lundi 17 octobre 2022

Mon amant de Saint-Jean | Épisode 49 : Le jardin extraordinaire.

  

Un baiser furtif et nous repartions...
   Jécrivis à mon amant de Saint-Jean, mais n’osai la relation de l’événement extraordinaire qui venait de se produire, remettant à plus tard ce que j’avais eu tout d’abord l’intention de lui confesser – était-ce bien le terme à employer ? Je m’étais convaincu sans peine qu’il était urgent d’attendre et de lui en parler quand nous nous reverrions au village, à Noël. Extraordinaire, cet événement, oui, car, outre ces débordements, il était hors du commun d’avoir partagé avec ce garçon dont le père était un client des Fabre, eux-mêmes collaborant étroitement avec mon généreux grand-oncle. Il était pour moi ahurissant que ces trois hommes nourrissent en leur sein autant de fieffés invertis !
   Les jeunes gens varient souvent, défaut ou qualité que l’on prête, en préjugé populaire (et masculin) aux femmes. Ainsi avais-je décidé – avec l’assentiment d’Émile, cette fois – qu’il fallait nous séparer en classe. Nous ne voulions éveiller le doute de nos condisciples sur la teneur de notre relation et pensions tous deux qu’une promiscuité de tous les instants nous porterait préjudice. « Je suis d’acc’ : de plus, on banderait tout le temps, on ne pourrait pas éviter de se toucher, ce serait une torture » avait approuvé l’ange pervers. Nous avions la ferme intention de recommencer, de nous découvrir davantage. La stricte observance que nous eûmes des consignes de Marcel plaidait en faveur d’un nouveau geste de sa part ; néanmoins, il ne fallait en abuser, d’autant que des mouvements inaccoutumés dans le petit immeuble seraient de nature à attiser la suspicion.
   Nous nous étions tout juste accordés des rencontres dans un jardin laissé en jachère, sur les hauteurs du faubourg, où proliféraient orties et herbes mauvaises. Quand nous étions sûrs de n’être pas observés, après avoir consciencieusement balayé les environs du regard, nous osions des frôlements de nos intimités comme des gosses curieux des choses de la vie. Le summum du contentement était de nous étancher mutuellement en scrutant les alentours, ce qui avivait notre excitation, et de mélanger nos semences sur la pierraille. Un baiser furtif et nous repartions chacun de notre côté. Ce pis-aller était toutefois plus satisfaisant que les plaisirs nocturnes que je m’octroyais dans ma chambre jusqu’alors. La seule différence, et non des moindres, était que Jules, dans ces moments, était étranger à mon plaisir.
   Au lycée, je faisais de jour en jour des progrès qui me valaient force compliments de mes professeurs et remplissaient d’aise l’oncle Octave. Mes parents, au risque de mettre à mal des finances maigrelettes, se faisaient un devoir d’envoyer un mandat chaque mois chez les Rochs. L’oncle avait eu beau dire que c’était hors de question, tant je fournissais un travail scolaire de bon niveau, ils s’obstinaient. Mon bien-aimé parent encaissait les mandats dont il mettait le montant de côté avec l’intention d’ouvrir à mon nom un livret à la caisse d’épargne de Rondelet. 
   Dans nos conversations susurrées, le soir, Magali avait pris l’habitude de m’appeler « Saint Claude ». Elle savait. Mais je m’étais gardé de lui conter mon aventure avec le jeune Boisselier. Bien qu’il fût de quelques semaines plus âgé, je veillais sur Émile, dont je savais qu’il était peu vigilant. Ce fut dramatiquement avéré quand, un lundi matin, il arriva au lycée le visage tuméfié.

(À suivre) 
©  Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022
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2 commentaires:

  1. Silvano , transmettez ma compassion à Emile . De nos jours on dirait qu'il a été tabassé par des loubards de La Paillade .
    Je signale , aux incultes comme moi et pour nos amis étrangers , que "étancher" en argot , signifie dans ce contexte : "Faire jouir (un homme) sexuellement".

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  2. Pour moi, ce n'est nullement de l'argot. On peut étancher différentes sortes de soif.

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