"Je fus sauvé par un chat. Son museau apparut brusquement devant moi entre les bûches, et nous nous regardâmes un instant avec étonnement. C'était un incroyable matou pelé, galeux, couleur de marmelade d'oranges, aux oreilles en lambeaux et avec une de ces mines moustachues, patibulaires et renseignées que les vieux matons finissent par acquérir à force d'expériences riches et variées.
mercredi 16 octobre 2024
Le bon chatmaritain
Il me regarda attentivement, après quoi, sans hésiter, il se mit à me lécher la figure.
J'avais encore des parcelles de gâteau au pavot répandues sur mes joues et mon menton, collées par mes larmes. Ces caresses étaient strictement intéressées. Mais cela m'était égal. La sensation de cette langue râpeuse et chaude sur mon visage me fit sourire de délice - je fermai les yeux et me laissai faire - pas plus à ce moment-là que plus tard, au cours de mon existence, je n'ai cherché savoir ce qu'il y avait exactement derrière les marques d'affection qu'on me prodiguait. Ce qui comptait, c'est qu'il y avait là un museau amical et une langue chaude et appliquée qui allait et venait sur ma figure avec toutes les apparences de la tendresse et de la compassion.
Il ne m'en faut pas davantage pour être heureux
Lorsque le matou eut fini ses épanchements, je me sentis beaucoup mieux. Le monde offrait encore des possibilités et des amitiés qu'il n'était pas possible de négliger. Le chat se frottait à présent contre mon visage, en ronronnant. J'essayai d'imiter son ronron, et nous eûmes une pinte de bon temps, en ronronnant, tous les deux, à qui mieux mieux. Je ramassai les miettes du gâteau au fond de ma poche et les lui offris. Il se montra intéressé et s'appuya contre mon nez, la queue raide.
Il me mordit l’oreille. Bref, la vie valait à nouveau la peine d'être vécue. Cinq minutes plus tard, je grimpais hors de mon édifice de bois et me dirigeais vers la maison, les mains dans les poches en sifflotant, le chat sur mes talons.
J'ai toujours pensé depuis qu'il vaut mieux avoir quelques miettes de gâteau sur soi, dans la vie, si on veut être aimé d'une manière vraiment désintéressée."
Romain Gary, La Promesse de l’aube
3 commentaires:
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J'ai eu un chat qui , le soir , parfois , me léchait la figure avant d'aller se coucher .
RépondreSupprimerLa conclusion est très amusante.
RépondreSupprimer"une pinte de bon temps", la formule est bien trouvée.
RépondreSupprimerSeb