(...) ma mère qui m’avait offert un maillot de bain « de sportif »...
Tant d’années après, je me
demande encore comment mes parents et mon oncle avaient pu autoriser sans hésiter
mon séjour estival en compagnie des Nathanaël. « Marcel et un copain de la faculté »
avais-je menti. L’approbation d’Octave Rochs avait valeur de caution aux yeux
de ma mère qui m’avait offert un maillot de bain « de sportif »,
identique à celui porté par le champion Jean Taris dans un documentaire donné
en première partie de Marius, qui était sorti à nouveau au Régent.
« Un maillot de bain, pourquoi faire ? s’était moqué Marcel, on ira à
Maguelone et on se baignera tout nus, tu peux compter sur André pour ça ! »
J’avais essayé le maillot et m’étais admiré dans la glace de l’armoire de ma
petite chambre. Je m’estimais bien fait de ma personne. Mon corps, à présent,
était celui d’un homme, et je concevais avec orgueil qu’il puisse susciter le
désir. Je n’étais nullement pressé de régler mes affaires de corps et de cœur :
dans un monde dans lequel le rejet, les railleries et la haine accablaient les gens de
mon espèce, j’avais deux amants magnifiques, j’étais beau, insouciant, heureux.
Je passai ma dernière après-midi à Montpellier avec Pierre Bloch. Il n’aimait
ni Gide ni Proust, les trouvait ampoulés, démodés, leur préférant des auteurs
qu’il estimait plus novateurs, à l’instar d’Antonin Artaud et de Paul Éluard.
Il en parlait avec une telle conviction que je me promis de découvrir cette
nouvelle littérature. En guise de vacances, Pierre passerait la plus grande
partie de l’été chez une tante qui vivait, seule, dans une petite maison de
Sommières où, à la faveur d’une atmosphère plus paisible, il comptait travailler
son violon « en quête de perfection », affirma-t-il sur un ton
sentencieux.
La recherche de la perfection n’était
pas à mon programme. Je voulais profiter pleinement de ces journées confisquées
aux tourments qui agitaient l’Europe, pressentant vaguement que nous vivions un
bonheur éphémère. Il fallait jouir de tout, des fruits de l’été, du vin des
Fabre, de la mer accueillante aux jeunes gens intrépides, et, pour peu que
Jules parvienne à me rejoindre, de nos ardeurs sans cesse renouvelées. Il
fallait jouir de notre jeunesse.
Il nous fallut emprunter un « petit train de Palavas » pris d’assaut
comme à l’accoutumée. Des hordes de mioches s’y esquichaient, comme disait
Magali, l’épuisette en bataille, les bouées de baudruche à la taille, déjà,
prêts à l’immersion, mais « pas trop loin du bord, mon chéri ! ».
Quand nous parvinrent à nous en extraire, les odeurs d’iode et d’ambre solaire vinrent
nous confirmer que la grande ville était loin derrière nous. La villa louée par
Marcel n’en était pas une, plutôt une petite maison de village égarée sur le
front de mer, avec le strict nécessaire pour se laver et cuisiner. Pour l’amour,
il y avait deux chambres meublées sommairement, disposant, néanmoins, de grands
lits propices aux ébats les plus effrénés. Une banquette complice attendait,
dans la grande pièce, de servir d’alibi en cas de visite impromptue d’un membre
de la famille de Marcel. « Où dort ton copain ? ». En prévision,
on revêtit cette couche de fortune de linge de lit prêt à faire illusion. La première nuit, j’eus
bien du mal à m’endormir, tant les cris parvenant de la
chambre voisine m’exaspérèrent. Ou m’excitèrent. Je pensai à Jules, ou, confusément, à Émile. Le lendemain matin, m'asseyant à la grande table vermoulue de la pièce commune, je chantonnais, guilleret, le grand succès de Joséphine Baker. Exténués, les Nathanaël ne firent leur apparition qu'en fin de matinée.
(À suivre)
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
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C'est mon plaisir hebdomadaire. J'adore vivre avec vos personnages. Merci.
RépondreSupprimerPas mieux qu'Axel.
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