Neuf-Brisach, août 1938
Il
y a deux Brisach : le neuf, en France, et le vieux, Breisach am Rhein, de
l’autre côté du fleuve. Il faut quelques battements d’ailes à une escadrille d’alouettes
pour relier les deux villes. Depuis l’arrivée de Hitler au pouvoir, de l’autre
côté, la vieille cité du Bade-Wurtemberg n’est plus du même monde.
Pour donner
quelque crédit à la rumeur d’une idylle pour le moins hypothétique avec Mathilde
Meyer. Roland Sieffert vient la chercher au presbytère après le culte du
dimanche et l’emmène pour une promenade sur le chemin qui longe le Rhin, où
ils peuvent croiser des concitoyens, lesquels, souvent, leur adressent un
sourire de connivence. Ils se nichent au creux d’un tapis d’herbes sauvages
pour des conversations d’une banalité qui assombrit l’humeur du garçon, éveillent
sa nostalgie de la grande ville et de ses cinémas, des tubes de néon qui
ensoleillent la vitrine du magasin de Monsieur Kurz, le photographe, devant
laquelle, chaque soir, il prend racine pour observer dans ses moindres détails
l’objet de sa convoitise, cette caméra Pathé Baby à ressorts avec laquelle il s’imagine,
en petit Jean Renoir, filmant les mille scénarios qu’il a échafaudés dans les
moments où la solitude lui ouvre les portes du rêve de sa vie.
Pauvre Mathilde
qui croit déceler, en Roland, un émoi qu’elle inspire sûrement, alors que, braquant
son regard sur l’autre rive, rien n’échappe au jeune homme des adolescents des
Jeunesses Hitlériennes, que tout, par ailleurs, l’incite à détester. Ils s’exercent
à la lutte, torses nus, gonflés d’une puissante musculature, bronzés, farouches,
déjà prêts aux combats futurs ! Ils ont confectionné une sorte de grande
piscine gonflable où ils s’ébattent à présent, débarrassés de tout vêtement.
Roland plaque ses deux mains sur les yeux de la gamine : « Ne regarde
pas, Mathilde ! », quand lui se repaît, en douce, du spectacle.
Si ce
n’était l’amour de ses parents, sa tendre complicité avec sa sœur, ces vacances
dans sa cité natale, lui seraient une épreuve insurmontable. Il s’est décidé à rédiger
une longue lettre, cent fois réécrite, à Marcel, le Montpelliérain, qui, à
cette heure, doit faire la fête sous le soleil méditerranéen et, sans nul
doute, faire l’amour. Roland ne doit les battements de son cœur qu’à la grande
illusion qui s’est emparée de lui quand l’équipe du grand cinéaste a pris d’assaut
sa terre natale au cours de l’hiver le plus doux de sa jeune vie. Il aura bientôt
dix-sept ans. Comment les vivre pleinement, ici ?
(À suivre)
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2024
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Si vous êtes perdu (e) : repères
Vite , que Roland rejoigne Marcel pour se mettre à l'abri des nazis !
RépondreSupprimeruvdp : vous voulez bien écrire la suite ? Merci d'avance.
RépondreSupprimerRoland ne doit les battements de son cœur qu’à la grande illusion qui s’est emparée de lui quand l’équipe du grand cinéaste a pris d’assaut sa terre natale au cours de l’hiver le plus doux de sa jeune vie. Il aura bientôt dix-sept ans. Commente les vivre pleinement, ici ?
RépondreSupprimerSilvano, je pense que vous avez fait une erreur de frappe dans la dernière phrase : Comment les vivre pleinement, ici ? [Comment, sans e final.]
Amicalement, Frédéric.
Merci, Frédéric !
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