(...) épanchements qui nous laissaient flapis ; mais heureux... |
Les semaines qui me séparaient du jour où je reprendrais le chemin de
Saint-Jean furent les plus courtes de ma jeune existence : j’étais un
élève studieux, l’un des meilleurs, qui n’osais espérer voir mon nom inscrit au
tableau d’honneur du premier trimestre. Mes succès scolaires ne faisaient pas
obstacle aux plaisirs extérieurs, qu’il s’agisse des divertissements communs
aux jeunes gens de mon âge ou de ceux, moins innocents, requis par une
sensualité bouillonnante qu’Émile se faisait fort d’apaiser. Les premiers
frimas de novembre nous avaient privés de nos effusions de plein air, mais la
chambre de Marcel, que mes infinies précautions lors de ma première visite, avaient
rendue plus accessible, nous accueillait chaque jeudi pour nous y réchauffer d’épanchements
qui nous laissaient flapis, mais heureux, prêts à affronter en toute sérénité
les aléas de la vie scolaire. Le dimanche, quand le grand-oncle n’avait pas décrété
un repas de famille sans fin, j’allais au cinéma avec les Nathanaël. Je ne
pouvais y convier mon jeune amant, de crainte d’avoir avec lui, à la faveur de
l’obscurité, un inconvenable comportement. Mais aussi, après la première
alerte, parce que notre relation devait rester secrète. Le « cinoche »,
comme disait Marcel, était source de félicités nouvelles que les spectacles
ambulants du village n’avaient pu m’offrir. Grâce à mes deux amis, je rattrapai mon retard : les films étaient déjà vieux d'un an,
que l’on diffusait sur de très grands écrans avec un son sans commune mesure
avec celui, crachouillant, de la salle communale. Je ne peux oublier mon émotion
lors de la projection des Bas-fonds, du grand Renoir, avec le beau Gabin, nos rires
convulsifs devant les évolutions de Charlie Chaplin dans ces Temps modernes
dont André avait loué les qualités « politiques ». Il détesta
toutefois La charge de la brigade légère, film qu’il qualifia de
réactionnaire en pleine séance pendant que je me pâmais de la prestance et de
la beauté d’Errol Flynn. Longtemps, j’enrageai devant le miroir de ne pouvoir
arborer cette moustache en trait de crayon qui était l’un des attraits du bel
acteur. De mauvaise foi, Foulques se plaisait à dénigrer ce « gandin qui
ne jouait que des rôles de ganaches galonnées ».
Malgré mes frasques avec l'excitant blondinet,
j’entretenais sans faillir ma correspondance hebdomadaire avec Jules, lequel me
faisait parvenir des missives qu’enflammait la perspective de nos retrouvailles
prochaines. Je m’étais persuadé que les étreintes avec mon camarade Boisselier
ne pouvaient altérer la profondeur de mes sentiments pour mon seul et
véritable amoureux. Il y avait là quelque duplicité qu’en d’autres temps, j'aurais condamnée avec véhémence. Peut-être ce jeu dangereux m' excitait-il. Pour achever
de me disculper, je me disais que, selon le prétendu bon sens populaire, ma
jeunesse devait se passer. Le plus agréablement possible. J'ignorais qu'à l'autre bout de la France, un garçon avec lequel j'aurais pu avoir quelques accointances, duquel l'âge et les inclinations me rapprochaient, traversait beaucoup moins aisément la passerelle du temps ; car Marcel n'avait évoqué que trop brièvement sa correspondance avec l'Alsacien.
(À suivre)
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022
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Errol Flynn |
Les temps modernes sont un grand film... je ne me souviens pas bien de la Charge de la Brigade légère... la version de 1968. Mais je vois que mes souvenirs ne m'avaient pas trop trompée. Erroll Flynn repasse ce soir dans Robin des bois. Sur arte. (Qui [robin des bois], avait donné des idées à Forster, dans Maurice... enfin soit.)
RépondreSupprimerFidèle Pivoine, j'ai été tenté par "Robin des bois", mais le film n'était pas sorti à l'époque.
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