartes, s’occuper de son courrier et surtout consulter un nombre illimité de journaux et de magazines. Chaque jour, nous étions assis pendant des heures, et rien ne nous échappait. »


L'homme est un loup pour l'homme


À l'assaut ! 
Et c'est peu de le dire !
Comme on le sait, ce sont les "parisiens-têtes-de-chiens, parigots-têtes-de-veaux" qui ont le plus à souffrir des grèves dans leur vie quotidienne.
Hormis les inconvénients subis par les usagers (qu'ils soutiennent ou non le mouvement actuel), ce sont les incivilités les plus crasses qu'ont à endurer ceux qui tentent d'emprunter un bus ou un métro, lesquels circulent rarement quand le trafic n'est pas carrément suspendu.
C'est la jungle, qui me fait penser à la catastrophe historique du "Bazar de la charité" dont on sait que la majeure partie des survivants furent des hommes qui piétinèrent sans vergogne femmes et enfants lors de l'embrasement.
Ces événements  permettent de constater le piteux état de notre société, dont cette "médiocratisation" galopante (le vocabulaire, par exemple, c'est effrayant !), en contrepoids malheureux  à l'extraordinaire progrès que devait permettre la révolution numérique et ce que l'on nomma autrefois "autoroutes de l'information" devenues pistes d'assaut en mode Mad Max virtuel tout aussi violent et néfaste... C'est à des pugilats qu'assistent à longueur de parcours les personnes qui ont choisi de se déplacer dans Paris à deux ou quatre roues (certains amis en font le compte quand ils me rejoignent à Vespa), c'est d'une mini-guerre civile que fut le spectateur cet ami devant absolument prendre un bus le jour de Noël, qui m'adressa en bout de parcours ces quelques mots clavés :  "je suis en larmes de ce que j'ai vu". 
Ainsi est, aujourd'hui, la "douce France" du poète, lequel, aujourd'hui, aurait droit au lynchage des réseaux "sociaux" pour cette affaire de prétendu mineur détourné qui lui valut quelques ennuis dans les années soixante...
Mais ce sera l'objet du prochain articulet.
Pour nous consoler quelque peu (tout n'est donc pas perdu ?), cet homme auquel on tendait un micro en région : "Non, ça va, les plus à plaindre, ce sont les Parisiens."
Sans ajouter "têtes de chiens".


Les moins de 16 ans



Je me souviens très bien de cette édition  d'Apostrophe où Denise Bombardier dit son fait à Gabriel Matzneff. Nous étions ce soir-là réunis chez un ami où nous avions l'habitude de regarder l'émission de Pivot-le-prescripteur grâce à laquelle nous pouvions établir nos listes de lectures à venir sans grand risque d'être déçus.
Je me rappelle notre réaction de jeunes gens modernes et libérés devant la colère teintée de stupéfaction de la Québécoise, qui pourrait se résumer à un "mais qui c'est, cette connasse ?".
Le temps a fait son oeuvre qui m'a rendu peut-être un peu moins con, un peu moins enclin à l'indulgence vers ce qui, étant transgressif, devrait mériter louanges ou, au pire, indifférence. 
Non, le comportement de Matzneff, prédateur s'affichant comme tel, n'est pas le moins du monde excusable et oui, on tombe des nues en découvrant que l'homme a encore aujourd'hui chronique ouverte dans un magazine à grande diffusion et reçoive encore des prix et les honneurs, sous forme de subsides, de la république.
Une couverture des années 30. Inconcevable aujourd'hui.
J'ai lu par ailleurs - mais je répugne à "balancer", comme le veut la mode du temps -, des lignes pour défendre cette "paroisse" des ogres, proclamant qu'un Tony Duvert, grand consommateur de chair fraîche était un grand écrivain, tout le reste n'étant, bien sûr, que... littérature.
Certes, l'attirance éprouvée jusqu'à consommation envers les mineur(e)s par de grands noms (Gide et Montherlant ne sont pas les moins illustres) et par d'autres de moindre importance (Peyrefitte et son enfant de "cœur" célébré dans Notre amour) n'est pas une révélation de nature à les mettre au ban de la littérature... du moins jusqu'à présent. Si le simple fait d'imaginer un homme mûr copulant avec un enfant me donne la nausée, je trouve toute forme de lynchage indigne d'une société civilisée. D'autre part, le retrait de la vente d'ouvrages sulfureux sans aucune forme de procès par des éditeurs qui les ont autrefois reçus, lus, publiés et promus et, soudainement, ces autodafés virtuels où l'on jette une oeuvre, si indigne soit-elle, sont (encore) un signe des plus inquiétants sur la tournure que prend l'esprit du temps. 



