(...) une musique venue du surnaturel. |
Pendant quelque temps, pas de jour sans que les badauds fassent une
halte devant Les Dames de France. C’était l’attraction du moment. Certes, les
faits étaient condamnables, mais j’avais pris le parti de ne pas participer aux
conversations sur un sujet qui faisait le miel de mes camarades de lycée. Je pensais que le bataillon de garçons qui avaient participé à ces parties fines en
disaient long sur le pouvoir de l’argent et, quand les amoureux que nous étions
devaient recourir à mille subterfuges pour cacher nos sentiments, j’en
ressentais un vif dégoût. André avait la même sensation, tandis que Marcel,
comme à son habitude, traitait l’affaire sous l’angle de la dérision. C’était
pour lui matière à plaisanterie, que ces notables ventripotents, jusque-là respectés
et, mieux encore, redoutés du petit peuple, car ils avaient avec eux le pouvoir
d’apposer un timbre sur des documents qui lui étaient essentiels, ou, pour
Poirier, celui d’embaucher ou de débaucher à merci. Son amant, en fervent
communiste, le rejoignait sur ce point. Nous croisions le fer lors des
rencontres du samedi au Colombier. Je ne sais pas, si, à cette époque, Foulques
connaissait les lois qui s’appliquaient en URSS aux invertis, et les sanctions
qui les frappaient durement. La « foi du charbonnier » était une caractéristique
des admirateurs du « petit père des peuples », banalisée en dogme par
le Parti.
Pierre Bloch ne s’intéressait pas
seulement à la littérature et aux sciences humaines. Il était épouvanté par les
informations qui parvenaient de l’Allemagne nazie sur les Juifs, et citait, également, les Tziganes et les Homosexuels, bien que, dans cette relation naissante,
je n’aie pas évoqué ma différence. Peut-être était-il apte, toutefois, à me
comprendre. Il était trop tôt. Il avait noté, bien sûr, ma relation avec Émile, l’avait
abordée très brièvement, probablement par pudeur, ou bien qu’il ne voulût en
juger. Tout juste avait-il affiché une grimace d’aversion en prononçant le nom
du frère aîné de mon amant. Un jour que j’étais devant sa maison, j’entendis
une musique venue du surnaturel. Pierre s’exerçait au violon, dont il jouait
admirablement. Il me confia qu’il suivait les cours du Conservatoire de la
Place Sainte-Anne, logé dans une bâtisse respectable dont je ne connaissais pas, jusqu'alors, la
destination. Il m’invita à assister aux auditions de fin d’année scolaire qui
se déroulaient en juin. Grâce à Émile qui m’avait fait découvrir Bach, et à Pierre,
qui, selon moi, était un grand musicien, ma culture musicale avait progressé à
grandes enjambées au cours de cette première année montpelliéraine.
J’abordai, à la première occasion, le
scandale « des Dames » avec Émile, qui gloussa : « Si j’avais
su que ça pouvait apporter la fortune ! Avec ces vieilles peaux, faut pas
être rebuté ! »
Puis la perplexité marquant ses traits « Au fait, sais-tu que le père
Poirier est « Action Française ? Mon frère doit le connaître. »
À suivre
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
Épisodes précédents : cliquer
Si vous êtes perdu(e) : clic
Illustration : Orchestre National de Radio France
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Bonjour. Ce blog rédigé bénévolement ne fait pas partie de ces réseaux "sociaux" où, sous couvert d'anonymat, on vient déverser ses petites ou grosses haines. Les commentaires "ronchons" ou égrillards ne sont pas publiés, de même que ceux dont le pseudo contient un lien menant vers un blog ou site pornographique. Signez d'un pseudo si vous voulez, sans en changer, de façon à ce que nous puissions sympathiser, merci !