(...) l’image du garçon magnifique m’avait happé... |
Septembre 1937
Le récit a tout d'abord mené le lecteur d'un village de l'Aveyron à Neuf-Brisach, Alsace, pour se dérouler à présent dans la Préfecture de l'Hérault.
Pendant qu'à Saint-Jean, Jean Goupil, inconsolable, pleure le départ de son jeune amant, Claude, le narrateur, découvre à Montpellier, où il va entreprendre de longues études, les joies et les contraintes de la vie citadine. Accueilli avec bonté dans la famille d'Octave Rochs, son grand-oncle, il peut compter sur l'amicale complicité de Marcel et d'André, deux jeunes hommes qui ont en commun avec lui ce qui le différencie de la majorité de ses contemporains, une attirance qui ne se maîtrise pas pour les personnes de son sexe. Les trois garçons apportent également leur soutien au gouvernement du Front Populaire. Leur adhésion de principe à tel ou tel parti de la coalition de gauche entraînant de vifs échanges de point de vue.
Marcel s’investissait pleinement dans
son rôle de mentor. Chaque matin, il venait chez mon grand-oncle pour m’aider à
parfaire mon apprentissage du latin, matière obligatoire au lycée, dont Monsieur
Benoît, l’instituteur de Saint-Jean, m’avait inculqué les rudiments. Sous l’aimable
férule du potard, l’exercice devenait un jeu ponctué de boutades, jamais
désobligeantes, quand il me voyait embourbé dans mes traductions du
classique De viris illustribus, considéré alors, et pour longtemps,
comme l’ouvrage de référence indispensable aux futurs bacheliers. Grâce à ses qualités
de pédagogue exigeant et indulgent à la fois, Cicéron
et Tite-Live me devinrent familiers et mon camarade s’autorisa quelques
détours par Suétone, cette « commère », disait-il, qui avait dénoncé
les turpitudes des douze César, dont certains avaient avec nous quelques
affinités. J’appris ainsi que l’auteur de cet ouvrage sulfureux fut le
secrétaire d’Hadrien, l’empereur dont le cœur se consuma pour l’éphèbe Antinoüs.
Comme je parcourais un jour l’un des beaux livres d’Étienne, l’image du garçon
magnifique m’avait happé, nourrissant mes fantasmes au point qu’un après-midi d’intimité, je m’étais échiné à donner à la chevelure de Jeannot les indociles ondulations qui
couronnaient le beau visage de marbre. Je suis encore persuadé aujourd’hui que,
fasciné par la photographie de ce buste marmoréen, j’ai vu les boucles de soie
frissonner sous l’emprise de je ne sais quel zéphyr en fin de course, essoufflé
d’avoir parcouru jusqu’à moi le chemin de l’Histoire. Mon jeune maître s’amusait
de mes juvéniles exaltations. Il savait l’impétuosité de mes sens toujours
exacerbés. Il proclamait, sans plus jamais me choquer depuis que je l’avais
cerné et apprécié, que je bandais vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour un
oui pour un non. Il n'avait pas tort : je bandais pour le souvenir toujours vivace de mon amour, pour l’image pétrifiée
de l’amant d’Hadrien, et, bien malgré moi, pour le regard bleu et profond d’André, que je m’efforçais
de fuir, presque épouvanté, parce que leur amour incitait au respect et que je les
aimais tous deux, qui me choyaient comme un petit frère, des amis pour la vie désormais,
complices de mes embrasements de jeune homme qui découvrait la vie. J’avais eu
le privilège d’être accueilli dans leur refuge,
le saint des saints où ils célébraient leur amour. Si mes pensées pour Jean ne m’avaient en
permanence accompagné, j’aurais succombé à une possible invitation à
partager leurs étreintes. Car, comme moi, ils n’étaient pas de bois et je
savais l’attrait que je pouvais exercer : j’avais surpris lors de nos
promenades en ville des regards de messieurs avides de chair fraîche et je
concevais que je pouvais susciter le désir. Si j’en étais flatté, je n’en
tirais nulle vanité. Il en eût été tout autrement avec mes deux camarades,
mais j'étais résolu à lutter contre ce qu'il y avait d'immoral en moi. Si, d’aventure,
j’avais laissé mon plus bas instinct prendre l’avantage, j’aurais eu à me
mortifier de l’inconcevable trahison. Dans le secret de ma chambre, où je
pleurais d’avoir eu ces pensées païennes, je m’apaisais chaque nuit en faisant
revenir à moi le visage et le corps de mon dieu, je parvenais à la jouissance
en me disant qu’à mille lieues d’ici, l’être aimé se rapprochait de moi de la
même façon. Il m’arrivait aussi de trouver le sommeil en me livrant à un jeu dont
je savais que celui-là ne me ferait pas perdre mon latin : à voix basse,
je m’exerçais à la pratique des cinq déclinaisons. En psalmodiant "dominus, domine, dominum", je rendais grâces à mon jeune maître.
(À suivre)
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022
Ah, le petit galopin de nos corps... Joliment écrit, une fois de plus. L'entracte vous fut bénéfique.
RépondreSupprimerJ'avais pensé à de la nature... (campagne) et nous avons du latin... tite-live, oui, tacite aussi... mais Cicéron :-( - mon préféré était Lucrèce. Oui. C'est très joliment rendu. Les boucles d'Antinoüs... et le reste ;-)
RépondreSupprimerD'après Wikipedia : Les représentations artistiques d'Antinoüs se sont multipliées après sa mort par noyade dans le Nil, en 130. La plupart sont des statues, identifiables par les traits spécifiques du garçon et son attitude : tête tournée et penchée, yeux tournés vers le bas. La villa hadrienne est la source principale de ces représentations.
RépondreSupprimerIci , probablement le buste du British Museum
Ah ! La statuaire grecque ! Le nez dans la continuité du front et l'ourlet des lèvres. Le visage statufié d'Antinoüs dit d'Ecouant au Louvre est mon préféré. Quelle merveille de restitution de la beauté du grand amour de l’empereur Hadrien. Son profil, ses lèvres et merveille absolue qu'est sa chevelure, on a que l'envie de voler l'objet (je sais, c'est mal).
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