Enfants au sommet de la tour Hassan - L'accès est interdit de nos jours |
Quand on est un petit garçon, le temps est une éternité.
Longtemps, je ne gardais du Maroc qu’un souvenir de fandangos endiablés dans ma chambre, où je m’affublais d'un vieux rideau verdâtre imprimé de fleurs jaunes : je devenais ainsi l’une des danseuses de la troupe de L’Eldorado, qui dressait son chapiteau, une fois par trimestre, dans le terrain vague voisin sommairement nettoyé. Les parfums sont tenaces qui surgissent parfois d’un recoin de ma mémoire : odeurs d’alcali, de sciure, mêlées de manière confuse à celle des merguez et des brochettes qu’on dégustait à même le trottoir de l’avenue Marie Feuillet.
Le théâtre ambulant présentait une revue où se succédaient danseurs de flamenco, chansons et numéros comiques. Avec Gabriel, mon frère, je reconstituais ces spectacles à la maison, ou dans la coursive quand les voisins, excédés par le bruit de nos piétinements, étaient venus protester.
... je me levais à l'aube pour aller servir la messe à Saint Joseph |
Ma famille vécut pendant quatre années à Rabat, dans le quartier de l’Océan. À l’âge de six ans, je me levais à l’aube pour aller servir la messe à Saint Joseph ; ensuite j’allais à l’école Sainte Marguerite-Marie où j’appris à lire et à écrire, mais aussi les premiers rudiments du piano sous la férule d’un professeur sévère et indulgent à la fois, du nom de M. Desclaux.
Outre les cours dispensés, à l’aide de la Méthode Rose, sur le piano à chandeliers de l’école, M. Desclaux venait, une fois la semaine, m’enseigner le solfège à la maison.
Jusqu’à un âge avancé fut occultée de mes souvenirs la haute silhouette campée fièrement sur ses jambes, devant le commissariat de la rue du Vardar à Rabat, d’un homme jeune au corps élancé, fier sans doute de son état de policier du Roi.
Je ne sais plus de quoi nous parlions en ces longues conversations d’après l’école ; je sais qu’il m’écoutait, toujours attentif, moi le petit garçon ébloui par le bel uniforme gris-vert et la casquette frappée de l’étoile chérifienne.
Un sourire permanent adoucissait son beau visage brun aux traits réguliers, qu’ombraient à peine quelques poils rétifs à la lame du rasoir.
Je sais qu’il me respectait, non parce que j’étais l’un de ces fils de « français » qui coopéraient avec les marocains après l’indépendance, mais parce qu’il savait exercer sur moi, peut-être, une fascination dont il était fier.
Je ne pouvais m’expliquer le trouble, l’étrange sensation qui me parcourait quand nous devisions sur ce bout de trottoir.
Aujourd'hui, j'ai compris.
(c) Louis Arjaillès - Gay Cultes 2017
Je me retrouve instantannément dans l'ambiance de "Tombe, Victor".
RépondreSupprimerUn plaisir.
Vos me donnez envie de le relire.
On trouve toujours d'autres chemins dans de bons romans.
Marie
Merci Marie. Oui, c'est dans l'esprit, car écrit dans la même période.
RépondreSupprimerEmouvant, comme toujours.
RépondreSupprimerMerci.
Jules
bonsoir je vivais au Maroc dans les annees 1970 mais cette eglise de Rabat avait disparu.je n'en ai aucun souvenir. troisdemi.
RépondreSupprimerSur le plan technique (littéraire), je n'adhère pas à la coupe, même si elle est très bien vue aujourd'hui (au moins en France) où d'aucuns trouvent que plus on allège, mieux c'est - comme dans la cuisine de ce temps, plus triste que celle des traditions des terroirs. La hantise des longueurs, des digressions, des "faux-plats" de la pensée de l'auteur érige en modèle d'excellence le style le plus épuré possible. C'est un peu comme si, dans les arts visuels, on supprimait toutes les ombres ! sans lesquelles (merci Rostand) "les choses ne seraient pas ce qu'elles sont."
RépondreSupprimerOr je n'aime pas retenir mes plaisirs, ni ne crains d'avoir une plus grande "entièreté" de ce qu'est l'écrivain qui m'intéresse, sans le maquillage artificiel des interventions frileuses (incluant l'auto-censure). J'aime l'ampleur et préfère de beaucoup les pierres précieuses à leur état naturel que taillées dans la perpétuité d'une norme uniforme.
Bref, je vous encourage à ne plus rien couper et faire confiance à l’authenticité du libre cours de la main.
Merci Petrus. Pour "Tombe, Victor !", j'ai voulu que l'action se déroule dans un même lieu. Pour moi, il ne s'agit pas d'une "coupe". Et pourtant, je suis un "écrivain"... instinctif.
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