(...) photos d'acteurs en petite tenue... |
« Je me suis pris une porte dans la
figure ». L’explication, tellement galvaudée, ne fit pas illusion et nos
camarades s’en gaussèrent sans retenue, pendant que Monsieur Cordier observait
l’amoché avec circonspection. Dans le couloir, entre deux cours, Émile me révéla ce qui s’était passé : son détestable frère avait fouillé sa chambre et
découvert un cahier où l’imprudent compilait des images qui n’étaient pas
pieuses : photos d'acteurs en petite tenue dérobées dans les Cinémonde
de sa mère, images d’hommes en sous-vêtements prélevées dans des catalogues,
reproductions photographiques de sculptures gréco-romaines et autres œuvres
d’art exaltant la beauté masculine ; un véritable aveu ! Outre
l’affliction dans laquelle l’état du beau garçon me plongeait, je mesurai la
gravité du danger : le mal-nommé
Désiré ne m’avait-il pas vu un jour attablé avec les Nathanaël à la terrasse du
« Riche » ? Ses remarques caustiques, son attitude fielleuse –
« Qui est donc ce garçon si mignon ? » – me revenaient en
mémoire. Cette affaire nous condamnait à la clandestinité la plus absolue.
Désormais, je le décidai sur le champ, il n’était même plus question d’afficher
une quelconque complicité. Nous ne communiquerions que par billets qu’il
faudrait détruire après lecture. C’est par ces bouts de papier que nous fixerions
nos rendez-vous. Ce fut l’objet de l’unique échange verbal que nous eûmes ce
jour-là. Je confirmais de la sorte mon statut de « maître », sous
l’œil admiratif de mon partenaire. Cette expérience du secret me fut d’une
utilité non négligeable quand le grand raz de marée déferla sur nous. Ainsi, le
péril qui assombrissait mes rêves se présentait, empruntant une voie détournée,
tout aussi alarmante. Devant son désarroi, je n’eus pas à cœur d’exprimer la
colère sourde qu’induisait pareille inconséquence.
« Tu me fileras la moitié de ton
argent de poche chaque semaine si tu veux que je la ferme. » avait décrété
son aîné. Ma première impression se vérifiait : Désiré Boisselier était un
sale type. Par lui, la grande ville devenait menaçante, en comparaison de
laquelle Saint-Jean était un paradis sur terre. Je me réveillais en sueur,
parfois, au milieu de la nuit, au terme d’un cauchemar semblable à celui que je
fis l’été précédent. Je voyais déjà ma famille déshonorée. Je m’imaginais jeté
à la rue, vieilli prématurément sous l’opprobre, mendiant ma subsistance de
ville en ville, dormant sous des porches d’où l’on me chassait, quand on ne
faisait pas appel aux gendarmes pour m’en déloger. Je confiai mes noirs
pressentiments à Marcel qui me rassura : « Mon petit Claude, ne
t’inquiète pas. Nous avons sur cette enflure de Boisselier trop de dossiers
pour qu’il te cherche noise. À maître chanteur, maître chanteur et demi :
nous en savons assez pour qu’il renonce à vous harceler, son jeune frère et
toi. Je le lui ferai savoir dès demain entre deux cours. » Grâce te soit
rendue, Fabre ! Il n’est de jour sans que je pense à toi, à ton courage, à
ton dévouement, toi qui, souvent, vins à mon secours dans les moments les plus
tragiques de ma jeunesse, en regard desquels cet épisode n’était qu’anecdote
sans conséquence réelle. Le salaud ne préleva jamais sa part d’argent de poche,
adoptant à l’égard de son cadet une attitude distante, proche du mépris. Mais
nous étions saufs. Peu de temps après, je l’aperçus en ville. Il ne me vit pas.
Ou presque. Il allait, dans le futur, révéler une autre facette de sa
personnalité.
(À suivre)
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022
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C'est fou ce qu'à l'adolescence et même un peu avant, il faudrait quelqu'un pour inciter à une vigilance sans défaut, or c'est l'âge ou l'on n'est pas très prudent, même quand on sait qu'on doit l'être... et même quand on fait des bêtises, très innocemment. C'est un très bon chapitre, pcq il a un côté universel, bien sûr...
RépondreSupprimerLe problème Pivoine c'est que justement, ce beau chapitre n'est pas vraiment universel mais hélas intemporel car les précautions à prendre n'ont jamais été et ne sont toujours pas les mêmes pour deux garçons qui s'aiment (ou se désirent) et deux ados de sexes différents dans le même cas de figure. C'est tout le mérite me semble-t-il du projet de Silvano allias Louis Arjaillès de faire le point entre ce qui a changé entre nos grands-parents et nos enfants en mieux et souvent en pire. Quant à l'universalité, c'est une autre affaire: le monde et grand et divers: comme vous le savez bien, on lapide ou on pend dans de trop nombreux pays des petits amants aussi charmants que ceux de Saint-Jean.
RépondreSupprimerOui. Je le sais - bien. Je relisais, hier, un article sur le meurtre de Ihsane Jarfi. C'est arrivé "près de chez moi..." quand je parle des progrès actuels, pour les personnes (et la "culture") lgbt+, je rajoute toujours "ici et maintenant" (et même alors, c'est à nuancer...) c'est assez bizarre de se dire, quand on fréquente un groupe de lecture (ou l'autre) dans une association lgbt+, (où l'on peut parler librement) que sous d'autres latitudes, ben, on ne pourrait tout simplement pas être là. Dans le moins pire des cas ... bref. C'est un sujet douloureux... et en moi même, j'espère que les virages politiques dangereux qui nous pendent au nez ne vont pas emporter avec eux les progrès engrangés...
SupprimerPivoine (pardon de réagir si tard) : oui, les aléas politiques nous donnent des raisons d'être inquiets. Pour vous mettre d'accord, je dirais que l'universel et l'intemporel se rejoignent. Pour le meilleur et pour le pire.
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