Ah, s'aimer dans un vrai lit ! |
1937 : Dans ce village de l'Aveyron, deux adolescents de quinze ans, Jean Goupil et Claude Bertrand, le narrateur, amis d'enfance, conscients d'être épris l'un de l'autre deviennent peu à peu amants. Claude a surpris l'étreinte passionnée de deux jeunes montpelliérains en vacances, hébergés par M. Jacob, un vieil excentrique ostracisé par les villageois. Ils se découvrent un allié en la personne de Clément Chaumard, autre exclu, lequel est affligé d'une maladie de peau que l'on nomme au village "peau de serpent". Un soir, Jeannot, bravache, a lié conversation avec Jacob, lequel a invité les deux garçons à lui rendre visite dans sa maison des Aspres. L'homme les reçoit dans une maison plus cossue que prévue et répond à leurs questionnements. Il évoque le "chat" qui évolue à l'étage pendant la conversation, lequel n'est autre que Clément Chaumard.
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J’ai quelque peine à reconstituer avec précision l’image de Jean Goupil dans
la mansarde qui fleurait bon l’encaustique, mais si j’essore ma mémoire, je
peux redessiner son visage qui se métamorphosait au moment de l’extase sans
être jamais disgracieux. Je me souviens tout autant qu’il infligeait à ses
lèvres une morsure presque sanglante, plongeait ses yeux mi-clos dans les miens
jusqu’à la délivrance, disait « je vais jouir, mon Claude » comme s’il me
suppliait de l’accompagner au ciel. Les spasmes jaillissaient en soubresauts,
qui le traversaient de pied en cap, l’irradiaient, le dévastaient, le submergeaient.
Il émettait un cri sourd, ne cessait de s’agiter pour que je le rejoigne et aussitôt, je venais à sa rencontre pour un moment d’éternité. Sous l’emprise d’une
mutuelle gratitude, on s’embrassait avec frénésie, on s’allongeait côte à côte,
on se taisait un instant, on riait. Nous aimions la vie.
Ainsi donc, on pouvait maintenant percer le mystère des disparitions
de Chaumard, lequel, chez cet homme que l’on présumait d’une réelle bonté,
trouvait un refuge, un espace de liberté à cent lieues des railleries
ordinaires. Dans l’antre du vieil homme, il se mouvait avec aisance de la salle à manger à
la cuisine, se posait pour ronronner ou feuilleter un livre, limant sa matière
grise à des textes qu’il ne comprenait pas toujours, encouragé par son hôte à
persévérer. Le cancre de la communale avait trouvé un eldorado où cultiver une
intelligence qui ne demandait qu’à s’épanouir. Par la suite, Jacob nous apprit
que l’affection dont souffrait Chaumard portait le nom savant de psoriasis,
qu’on ne savait pas bien la soigner et qu’elle n’était pas contagieuse. Cette
maladie de peau avait de tout temps suscité la répulsion et l’on n’hésitait pas
à en faire un avatar de la lèpre. Notre compassion pour Clément s’amplifia de
la colère qui saisit toute âme que l’ignorance crasse exaspère. Quand, à l’étage, nous fûmes repus de nos corps emmêlés – ah, s’aimer
dans un vrai lit ! – Jeannot, rassasié, plaisanta à demi, se demandant si
ça excitait le vieux de nous savoir unis par la chair au-dessus de sa tête
comme il l’était peut-être quand les deux Montpelliérains s’adonnaient au
plaisir dans la petite chambre.
— Il se tape pas
Chaumard, quand même ? Ce serait dégueu !
Je calmai cependant l’ironie de mon ami et tranchai : « Le vieux a trouvé un remède à sa solitude, c’est tout ! »
Notre désir assouvi, l’inquiétude d’être découverts vint nous tourmenter. Par bonheur, le nid d’aigle de « cheveux de neige », comme nous l’avions surnommé d’un commun accord, se situait à de telles hauteurs qu’il était fort rare d’y croiser un villageois, si ce n’était Delmas dont je connaissais par cœur les horaires.
C'était compter sans "La Gleizes".
(À suivre)
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2021
Quand Claude "essore sa mémoire", formule délicieuse, il en recueille un paragraphe non moins délicieux d'intimité amoureuse à la fois pudique et torride. Du grand art!
RépondreSupprimerJe suis un peu étonné que les héros , lors de leur première visite chez Mr Jacob , puissent faire crac-crac presque sous son nez .
RépondreSupprimerudvp : tout le monde en est étonné, l'auteur, le lecteur et les protagonistes eux-mêmes.
RépondreSupprimerOui Ludovic.. Quelle magnifique évocation de l'étreinte amoureuse de deux hommes! Merci Silvano
RépondreSupprimerHadrien : ah oui, le "crac crac" ?!
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