jeudi 31 août 2023

Atterré, ou pas ?

 

Avant l'été, un "tract Gallimard" intitulé Le français va très bien, merci, a alimenté la chronique et reçu un accueil critique enthousiaste, du Monde à Télérama, en passant par France Inter. Ma première réaction fut de m'en irriter. Je ne sus si je devais m'en flageller, trouver qu'elle était celle d'un"boomer" refusant une "évolution" du langage, si je devais me borner à constater placidement que, depuis les années 1980, les chercheurs en sciences cognitives semblent partager le constat d’une inversion de l’effet Flynn, et d’une baisse du QI moyen.

Or, cherchant à me déculpabiliser, je finis par tomber sur ce texte, écrit en 2019, qui anticipait une réponse au tract :

La disparition progressive des temps (subjonctif, passé simple, imparfait, formes composées du futur, participe passé…) donne lieu à une pensée au présent, limitée à l’instant, incapable de projections dans le temps. La généralisation du tutoiement, la disparition des majuscules et de la ponctuation sont autant de coups mortels portés à la subtilité de l’expression. Supprimer le mot « mademoiselle » est non seulement renoncer à l’esthétique d’un mot, mais également promouvoir l’idée qu’entre une petite fille et une femme, il n’y a rien. Moins de mots et moins de verbes conjugués, c’est moins de capacités à exprimer les émotions et moins de possibilité d’élaborer une pensée. « Des études ont montré qu’une partie de la violence dans la sphère publique et privée provient directement de l’incapacité à mettre des mots sur les émotions. Sans mot pour construire un raisonnement, la pensée complexe chère à Edgar Morin est entravée, rendue impossible. Plus le langage est pauvre, moins la pensée existe. L’histoire est riche d’exemples et les écrits sont nombreux, de Georges Orwell dans 1984 à Ray Bradbury dans Fahrenheit 451 qui ont relaté comment les dictatures de toutes obédiences entravaient la pensée en réduisant et tordant le nombre et le sens des mots. Il n’y a pas de pensée critique sans pensée. Et il n’y a pas de pensée sans mots. Comment construire une pensée hypothético-déductive sans maîtrise du conditionnel ? Comment envisager l’avenir sans conjugaison au futur ? Comment appréhender une temporalité, une succession d’éléments dans le temps, qu’ils soient passés ou à venir, ainsi que leur durée relative, sans une langue qui fait la différence entre ce qui aurait pu être, ce qui a été, ce qui est, ce qui pourrait advenir, et ce qui sera après que ce qui pourrait advenir soit advenu ? Si un cri de ralliement devait se faire entendre aujourd’hui, ce serait celui, adressé aux parents et aux enseignants : faites parler, lire et écrire vos enfants, vos élèves, vos étudiants. Enseignez et pratiquez la langue dans ses formes les plus variées, même si elle semble compliquée, surtout si elle est compliquée. Parce que dans cet effort se trouve la liberté. Ceux qui expliquent à longueur de temps qu’il faut simplifier l’orthographe, purger la langue de ses « défauts », abolir les genres, les temps, les nuances, tout ce qui crée de la complexité sont les fossoyeurs de l’esprit humain. Il n’est pas de liberté sans exigences. Il n’est pas de beauté sans la pensée de la beauté. "

Christophe Clavé.

3 commentaires:

  1. Je suis pour une simplification de l'orthographe :
    - en remplaçant le ph par le f ; introduit artificiellement pour les mots d'origine grecque ; autrement il faut introduire des signes distinctifs pour tous les mots étrangers .
    - en gommant les différences entre mots de même racine :
    + le doublement d'une consonne : salle/salon , charrette/chariot ( sauf pour créer un nouveau son )
    + en supprimant l'accent circonflexe : icône/iconoclaste , jeûner/ déjeuner , grâce/gracieux ...

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  2. pdvu : par exemple "elle est sale" - "une très belle sale". :)
    Et vive l'accent circonflexe !

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  3. Bonjour.
    Merci pour ce texte : je n'ai pas assez de mains pour l'applaudir comme il faudrait.
    Malheureusement, ce n'est pas propre au français. Comme prof dans une institution internationale, je me bats pour que les étudiants respectent la langue dans laquelle ils lisent et écrivent et je sais bien comment leur incapacité à comprendre les textes proposés ne vient pas d'abord de difficultés devant les aspects spéculatifs mais de celles à voir la structure des phrases parce qu'ils ne savent pas ce qu'est la ponctuation et qu'ils ignorent tous les éléments qui donnent leur structure logique à la phrase et au texte. Il faut leur réapprendre à lire et leur réinculquer, si jamais cela a déjà été fait dans leur scolarité, les bases de la grammaire.

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