lundi 20 février 2023

Mon amant de Saint-Jean | Épisode 64 : Coup de folie à Saint-Jean

(...) tu me montreras ça à Pâques, dis ?

    Jéchangeais avec Jules une correspondance suivie : nous n’y faillîmes jamais. Malgré les sollicitations, malgré l’éloignement, malgré les préoccupations de ma vie citadine, malgré l’emprise qu’exerçaient sur moi les diaboliques attraits dont Émile savait si bien tirer parti, je me faisais devoir de rapporter à mon villageois tant aimé les moindres détails du quotidien. Dans l’une de ses lettres, il avait écrit, en effet : « Dis-moi tout, ne me cache rien, même ce qui te fait jouir. » Et, sachant dorénavant, qu’au lieu de me valoir un blâme, le récit de mes délicieuses turpitudes lui procurait un intense plaisir, je ne lui cachais plus rien de mes enlacements lubriques, de nos jeux sans cesse renouvelés, aiguillonnés par le désir de découvrir toujours davantage les ressources de nos corps, insatiable curiosité de l’autre, inextinguible besoin de se surpasser. Parfois, il répondait : « C’est complètement fou, ce que vous avez fait, tu me montreras ça à Pâques, dis ? » Et nous vivions à distance le plus insensé, le plus irraisonné, le plus saugrenu des trios amoureux !
   Ses nouvelles du village, fatalement moins nourries, se limitaient à des potins qui n’allaient pas enrayer le cours de l’histoire du monde. De temps à autre, un événement imprimait quelques remous à la surface de l’eau croupie des journées ordinaires. Ainsi de cette histoire effroyable qui vint ébranler la quiétude du bourg aux premiers rayons du printemps. Je la retranscris telle que me l’écrivit Jules dans un courrier de mars 38 :

Alors, toi qui penses qu’il ne se passe jamais rien par chez nous, figure-toi que nous venons d’avoir un drame terrible, incroyable à tout le moins. Rien qu’y penser me file la chair de poule. Tu dois te rappeler le père Galipet, le garde-champêtre : un brave type, veuf, sans gosses, qu’on croisait jour après jour sans même le remarquer, faisant son travail avec méthode, toujours de bonne humeur – enfin, c’est ce qu’on croyait ! –, pas très courageux, fuyant les petits voyous au lieu de les serrer, un gars dont les annonces, d’une voix qui portait bien, nous rappelaient tout simplement qu’il existait. J’avais oublié, mais il est vrai que quand nous étions gamins, nous l’avions surnommé – va savoir pourquoi ! – « Galipettes », et on ne se privait pas de le lui chanter. J’ai réfléchi que, pendant toute sa vie, le père Galipet avait dû subir les moqueries de plusieurs générations de minots collés à ses basques en hurlant « Galipettes » sur l’air des lampions. On peut penser qu’à force, le brave homme était devenu sourd à ces railleries, qu’il s’en cognait, quoi. Mais voilà, et je te prie de croire que si certains en rigolent encore aujourd’hui, ce n’est pas mon cas, le sort s’est acharné sur le bonhomme. À la salle communale, ils ont passé un film de Fernandel intitulé
Ignace. Fernandel joue si bien les andouilles que c’était à mourir de rire. Le seul qui est resté de marbre, c’est le père Galipet. L’homme n’a pas pris son travail, lundi. Les hommes l’ont cherché partout jusqu’à sa réapparition, le mardi, dans son uniforme, gesticulant, hurlant sans cesse « Le premier qui... le premier qui… » en agitant un fusil imaginaire. Bref, il est devenu tellement fou qu’on a dû appeler les gendarmes. Ils l’ont emmené Dieu sait où. Voilà. Ah oui, défense de rire : le prénom de Galipet, c’est Ignace ! Tout est vrai, je te le jure. Je t’embrasse partout, mon salaud d’amour.
  
À suivre
©  Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
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1 commentaire:

  1. Vous allez mieux, apparemment ! Bel épisode "pagnolesque". Toujours surprenant, le Silvano-Louis !

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