lundi 30 mai 2022

"Mon amant de Saint-Jean" | Chapitre II | Épisode 13 : L'un sans l'autre


Résumé
Claude, l'auteur du texte, et Jeannot sont séparés  : le premier est parti pour Montpellier pour ses études. Il y est accueilli dans la maison d'Octave, son grand-oncle. Avant le premier souper, il a la surprise de voir arriver le fringant Marcel, qui n'est autre que l'un des jeunes hommes qu'il a surpris s'embrassant avec fougue à Saint-Jean, au début de l'été. Il a été décidé que l'étudiant serait le mentor de son cadet, lequel aurait bien besoin d'un guide pour découvrir la vie citadine. Les deux jeunes gens ont pris rendez-vous pour le lendemain, dimanche, pour une visite de la grande ville.

   

   Il avait dit un jour, faisant s’embuer mes yeux, qu’un siècle auprès de moi serait bien plus court qu’une minute sans moi. Pendant que je découvrais la grande ville, à Saint-Jean mon amour se morfondait. Il avait erré tout au long, de ce trop long dimanche, sous ce soleil de septembre qui veut affirmer sa vigueur dans un dernier sursaut avant de rendre les armes aux langueurs de l’automne. Pour l’heure, on cherchait encore l’ombre salvatrice, un refuge pour pleurer sans retenue, à l’abri des soupçons, l’absence de l’aimé. Goupil, pour la première fois depuis l’aube de leur amour amitié, avait parcouru en solitaire les chemins de traverse sur la bicyclette fatiguée des anciennes randonnées à deux, quand, loin du village, ils faisaient halte sur les rives de la Dourbie où, dans leur beauté révélée, ils s’ébattaient gaiement, nus, libres, dans l’onde fraîche et apaisante de la rivière complice. C’était comme un pèlerinage sur les lieux de leurs bienfaits, les images des temps enfuis revenant l’assaillir, des temps si proches et si lointains où nous nous livrions des combats pour de rire qui, toujours, se muaient en étreintes jusqu’au jaillissement du plaisir, où un fou-rire inextinguible l’avait gagné quand je m’apeurai à la vue d’une couleuvre et qu’il avait dit « une vipère, fais gaffe ! », car lui savait différencier les deux reptiles et nous entrions à nouveau dans la rivière pour effacer les traces de nos égarements qu’il savait aujourd’hui indélébiles. Quand il parvint à l'un de ces lieux qui, secrètement, leur appartenaient, il se dévêtit entièrement et s’assit, prostré. Ce n'étaient pas des gouttes de rosée qui, à cette heure du jour, irisaient le tapis d’herbes où il s’était recroquevillé. 

*

   J’ai retrouvé Marcel à neuf heures sur la grande place qui sommeillait encore. À la terrasse de la grande brasserie, il m’offrit un café-crème et des croissants. Ils sont moins généreux, moins bons que ceux de Chaumard, ai-je pensé. Mon mentor était en verve, qui me désignait les « trois grosses » et j’apprendrais de lui un peu plus tard que, pour lui, toutes les femmes étaient des « grosses » ; je n’aimerais pas ce mépris qu’il affichait pour l’autre sexe ; il persiflait : « sexe opposé, ça veut tout dire ! », mais, fort heureusement, il avait maintes qualités : son exubérance jamais en défaut, sa grande culture, une beauté physique qu’il fallait savoir déceler, car, au premier regard, il était d’apparence à se fondre dans la multitude. En le détaillant – il vit que je le scrutais et adopta soudain la mine de qui se fait tirer le portrait chez le photographe – on s'avisait que ses traits étaient harmonieux. Il évoqua son aïeul François-Xavier, un peintre du siècle dernier qui avait légué un musée à la ville. La visite était au programme de la journée et j’aurais à admirer le portrait de l’arrière-grand-père, auquel son descendant ressemblait à s’y méprendre. La conversation dériva, comme d’évidence, vers notre commune particularité. Je savais qu’il était deux, mais, le laissant annoncer que son « ami », tel qu’il le nommait, allait nous rejoindre à midi, je ne lui parlai pas de la grande révélation de leur enlacement, que j’avais reçue à Saint-Jean comme un bouleversement salvateur. Je crois que je ne savais même pas, à cette époque, ce qu’était un maillot de bain. Quand il me dit que nous irions – « tu comprends, il faut en profiter maintenant, il fera chaud cette après-midi ! »  nous baigner à Palavas et qu’il me posa la question, je lui dis que je n’en possédais pas. « Les Dames de France, c’est fermé le dimanche. Nous passerons chez moi et je t’en prêterai un. » décréta-t-il, tout en ajoutant qu’il y avait, à Maguelone, un vaste espace où ce bout d’étoffe ne s’imposait pas. Il vit que je m’en effrayais et me confia en riant que son alter ego aimait exposer ses fesses aux rayons du soleil, mais que l’on serait sages. Après avoir traversé la place, nous nous dirigeâmes vers le musée, fermé le dimanche. Mon nouvel ami avait le privilège d’y accéder à tout moment et c’est un gardien déférent qui nous ouvrit la porte de service. Je n’avais jamais vu d’œuvres d’art qu’en reproductions au gré de mes lectures et m’extasiai devant les toiles exposées, dont celle de l’ancêtre, un Marcel d’un autre temps, dont seule la chevelure en ondulations le distinguait. Mon comparse dut me bousculer quelque peu pour que nous ne manquions pas le rendez-vous avec André, tant je passais de longues minutes devant le moindre paysage, la moindre nature morte, le moindre portrait, dont celui d'un jeune berger d'Arcadie qui me troubla intensément. 
À midi pile, nous rejoignîmes le jeune Foulques.
(À suivre) 
©  Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022        

Ce n'étaient pas des gouttes de rosée...
(...) auquel il ressemblait à s’y méprendre.
F.X Fabre | Jeune berger en Arcadie 

4 commentaires:

  1. Le peintre François-Xavier Fabre : ICI
    Le musée Fabre : ICI

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  2. Toujours d'une belle écriture votre texte, mais si je peux me permettre ne petite remarque, moult employé comme adverbe, ou comme adjectif ne devrait-il pas être invariable ?
    Demian

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  3. Demian : j'ai cherché en rédigeant (les grands esprits), car je trouvais "moult" trop abrupt musicalement parlant. Il y a litige, car l'adjectif est donné comme étant invariable ou variable. Dans le doute, je le remplace.

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  4. Toujours aussi captivant

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