lundi 31 juillet 2023

Mon amant de Saint-Jean | Épisode 81 : Les vacances au bord de la mer

(...) nous avions su que l’amour se fait.
André Foulques ne concevait pas les bains de mer comme le commun des mortels. Il fallait qu’il soit nu pour s’adonner aux plaisirs de la natation. Sous un soleil assassin, nous devions parcourir plusieurs kilomètres le long du chemin rocailleux qui menait à Maguelone, sur lequel il ne serait venu à l’idée du péquin moyen, escorté par femme et enfants en ribambelle, d’user ses espadrilles jusqu’à la corde. Sur cette vaste étendue de sable blanc, dont on se refilait l’adresse sous le maillot, prestement ôté au demeurant, s’offraient à Phébus quelques initiés, dont le tout-Montpellier interlope en goguette, duquel il fallait convenir que nous étions.
   La satisfaction de notre ami se méritait : nous arrivions au but, fourbus, mais heureux du silence qui détonait avec les cris et les odeurs d’ambre solaire de la plage où s’entassait le tout-venant. Malgré nos opinions, nous n’étions pas mécontents d’avoir fui les « congép’ » tels que les désignait le plus rouge d’entre nous. Nous en riions, et le traitions de fasciste, en lui assénant quelques coups de serviettes vengeurs.
   Je suis revenu à Maguelone à la fin des années soixante-dix : de Palavas, on peut à présent accéder à la Basilique et à la plage en contrebas, en prenant place dans une navette. Un panneau indique la « zone naturiste », où se presse désormais une foule d’adeptes, touristes allemands ou scandinaves, homos décomplexés made in France, et petits voyous en quête de plaisirs interdits. En ce mois de juillet 1938, c’était quasiment désertique. J’enviais mes deux compagnons, appréciais du coin de l’œil leurs étreintes et leur course sur le rivage pour atteindre la mer tant désirée, où ils évoluaient en tritons, quand je n’étais qu’un piètre nageur. Ma seule expérience était que j’avais appris à éviter la noyade, quand Jules m’avait appris comment ne pas sombrer, là-bas, dans un trou d’eau, au bord duquel, un an auparavant, nous avions su que l’amour se fait. Alors, je me bornais à évoluer d’une brasse maladroite, non loin du bord, quand les Nathanaël n’étaient plus que deux points, deux esquifs traçant leur route au large.
   Nous nous retrouvions ensuite, partagions, en guise de goûter, pêches de Mauguio et melons achetés sur le marché, au bord du Lez, notre fleuve à nous, avant qu’ici, Palavas-les-Flots, il ne se précipite mollement dans la Méditerranée. Il fallait bien revenir à la « cabane » – c’est ainsi qu’on nommait, à cette époque, les petites maisons que louaient aux estrangers les autochtones – où nous attendaient, en rangs serrés, des escadrilles de moustiques prêts à nous dévorer. Mais Marcel, le potard, avait pris soin d’emporter avec lui une potion-miracle à base de citronnelle dont nous nous enduisions sans l’économiser.
   Nous disposions d’un réchaud à gaz utile à nos maigres agapes du soir, tellines en persillade et petites fritures, dignes, en cette belle compagnie, des meilleurs restaurants de la grande ville. Chaque soir, ils s’aimaient. Je les laissais jouir tranquillement de leur bonheur, quittais la cabane sans bruit, me promenais sur la rive droite, m’asseyais en terrasse d’un café, lequel, ici, n’était pas « riche », et buvais un verre d’un mauvais vin de pays que je trouvais divin. Au retour, la potion, affadie, n'était plus un rempart. Je subissais les assauts de la horde assoiffée, qui avait trouvé en moi une proie idéale. Plus de râles, plus de grincements de sommier, la maisonnette s’était endormie. Dans le lit, malgré les démangeaisons, je m’endormais en appelant mon amant de Saint-Jean. Viendrait-il ?
(À suivre)    ©  Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023 
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2 commentaires:

  1. Ce chapitre évoque de vieux souvenirs pour moi. Je ne fréquantais pas Maguelone mais Pissevache près de Saint Pierre
    Demian

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  2. Quel beau travail, merci !

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