Lu hier dimanche

Les thèmes des "romans-jeunesse" évoluent de manière appréciable : ainsi, je suis le point de terminer Romance (!) d'Arnaud Cathrine (Robert Laffont), sorte de journal intime d'un adolescent gay de notre temps. C'est à la fois touchant, sincère, moderne. 
Une sorte de Tombe, Victor ! d'aujourd'hui... qui ne me rajeunit pas. 
Mais c'est grave passionnant !
Attention aux résumés sur les sites, qui divulgâchent à mort ! Cela dit,on se doute, à mi-parcours de ce qui va se produire. Le bouquin donne envie de mieux écouter et d'échanger avec de jeunes gays pour combattre "âgisme" et "jeunisme" (on peut combattre les barbarismes, aussi).
De plus, jolie couverture, objet agréable au toucher.

Note vers 14h45, lundi 
J'ai fini ma lecture pour le dessert.
Je m'attendais quelque peu à cette fin.
Elle n'a rien cependant de convenu, et
confirme que Romance est un roman 
exaltant, excitant voire, sur l'adolescence.



Si vous voulez commenter,
merci de citer le titre
du paragraphe concerné.




7 commentaires:

  1. Merci Silvano pour ce conseil de lecture, je vais sans doute commander le bouquin et bien sûr le lire. j'aime beaucoup la présentation de l'éditeur. par contre pour la critique il faudra attendre un peu ;)
    J'ai bien aimé l'ensemble de vos chroniques d'aujourd'hui. Tout lu :p
    Bonne semaine à vous.

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  2. > Au sujet de Arnaud Cathrine
    Je vais me précipiter sur ce "Romance", l'éloge est stimulant !
    Je me permets de signaler cet ouvrage atypique du même auteur, "Andrew est plus beau que toi", avec The Anonymous Project, Paris, Éditions Flammarion. Etonnant (et élégant) roman-photo de Cathrine, revu et corrigé.

    >"Les moins de 16 ans",
    Je commenterais bien votre billet : "Les moins de 16 ans", mais le temps me manque. Cela me fait pourtant penser à un petit ouvrage paru il y a déjà quelques années. Connaissez-vous ce roman étrange : "L’agneau chaste ", de Franck Varjac ? Voici ce qu’en disait Josiane Savigneau, qui a été elle-même vilipendée lorsqu’elle a défendu ce jeune auteur dans le quotidien Le Monde : « Il fallait sans doute du courage pour choisir comme sujet d'un premier roman une histoire d'amour entre un jeune garçon et un adulte en un temps où la juste dénonciation de la pédophilie, des contraintes inadmissibles imposées par des adultes à des enfants, a tout recouvert, y compris les ambiguïtés de l'adolescence et le mystère de certaines rencontres improbables, de certaines initiations désirées et inoubliables. Il fallait aussi du talent pour réussir, à son coup d'essai, un récit sur ce thème. Franck Varjac possède ce courage et ce talent. On est comme happé par son texte et on le lit sans pouvoir s'arrêter. » Josyane Savigneau.

    C’était il y a une quinzaine d’années, je crois. Mais maintenant, un éditeur voudrait-il publier un tel ouvrage ? (Le roman est plutôt bon, au demeurant.) Mais je pense que ce gars a passé un mauvais quart d’heure avec le reste de la critique de l'époque et encore, les réseaux sociaux n’étaient pas très actifs à cette époque !

