La lettre du fils à son père mort, lue lundi dernier à la radio par Augustin Trapenard est magnifique :
Paris, le 31 mai 2020,
Papa,
Une dernière nuit près de toi. Des bougies, un peu de whisky, ta main si fine et féminine qui serre la mienne jusqu’au p’tit jour du dernier jour. Ton regard enfantin qui désarme un peu plus le gamin que j’redeviens. Au-dessus de ton lit, un bordel de photos, de Jean-Loup Dabadie à Gisèle Halimi, de Desproges à Camus en passant par Guitry. Ça ne votait pas pareil, ça ne priait pas les mêmes fantômes, mais vous marchiez groupés dans le sens de l’humour et de l’amour.
Au bout de tes jambes qui ne marchent plus, tes chats – sereins, comme des gardiens. Sur la table de nuit, un fond de verre de Coca, ultime lien entre ce monde et toi, quelques gorgées de force qui te permettent, du fin fond de ta faiblesse, de nous lancer des gestes d’une élégance et d’une tendresse insolentes. Fâché de ne plus pouvoir parler, tu envoies des baisers muets à ta femme adorée, à ta fille bien aimée, à la fenêtre sur l’Île Saint Louis, au soleil que tu fuis. Des gestes silencieux qui font un boucan merveilleux dans nos yeux malheureux. Tu auras mélangé les vacheries et l’amour jusqu'au baisser de rideau. Les « foutez l’camp » et les « je t’aime ». Caresses et gifles, jusqu'au bout. Incorrigible Cabotin, tu avais bien prévu ton coup : dans ton dernier morceau d’ mémoire, tu avais mis des « vous êtes beaux, je suis heureux, j’ai de la chance. C’est ta mère, là, devant moi ? C’est ma femme ? Oh Tant mieux ! ».
On va t’emmener, maintenant, dans ton costume de scène. Celui des sketches et des revues de presse, des télés et des radios, celui qui arpenta la France, en long en large et en travers de la gorge de certains maires. J’ai dénoué ta cravate noire. On va t’emmener où tu voulais, c’est toi qui dictes le programme, c’est toi qui conduit sans permis. D'abord à l’église Saint Germain, tu n’étais pas très pote avec les religions, mais les églises, ça t’emballait. Tu disais « Faudrait qu’on puisse les louer pour des spectacles de music-hall, des projections de films, des concerts de poésies ». Il y aura des athées, plein d’arabes et plein de juifs. Ça aurait consterné ta mère, tu aurais bien aimé que ta mère soit fâchée. Puis on t’envole en Corse, dans ce village qui te rendait un peu ta Méditerranée d’Alger. On va chanter avec Izia et les Tao, du Higelin, du Trenet, du Dabadie et Nougaro. On va t’faire des violons, du mélodrame a capella : faut pas mégoter son chagrin, à la sortie d’un comédien. Faut se lâcher sur les bravos et occuper chaque strapontin. C’est leur magot, c’est ton butin. D’autant que je sens que tu n’es pas loin... Tu n’es pas mort : tu dors enfin.
Nicolas Bedos
Guy Bedos et son fils Nicolas, sur scène pour "Sortie de scène" au Théâtre Hébertot en 2005 © AFP / VICTOR TONELLI / Hans Lucas / Hans Lucas |
La classe Bedos !
RépondreSupprimerGuy Bedos était immensément talentueux et bel homme.
RépondreSupprimerNicolas Bedos est immensément talentueux et bel homme.
Ce texte respire le talent et la beauté, il m'émeut beaucoup.
Merci de l'avoir partagé ici, Silvano.
Yama Zek
Et il me semble bien que vous sentez bien, cher Nicolas. Il faut juste ne pas avoir trop peur et se laisser aller à l'amour...
RépondreSupprimerMarie
Très touchant. Je ne connaissais pas bien Guy Bedos, à part les deux films passés à la télévision pendant le confinement. J'ai l'impression qu'on pouvait dire plus de choses à l'époque qu'aujourd’hui ?
RépondreSupprimerQue c'est beau !
RépondreSupprimerPlein de respect, d'amour et de tendresse filiale.
Rare et d'autant plus beau.