mercredi 13 juillet 2022

Instantanés (tannées, aussi)

Un quartier d'Paris


Revoyant de vieux films, qui me sont d'une aide précieuse pour écrire mon roman - non, je n'étais pas né en 1937 - j'y entends l'accent parigot tombé en désuétude, cet accent dont on disait, dans mon midi natal, qu'il était "pointu" : " Celui-là, il parle pointu !" signifiait " c'est un parigot". Aujourd'hui, la tonalité se rapproche de celle des Tourangeaux. L'accent de Tours et de ses environs est considéré comme le plus noble. C'est un accent sans accent. C'est dommage. Écoutons chanter Fréhel, Damia, Piaf : il y a une gouaille à jamais disparue. Au cinéma, dans ces vieux films, l'accent "parisien, tête de chien" est l'apanage des seconds rôles, Carette, Bussière, et, à ses débuts, un Jean Gabin, et, bien sûr, l'immense Arletty. Mon quartier de Montmartre ne résonne plus de cette musique depuis longtemps. Il garde néanmoins cet aspect de communauté particulière. Les brassages de populations en ont fait un melting-pot que la proximité a transcendé. Ainsi, n'en déplaise aux "fachos pas fâchés", désignés ainsi par pure tentation électoraliste, la présence des Kabyles a généré une fraternité peu commune. Certes, on est en terre dite "de gauche", où la tolérance (et beaucoup mieux) règne depuis des lustres. On est tous du même bled, finalement. Vendredi dernier, la mort, subite, d'Hocine, figure du quartier qui m'offrait du fond du cœur des verres d'un mauvais rosé à la terrasse du bar oriental fréquenté par un heureux mélange de "gens de peu" (le Secours Populaire est à côté), de "bobos" estampillés tels par les malveillants de tout poil, de mioches que les parents peuvent surveiller d'un œil en consommant leurs bière-frites (il y a de l'espace pour jouer), a plongé notre "village parisien" dans le deuil : l'émotion a gagné tous ces gens présumés différents. Le patron du bar concurrent a réuni des photographies, une femme que l'on qualifierait d'intellectuelle a fabriqué en hommage une affiche, les jeunes qui tiennent une boutique de mode hip-hop ont fabriqué des t-shirts à l'effigie de cet homme avec lequel tous entretenaient des rapports amicaux. J'en parlais hier, dans un bar où il a coutume de prendre son café matinal, avec Eddy, chanteur connu de grand talent, que tout le monde ici laisse tranquille avec une pudeur méritoire, quand, partout ailleurs, sa seule présence peut susciter l'hystérie des foules. Arrivé dans le coin presque en même temps que moi, il en apprécie la qualité de vie et s'est montré très affecté, me disant que le simple "bonjour" quotidien énoncé avec une cordialité non feinte lui était appréciable. Hocine sera enterré dans sa terre natale. Un soir, je me suis lâché, lui disant qu'il avait le même prénom que mon premier ami. S'il a compris "amant", il n'en a rien laissé paraître. La pudeur, l'indifférence à la différence. 

Elle me parle toujours de Piaf
De Dalida, elle vit à Montmartre


Illustration en tête de billet  : au premier plan, la chanteuse Fréhel et Jean Gabin dans Cœur de lilas, d'Anatole Litvak (1932)

2 commentaires:



  1. La touchante évocation de Hocine, figure de votre "village", disparu récemment, devrait mettre le rouge au front à tous les "fachos fâchés", au plafond si bas... et si peu ouverts aux autres...

    Au fait, on n'entend plus "l'historien" Zemour... Deux défaites en deux mois lui auraient-elles cloué le bec ? Pourvu que ce soit définitivement !

    Dans votre "village" danse-t-on, le soir du 14 juillet, comme dans les campagnes ?

    Renato

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  2. Tout a fait touché par ce billet-hommage. On ne sait jamais l'effet que l'on fait sur les autres, sauf lorsque l'on disparait. Hocine, à vous lire, allait vers les autres en étant GENEREUX. Oui, j'ai bien lu le mot pudeur. Rarissime qualité de nos jour et qui habitait Hocine. Quel choc cela va être de ne plus le voir et de le repérer dans votre quotidien.

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