lundi 24 juillet 2023

Mon amant de Saint-Jean | Épisode 80 : J'ai deux amours

 

 (...) ma mère qui m’avait offert un maillot de bain « de sportif »...

     Tant d’années après, je me demande encore comment mes parents et mon oncle avaient pu autoriser sans hésiter mon séjour estival en compagnie des Nathanaël. « Marcel et un copain de la faculté » avais-je menti. L’approbation d’Octave Rochs avait valeur de caution aux yeux de ma mère qui m’avait offert un maillot de bain « de sportif », identique à celui porté par le champion Jean Taris dans un documentaire donné en première partie de Marius, qui était sorti à nouveau au Régent.
« Un maillot de bain, pourquoi faire ? s’était moqué Marcel, on ira à Maguelone et on se baignera tout nus, tu peux compter sur André pour ça ! »
J’avais essayé le maillot et m’étais admiré dans la glace de l’armoire de ma petite chambre. Je m’estimais bien fait de ma personne. Mon corps, à présent, était celui d’un homme, et je concevais avec orgueil qu’il puisse susciter le désir. Je n’étais nullement pressé de régler mes affaires de corps et de cœur : dans un monde dans lequel le rejet, les railleries et la haine accablaient les gens de mon espèce, j’avais deux amants magnifiques, j’étais beau, insouciant, heureux.
Je passai ma dernière après-midi à Montpellier avec Pierre Bloch. Il n’aimait ni Gide ni Proust, les trouvait ampoulés, démodés, leur préférant des auteurs qu’il estimait plus novateurs, à l’instar d’Antonin Artaud et de Paul Éluard. Il en parlait avec une telle conviction que je me promis de découvrir cette nouvelle littérature. En guise de vacances, Pierre passerait la plus grande partie de l’été chez une tante qui vivait, seule, dans une petite maison de Sommières où, à la faveur d’une atmosphère plus paisible, il comptait travailler son violon « en quête de perfection », affirma-t-il sur un ton sentencieux.
   La recherche de la perfection n’était pas à mon programme. Je voulais profiter pleinement de ces journées confisquées aux tourments qui agitaient l’Europe, pressentant vaguement que nous vivions un bonheur éphémère. Il fallait jouir de tout, des fruits de l’été, du vin des Fabre, de la mer accueillante aux jeunes gens intrépides, et, pour peu que Jules parvienne à me rejoindre, de nos ardeurs sans cesse renouvelées. Il fallait jouir de notre jeunesse.
Il nous fallut emprunter un « petit train de Palavas » pris d’assaut comme à l’accoutumée. Des hordes de mioches s’y esquichaient, comme disait Magali, l’épuisette en bataille, les bouées de baudruche à la taille, déjà, prêts à l’immersion, mais « pas trop loin du bord, mon chéri ! ». Quand nous parvinrent à nous en extraire, les odeurs d’iode et d’ambre solaire vinrent nous confirmer que la grande ville était loin derrière nous. La villa louée par Marcel n’en était pas une, plutôt une petite maison de village égarée sur le front de mer, avec le strict nécessaire pour se laver et cuisiner. Pour l’amour, il y avait deux chambres meublées sommairement, disposant, néanmoins, de grands lits propices aux ébats les plus effrénés. Une banquette complice attendait, dans la grande pièce, de servir d’alibi en cas de visite impromptue d’un membre de la famille de Marcel. « Où dort ton copain ? ». En prévision, on revêtit cette couche de fortune de linge de lit prêt à faire illusion. La première nuit, j’eus bien du mal à m’endormir, tant les cris parvenant de la chambre voisine m’exaspérèrent. Ou m’excitèrent. Je pensai à Jules, ou, confusément, à Émile. Le lendemain matin, m'asseyant à la grande table vermoulue de la pièce commune, je chantonnais, guilleret, le grand succès de Joséphine Baker. Exténués, les Nathanaël ne firent leur apparition qu'en fin de matinée. 
 (À suivre)   ©  Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023 
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2 commentaires:

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