Sa main fourrageant dans mon pantalon du dimanche, la mienne dans le
sien, ce fut bref, foudroyant. Les flonflons de la fête nous parvenaient,
assourdis, au bas de ce chemin buissonnier que nous avions dévalé, n’y tenant
plus, impatients de laisser déferler cette vague que rien ne pouvait plus
endiguer. Nous mêlions nos semences, nos salives et nos larmes. Nous n’étions
plus de ce monde. Nous nous sommes essuyés avec les pochettes de nos costumes
et Goupil a porté la mienne à son museau, déclarant que ça sentait la fleur de
châtaignier. J’ai fait comme lui de la sienne. Il a dit « Je t’en fais
cadeau » et je l’ai imité. Ce fut notre premier fou-rire depuis la mort de
Clément. « Demain, on ira se balader, on se mettra à poil, on se caressera
pendant des heures et après, on pourra se prendre comme avant, ce sera
magnifique, avait-il proclamé, lyrique. » J’ai répondu qu’à cette idée, je
recommençais à bander et qu’il fallait rejoindre la noce, que l'on pourrait
remarquer notre absence et que « vivement demain ! ». Aux
Aspres, chez cheveux-de-neige, les lumières trouaient la nuit. Depuis combien
de temps n’avait-il pas dormi ?
Ce dimanche-là, notre amour s’était
ragaillardi d’un bain de fraîcheur dans la rivière. Sortant de l’onde, Jules,
campé sur ses jambes d’athlète, exhibait fièrement sa nudité : « Hé,
regarde, c’est autre chose que le corps de ton freluquet de Montpellier, non ? »
Il était si beau que j’eus envie de le manger et de le boire. Comme s’il m’avait
lu, il dit que j’étais beau, moi aussi, mais blanc comme un cachet d’Aspro,
puis il m’étreignit avec force. « À table ! », pensai-je.
Quand nous fûmes rassasiés l’un de l’autre,
mon amoureux, encore haletant, demanda « C’est très loin d’ici, Palavas ?
J’ai envie de voir la mer presque autant que j’ai envie de toi, tout le temps.
Je trouverai un moyen. D’ailleurs, j’ai l’impression que mon paternel va lâcher
du lest : il est revenu tout drôle de sa conversation avec l’instituteur,
au cimetière, et ne m’a plus fait le plus petit reproche, depuis. Je vais me
débrouiller, c’est sûr ! »
Je regagnai Montpellier peu de temps après le mariage pour y apprendre qu’Émile
Boisselier était parti en vacances pour un mois chez une tante qui vivait au
Grau-du-Roi. La journée au grand air de l’Aveyron et notre fringale assouvie m’auraient
permis de résister à la tentation, mais je n’étais pas mécontent de n’y être
point soumis. Mon oncle, aveugle et sourd en ce qui concernait le fils de son
ami Fabre, se réjouissait de notre projet de vacances au bord de la
Méditerranée. J’avais retrouvé les Nathanaël au Colombier où les discussions
politiques étaient plus que jamais à l’ordre du jour. Daladier ne trouvait
grâce aux yeux d’aucun des participants, qui le trouvaient incapable de faire
preuve de fermeté. La suite des événements ne les démentirait pas.
Des
photos furent prises lors du mariage de ma sœur Madeleine. Je les ai pieusement
conservées. Sur l’une d’elles, je suis au premier rang, devant la mairie de
Saint-Jean. Derrière moi s’est glissé Jules Goupil, dans une posture telle que
l’on pourrait croire qu’il a posé sa tête sur mon épaule. Il affiche ce sourire malicieux
qui me faisait fondre. Dans ses yeux, on peut lire sa joie de défier ainsi l’objectif du
photographe. Des miens, au fil des ans, j’ai usé le petit rectangle dentelé. Je
peux rester très longtemps à détailler cette photographie, ne sachant si je
dois rire ou pleurer.
(À suivre)
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
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lundi 10 juillet 2023
Mon amant de Saint-Jean | Épisode 79 : Ouf, merci Aspro !
7 commentaires:
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Aspro ! Vous avez dit Aspro ! Chez moi on disait "blanc comme un cachet d'aspirine" .
RépondreSupprimerJe me demande si l'Aspro était diffusé en France avant la guerre : je n'ai retrouvé aucune publicité , par contre pour l'aspirine il y en a plusieurs .
Ah, voilà le pénible de service ! Oui, Aspro existait avant-guerre. Vous avez mal cherché, à part des poux dans la tête à l'auteur. Dans le cas contraire, le roman permet de romancer, savez-vous ?
RépondreSupprimerAspro a été conçu tout d'abord en Australie, puis distribué partout après 1918.
RépondreSupprimerMerci pour votre prose, j'ai adoré le "museau" de Goupil. C'est toujours très "cinématographique". Dans quel roman-fleuve vous êtes-vous lancé ! Et, surtout, merci pour tout.
A.J
Le parfum de la fleur de châtaignier est une notation typiquement cévenole qui authentifie parfaitement le récit de notre héros et la remarque de son ami Jules. Je suis content de vérifier, non pas que l'Aspro existait déjà en 1938 ce dont je n'ai pas douté mais que certaines sécrétions masculines avaient déjà ce parfum très particulier. Un beau chapitre donc plein d'enseignements et aussi chaud que ce début de juillet.
RépondreSupprimerQui n aimerait mettre en scène
RépondreSupprimerces assouvissements,cet appétit de vivre!
Ludovic exprime très exactement mon ressenti. Encore une belle page, merci !
RépondreSupprimerMerci pour ce cadeau hebdomadaire. Je vous lis sur mon phone à Sienne. Il fait chaud. Vos textes, c'est de l'air frais et le prénom du héros est très bien choisi.
RépondreSupprimerJules