|
(...) partager les jeux des plus grands... |
Résumé
Hiver 1937
De l'Aveyron, nous sommes partis pour Neuf-Brisach, Alsace, où vit le jeune Roland Sieffert, fils d'un instituteur protestant. C'est dans cette ville qu'a débarqué une troupe de Parisiens venus tourner quelques scènes du film de Jean Renoir La grande illusion. Un acteur du film a découvert ce que le jeune garçon voudrait bien cacher, lui dont le cœur bat bas pour un étudiant plus âgé, Roland Quirin. Sieffert a compris que sa seule chance de survivre dans une société hostile était d'adopter une attitude conforme à celle de tout homme "respectable". Il s'est résolu dorénavant à faire semblant, à rejoindre l'uniformité.
Les Parisiens sont
partis lundi à l’aube, aussi prestement qu’ils étaient venus. Le calme est
de retour dans la cité fortifiée, et avec lui la neige, qui tombe dru sans
discontinuer, qui revêt les routes et les champs d’un molleton dans lequel on s’enfonce
jusqu’à mi-mollet, et c’est si doux. Comme il s’y était résolu, Roland Sieffert
a évité jusqu’ici la Place d’Armes, remontant la rue de Strasbourg avec
précautions, le regard panoramique : ouf, personne à l’horizon qui
ressemblerait à un artiste de Paris trop curieux ou, il en prenait confusément
conscience, en quête de chair fraîche pour son tableau de chasse ! Il a ce
matin adressé un signe d’amitié à Mathilde Meyer qui lui a répondu par une œillade
assortie de battements de cils qu’il a jugés ridicules. Les romans-feuilletons
des magazines féminins font des ravages, a-t-il pensé en souriant ;
sourire trop aimable, sourire dangereux, sourire trompeur que la jeune fille
interprète sans doute comme un signe de connivence. Réveillé à l’aube par d’insondables tourments, Roland a vu depuis la fenêtre de
sa chambre le beau Quirin monter dans l’autobus de Colmar. Il sait qu’il n’aura
pas le bonheur de le croiser en ville de toute la semaine, que le bel étudiant qui
veut devenir ingénieur, passe dans la grande ville, trouvant gîte et nourriture
–Sieffert s’est renseigné – dans une pension pour jeunes gens stricte et bien
tenue. Il lui faudra attendre le culte de dimanche pour l’apercevoir en rusant
sous le regard insistant de la fille Meyer, son fardeau. La vie est décidément
tracasseries. Mais à quoi bon, cette illusion-là, trop grande pour lui qui ne
dort plus ou si peu à présent ? Auprès de qui s’épancher ? Il y a
bien Marcel, ce garçon de Montpellier avec lequel il correspond depuis ses
treize ans, quand les scouts du midi de la France avaient rejoint le grand
rassemblement des Éclaireurs unionistes au cours d'un torride juillet. De trois
ans son aîné, le Montpelliérain avait pris Roland sous son aile au cours d’un
jeu de piste durant lequel le gamin s’était blessé en chutant d’un arbre. Il l’avait
soigné et n’avait cessé, depuis lors, de lui prodiguer son attention, n’hésitant
pas à le laisser partager les jeux des plus grands. Avec Marcel, dont il
admirait une force physique alliée à une vaste culture littéraire – comme lui,
le sudiste avait toujours un livre à portée de main – il avait participé à la
construction, en l’espace d’une journée, d’une cabane sur les rives du canal
qui relie le Rhin au Rhône – quel symbole ! – et l’avait accompagné, heureux
d’être admis au sein de l’équipe la plus aguerrie, au cours des compétitions en
canoë sur le cours d’eau. Au moment du départ, ils s’étaient juré amitié et s’étaient
promis de correspondre régulièrement. Jamais, depuis, ils n’avaient failli à
cet engagement. À l’instar de l’acteur
parisien, Marcel avait-il décelé en lui une différence qui les unissait ? Était-ce suffisant pour lui confier son secret, lui révéler que dorénavant, malgré la rigueur morale dont il s’était
fait un principe jusqu’à présent, il devrait se contraindre au mensonge ? La
rédaction de la lettre qu’il envoya, n’y tenant plus, fut laborieuse. Il
fallait que le destinataire puisse lire entre les lignes, tant le style de la
missive était tout en circonvolutions ; il fallait en suivre les méandres, déceler
ce qu’elle contenait d’inavouable ; elle était un appel au secours.
(À suivre)
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022 |
(...) la construction (...) d'une cabane... |
|
(...) en canoë sur le cours d'eau. |
Le roman devient choral! Passionnant !
RépondreSupprimerQuelle belle plume vous maniez, cher Silvano!
RépondreSupprimerComme ses méandres répondent bien aux tourments qui accablent ce malheureux Roland!
Beau lundi.
uvdp : je l'avais noté. Merci de me le rappeler.
RépondreSupprimerpippo et Ludovic, merci pour vos encouragements !
Vous faites fort, Silviano, y compris dans la recherche des illustrations. Passionnant, effectivement.
RépondreSupprimerRien à ajouter, c'est du Silvano pur jus, et je prends plaisir à lire les commentaires Merci à tous
RépondreSupprimerDemian
que dire, sinon vivement la semaine prochaine !
RépondreSupprimer