Nos amours sont révolutionnaires ! |
Septembre 1937
Claude, le narrateur, va entrer au lycée, à Montpellier.
Jean, son amour, ronge son frein au village, où il travaille, contraint et forcé, dans la menuiserie familiale. Accueilli chez son grand-oncle, un notable de la Préfecture de l'Hérault, Claude découvre la vie de citadin sous la protection d'un couple de garçons, Marcel Fabre et André Foulques, ces deux amants qu'il avait surpris s'embrassant passionnément à Saint-Jean quelques mois auparavant. Par un heureux hasard, Marcel est le fils d'un ami d'Octave Rochs, le grand-oncle.
— Nos amours sont révolutionnaires ! Nous devons en être
fiers, nous devons les cracher à la gueule de la bourgeoisie !
D’ordinaire placide, André, parfois, s’exaltait.
Il vaticinait, prédisant un avenir où tous les interdits seraient mis à bas
dans un maelström qui, du passé, ferait définitivement table rase. Son amant,
plus tempétueux de nature, pourtant, s’efforçait de tempérer des ardeurs qu’il jugeait inconsidérées :
— C’est ça, l’ami, promenons-nous en
ville main dans la main, bécotons-nous fougueusement sur un banc de l’esplanade,
baignons-nous tout nus dans le bassin du Peyrou en beuglant l’Internationale !
Et tant que nous y sommes, envoyons une photographie de nos ébats à ton camarade,
le petit père des peuples, celui qui envoie aux travaux forcés les homosexuels,
qu’il soupçonne tous de fricoter avec des petits garçons, affirmant que ce « vice »
est propre aux bourgeois et aux tsaristes !
Dans ces discussions, souvent vives,
entre le "socialo" et le "coco", je comptais les points et me forgeais peu à peu
une conscience politique. Je m’en faisais un devoir, en cette période où le
monde tournait cul par-dessus tête.
Parmi les camarades d’amphithéâtre de Marcel, il y avait un certain Désiré
Boisselier, qui nous avait abordés un matin au Café Riche, d’un « ces
messieurs » lourd de sous-entendus. Le type inspirait d’emblée l’antipathie.
C’était un petit homme rondouillard, falot, que la nature avait affligé d'un physique disgracieux. Livide, même quand
le soleil régnait sans discontinuer sur la région, il plastronnait en costume
trois pièces, aussi noir que l'étaient ses pensées. Ses cheveux
outrancièrement gominés retenaient l’attention, où tournicotaient des accroche-cœurs
qui évoquaient le Pierre Fresnay de Marius. À la différence près que l’acteur était beau, qu’aucune
faute de goût n’eût ridiculisé. L’indésirable Désiré, ce jeune homme déjà vieux,
nous avait collé aux basques pendant un interminable quart d’heure où, me
détaillant, il demanda qui était ce garçon si mignon – il prononça ce « mignon »
d’une voix soudainement flûtée - le « jeune protégé » de mes
compagnons, supposa-t-il perfidement. À contrecœur, Marcel lui expliqua qui j’étais,
s’en tenant cependant au strict minimum. Au seul nom de Rochs, l’attitude de l’importun
se fit déférente. Il s’inclina grotesquement, sourire obséquieux aux lèvres et s’évanouit
dans la foule qui se pressait sur la place. « Ordure fasciste » marmonna
Foulques, s’il était besoin de m’informer davantage, tant le physique de l’étudiant
me paraissait en adéquation avec son idéologie. De fascistes, il n’y en avait point à
Saint-Jean. J’allais apprendre combien ces gens malfaisants, cagoulards,
croix-de-feu et autres fanatiques, étaient prêts à surgir de l’ombre pour
exercer leur malfaisance. Trois ans auparavant, presque encore un enfant, je n’étais
pas averti que cette engeance avait failli renverser la République. Je ne
mettrais guère de temps à m’en affranchir. Dans un futur proche, j’aurais à combattre
ces gens au-delà de ce que je pouvais prévoir. Nous promenant tous trois, nous fîmes halte devant le Pathé Cinéma. L’acteur de la trilogie de Pagnol nous interpelait : une grande affiche, barrée d’un bandeau « Prochainement sur
notre écran », annonçait un nouveau film intitulé La grande illusion.
(À suivre)
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022
Pierre Fresnay dans Marius |
La grande illusion, c'est aussi Roland Sieffert à Neuf Brisach... non? J ai vérifié ;-) je ne suis donc pas Alzhi... pour le reste, le fascisme, l'E.D. .......... 😞
RépondreSupprimerPivoine : c'est bien, vous suivez !
RépondreSupprimerMoi aussi je le trouvais beau , Pierre Freynais. Serge
RépondreSupprimerJe suis assidu depuis le début, et ce soir assez gêné par le parallèle entre le physique et les idées… mais c’est bien sûr la perception du jeune et naïf Claude. Il y aura toujours de séduisants méchants.
RépondreSupprimerestèf
estèf : un "me semblait" en adéquation... eût été moins lapidaire, effectivement. Et vous avez raison : tenez, Eric Zemmour est super mignon, par exemple ! Je galéje, bien sûr. :)
RépondreSupprimerestèf : j'ai d'ailleurs atténué d'un "me paraissait". Merci pour la remarque.
RépondreSupprimerAvec plaisir Silvano, estèf.
SupprimerFormidable raccourci ! J'avais presque oublié l'excellent volet alsacien de ce roman choral.
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