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  3. Votre nostalgie comme vos indignations, Silvano, sont également les miennes. Notre génération, celle de l’après guerre, a eu tendance à retenir surtout ce qu’elle devait à un passé antérieur à la barbarie qu’avaient connue nos parents et nos grands-parents. En littérature, en musique, dans les arts en général nous sommes nourris des échos d’un monde que Zweig a vu mourir soudain à l’été 1914. Pour lui, la nostalgie est devenue désespoir et il a fini par se suicider. Vos chroniques célèbrent toutes à leur façon la beauté, une aspiration à la perfection, celle des anges mais pas seulement, celle d’une civilisation occidentale qui devrait être un idéal pour notre jeunesse et un exemple pour le monde entier. Hélas, elles la célèbrent de plus en plus en creux, par défaut, comme c’est le cas aujourd’hui à juste titre. Mais votre contribution est aussi porteuse d’espoirs puisque de jeunes internautes vous suivent et vous remercient de cette bienveillance et de cette sagesse que vous dispensez avec talent, avec humour et avec une exceptionnelle persévérance. Et vos aînés dont je suis vous en savent gré également. Vos Reflets du Temps ne sont pas qu’un rendez-vous hédoniste, c’est aussi un précis quotidien d’éthique humaniste qui devrait vous valoir un siège à l’académie des beaux-arts et un autre à l’académie des sciences morales et politiques. Pour l’académie française, ce sera après la publication de la suite de Tombe,Victor et la compilation de vos chroniques et de vos commentaires à la pléiade. Courage ami « nous les aurons ! » comme disaient nos grands-pères.

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  4. Arrow : merci d'avoir "tout lu" ! ;)

    Pierre : il y aurait en effet beaucoup à dire sur les relations "sentimentales" entre adultes et adolescents (je n'évoque même pas les relations pédophiles qui me révulsent) et sur la séduction déployée par certains jeunes attirés par plus âgés qu'eux. C'est à l'adulte d'être "responsable" quand c'est nécessaire et de ne pas profiter de ce qu'il provoque chez des esprits en plein chamboulement. Je ne connais pas le livre évoqué.

    Ludovic : merci, vous m'encouragez. Mais je ne mérite pas tant d'éloges. En revanche, entrer à l'Académie pour aller tirer ces vieilles barbes, j'en rêve !

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  5. Bonjour, Silvano.
    Je partage tout à fait ce que vous dites. Mais je me pose des questions sur ce qui est parfois au cœur de la création littéraire. A bientôt !

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  6. Stephan Zweig

    On peut relire "Le monde d'hier". Il y a eu une nouvelle traduction en 2013.Autant changer ;il y a des différences.
    Il vient de sortir un volume de textes inédits : "L'esprit européen en exil.1933-1942"
    Dans un éditorial récent, je lis: Le monde est en train de se défaire.
    S. Zweig aurait pu dire la même chose

    Les moins de 16ans

    Il vient de sortir le "Journal intégral" de Julian Green.1919-1940 et1300 pages. C'est charnel à 80%.
    C'est grâce à son autobiographie que je me suis senti déculpabilisé vers la fin de mon adolescence. Jamais, je n'aurais pu imaginer ce que je lis en ce moment.
    J'ai lu "Romance". Ah! si j'avais pu le lire à 16 ans.

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  7. Jacques : je viens de commencer le "Journal intégral de Julien Green" : et moi qui eus des scrupules concernant les passages érotiques de mon roman !!!
    Heureux que vous ayez apprécié "Romance". À 16 ans, en ce qui me concerne, j'avais trouvé matière à me rassurer sur ma nature. Nous devons avoir quelques années de différence, mais en lisant Proust, Gide, et enfin Genet, on pouvait y récolter de quoi se sentir moins seul, non ?

    Je dois me procurer le Zweig inédit, mais la lecture du Green devrait m'occuper quelque temps.

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