Résumé
Claude, l'auteur du texte, et Jeannot sont séparés : le premier est parti pour Montpellier pour ses études. Il y est accueilli dans la maison d'Octave, son grand-oncle. Avant le premier souper, il a la surprise de voir arriver le fringant Marcel, qui n'est autre que l'un des jeunes hommes qu'il a surpris s'embrassant avec fougue à Saint-Jean, au début de l'été. Il a été décidé que l'étudiant serait le mentor de son cadet, lequel aurait bien besoin d'un guide pour découvrir la vie citadine. Les deux jeunes gens ont pris rendez-vous pour le lendemain, dimanche, pour une visite de la grande ville.
Il avait dit un jour,
faisant s’embuer mes yeux, qu’un siècle auprès de moi serait bien plus court qu’une
minute sans moi. Pendant que je découvrais la grande ville, à Saint-Jean mon
amour se morfondait. Il avait erré tout au long, de ce trop long dimanche, sous
ce soleil de septembre qui veut affirmer sa vigueur dans un dernier sursaut avant
de rendre les armes aux langueurs de l’automne. Pour l’heure, on cherchait encore l’ombre
salvatrice, un refuge pour pleurer sans retenue, à l’abri des soupçons, l’absence
de l’aimé. Goupil, pour la première fois depuis l’aube de leur amour amitié,
avait parcouru en solitaire les chemins de traverse sur la bicyclette fatiguée
des anciennes randonnées à deux, quand, loin du village, ils faisaient halte
sur les rives de la Dourbie où, dans leur beauté révélée, ils s’ébattaient
gaiement, nus, libres, dans l’onde fraîche et apaisante de la rivière complice.
C’était comme un pèlerinage sur les lieux de leurs bienfaits, les images des
temps enfuis revenant l’assaillir, des temps si proches et si lointains où nous
nous livrions des combats pour de rire qui, toujours, se muaient en étreintes
jusqu’au jaillissement du plaisir, où un fou-rire inextinguible l’avait gagné quand
je m’apeurai à la vue d’une couleuvre et qu’il avait dit « une vipère,
fais gaffe ! », car lui savait différencier les deux reptiles et nous
entrions à nouveau dans la rivière pour effacer les traces de nos égarements qu’il
savait aujourd’hui indélébiles. Quand il parvint à l'un
de ces lieux qui, secrètement, leur appartenaient, il se dévêtit entièrement et
s’assit, prostré. Ce n'étaient pas des gouttes de rosée qui, à cette heure du
jour, irisaient le tapis d’herbes où il s’était recroquevillé.
*
J’ai retrouvé
Marcel à neuf heures sur la grande place qui sommeillait encore. À la terrasse de la
grande brasserie, il m’offrit un café-crème et des croissants. Ils sont moins
généreux, moins bons que ceux de Chaumard, ai-je pensé. Mon mentor était en verve, qui
me désignait les « trois grosses » et j’apprendrais de lui un peu
plus tard que, pour lui, toutes les femmes étaient des « grosses » ;
je n’aimerais pas ce mépris qu’il affichait pour l’autre sexe ; il persiflait : « sexe
opposé, ça veut tout dire ! », mais, fort heureusement, il avait maintes qualités : son exubérance jamais en défaut, sa grande culture, une beauté
physique qu’il fallait savoir déceler, car, au premier regard, il était d’apparence
à se fondre dans la multitude. En le détaillant – il vit que je le scrutais et
adopta soudain la mine de qui se fait tirer le portrait chez le photographe –
on s'avisait que ses traits étaient harmonieux. Il évoqua son aïeul
François-Xavier, un peintre du siècle dernier qui avait légué un musée à la
ville. La visite était au programme de la journée et j’aurais à admirer le
portrait de l’arrière-grand-père, auquel son descendant
ressemblait à s’y méprendre. La conversation dériva, comme d’évidence, vers notre commune particularité.
Je savais qu’il était deux, mais, le laissant annoncer que son « ami »,
tel qu’il le nommait, allait nous rejoindre à midi, je ne lui parlai pas de la
grande révélation de leur enlacement, que j’avais reçue à Saint-Jean comme un
bouleversement salvateur. Je crois que je ne savais même pas, à cette époque,
ce qu’était un maillot de bain. Quand il me dit que nous irions – « tu
comprends, il faut en profiter maintenant, il fera chaud cette après-midi ! » – nous baigner à Palavas et qu’il me posa la question, je lui dis que je n’en
possédais pas. « Les Dames de France, c’est fermé le dimanche. Nous
passerons chez moi et je t’en prêterai un. » décréta-t-il, tout en
ajoutant qu’il y avait, à Maguelone, un vaste espace où ce bout d’étoffe ne s’imposait
pas. Il vit que je m’en effrayais et me confia en riant que son alter ego aimait exposer
ses fesses aux rayons du soleil, mais que l’on serait sages. Après avoir
traversé la place, nous nous dirigeâmes vers le musée, fermé le dimanche. Mon
nouvel ami avait le privilège d’y accéder à tout moment et c’est un gardien
déférent qui nous ouvrit la porte de service. Je n’avais jamais vu d’œuvres d’art
qu’en reproductions au gré de mes lectures et m’extasiai devant les toiles
exposées, dont celle de l’ancêtre, un Marcel d’un autre temps, dont seule la
chevelure en ondulations le distinguait. Mon comparse dut me bousculer quelque peu pour que
nous ne manquions pas le rendez-vous avec André, tant je passais de longues
minutes devant le moindre paysage, la moindre nature morte, le moindre portrait,
dont celui d'un jeune berger d'Arcadie qui me troubla intensément.
À midi pile, nous rejoignîmes le jeune Foulques.
(À suivre)
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022
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Ce n'étaient pas des gouttes de rosée... |
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(...) auquel il ressemblait à s’y méprendre. |
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F.X Fabre | Jeune berger en Arcadie |
Le peintre François-Xavier Fabre : ICI
RépondreSupprimerLe musée Fabre : ICI
Toujours d'une belle écriture votre texte, mais si je peux me permettre ne petite remarque, moult employé comme adverbe, ou comme adjectif ne devrait-il pas être invariable ?
RépondreSupprimerDemian
Demian : j'ai cherché en rédigeant (les grands esprits), car je trouvais "moult" trop abrupt musicalement parlant. Il y a litige, car l'adjectif est donné comme étant invariable ou variable. Dans le doute, je le remplace.
RépondreSupprimerToujours aussi captivant
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