jeudi 30 mars 2023

lundi 27 mars 2023

Mon amant de Saint-Jean | Épisode 67 : Au pas de l'oie

 

 Les barbares (...) sur les traces de Beethoven, Schubert, Mozart et Mahler...

   Émile Boisselier n’était guère féru de politique. L’adhésion de son frère aîné aux thèses de Maurras lui avait fait toutefois prendre conscience qu’il ne pencherait jamais de ce côté-là. Il se prétendait trop jeune pour s’en préoccuper et me disait qu’il avait bien le temps de se forger de véritables convictions. Il manifesta cependant une indignation non feinte quand Hitler jeta son dévolu sur l’Autriche et fit une entrée triomphale dans une Vienne pavoisée d’oriflammes à croix gammée. Les barbares défilant au pas de l’oie au son de la musique militaire sur les traces de Beethoven, Schubert, Mozart et Mahler dans la ville la plus éminemment musicale d’Europe, il y avait de quoi l’ulcérer.  Pour ma part, j’avais tenu compte de la mise en garde – à prendre comme un ordre –, de mon père, et j’avais renoncé à adhérer au Parti.  J’en concevais néanmoins une sourde culpabilité. Les Nathanaël ne me jugeaient pas, estimant sans doute que, moi aussi, j’avais bien le temps. Il se vérifierait, quelques mois plus tard, que mon père avait ses raisons. Que les événements justifieraient.
   Pour l’heure, j’avais tout mon content d’amour et d’amitié, j’étudiais avec ardeur, j’étais heureux d’apprendre, de constater par moi-même une indéniable évolution : je devenais un homme, tout simplement. Ce qui faisait de moi un être différent ne me préoccupait guère, pas assez sans doute. J’avais organisé ma vie de telle façon que je pensais être parvenu à en écarter les dangers qui planaient au-dessus des gens de mon acabit : dénonciations, réprobation populaire, ostracisme au sein de la famille comme Louis-le-coiffeur, mon oncle chéri, étaient le lot de nombre d’entre nous.
   Comme si j’avais voulu gagner du temps, celui qui me séparait des avanies que mon état ne manquerait pas de mettre sur ma route, je me jetai à cœur perdu sur tous les plaisirs dont je pouvais disposer. C’étaient ceux d’un adolescent ordinaire vivant dans une grande ville, partageant ses heures de liberté entre lecture, cinéma et promenades citadines.  
   Les joutes charnelles tout contre Émile, le jeudi, étaient le point culminant de la semaine. C’était, avec lui, comme une cérémonie. On se contemplait longuement en silence, recueillis, avant de s’unir jusqu’à obtenir la délivrance. Nos ébats étaient raffinés, à l’opposé des combats de fauves du dernier été à Saint-Jean, où, avec Jules, j’avais découvert l’amour physique. Il ne pouvait en être autrement : l’amant villageois était robuste, animal presque, qui m’étreignait si fort que j’aurais pu me fondre en lui. Peut-être avait-il gardé sur lui l’empreinte de mon corps, comme un tatouage, une trace indélébile de nos effusions. Je riais intérieurement de penser qu’avec Émile, je faisais l’amour bourgeoisement, avec juste assez de retenue dans la frénésie pour conserver l’illusion de la dignité.
   J’avais, pour mon complice montpelliérain, outre ces fébriles égarements, une véritable estime. Je l’admirais pour sa culture musicale, lui savais gré à jamais de m’avoir fait découvrir Bach, le plaignais d’avoir à affronter chaque jour le regard narquois de l’ignoble Désiré, son frère. Il m’avait un jour offert une cravate de soie que j’avais enfouie dans la malle – la « cantine », disait mon père qui avait fait son service militaire – qui avait contenu toutes mes affaires quand j’avais fait le voyage de départ pour ma nouvelle vie. Je n’aurais pu arborer ce bel accessoire vestimentaire au sein du cercle familial et susciter d’embarrassantes curiosités. J’avais dû prier Émile de renoncer à des cadeaux trop ostentatoires. D’autant que, malgré la munificence dont faisait preuve mon grand-oncle en ne faisant pas usage des sommes envoyées par mes parents sous forme de mandats, je n’avais pas les moyens de lui rendre la pareille. Et je ne voulais pas que mon blondinet aux yeux noirs soit le riche et moi le pauvre. Intelligent, il se plia parfaitement, par la suite, à ce modus vivendi. Ainsi, nous pouvions à tour de rôle nous offrir une crème glacée, un café, ou, les jours fastes pour moi, un billet de cinéma. Nous abrégions parfois nos enlacements hebdomadaires pour aller à Saint-Pierre écouter l’organiste. C’était comme un moment de grâce. Il avait dit, joliment drôle : « C’est le digestif après le banquet. »   
©  Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
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La tombe de Franz Schubert à Vienne

dimanche 26 mars 2023

"Gradus ad Parnassum" : Jean Rondeau et son clavier incandescent

 On le savait : Jean Rondeau excelle à tirer de son clavecin des sonorités uniques. Avec son nouvel album, il aborde des œuvres destinées, à l'origine, au pianoforte ou au piano "moderne", comme le fameux Doctor Gradus ad Parnassum des Children's corner de Debussy, cheval de bataille des élèves pianistes désireux d'afficher leur dextérité. Comme pour Haydn ou Mozart (la Fantaisie en ré mineur ci-dessous), Rondeau transfigure l'œuvre, permet d'en découvrir des aspects jusqu'alors ignorés.
Disque "classique" (tellement moderne) de l'année ?

Jean Rondeau : Gradus ad Parnassum
Warner/Érato (CD et numérique) 
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samedi 25 mars 2023

Guillaume Diop, l'Étoile noire : bravo !


Le mystère Koller

 

Rudolf Koller (Suisse -1828-1905) : Naked Young Boy Laying Outdoors, vente Sotheby de décembre 2014




Ce peintre naturaliste a laissé beaucoup de scènes de la vie aux champs ou des portraits animaliers remarquablement expressifs. On relève, étonnamment, dans cette vaste symphonie pastorale, des adolescents dénudés. Mais on ne trouve nulle part de biographie de l'artiste qui nous donnerait peut-être la raison de cette liberté prise avec son domaine (champêtre) de prédilection. Mystère.

Découvrons "Le bleu du caftan", en salles aujourd'hui


Synopsis

Halim est marié depuis longtemps à Mina, avec qui il tient un magasin traditionnel de caftans dans la médina de Salé, au Maroc. Le couple vit depuis toujours avec le secret d’Halim, son homosexualité qu’il a appris à taire. La maladie de Mina et l’arrivée d’un jeune apprenti vont bouleverser cet équilibre. Unis dans leur amour, chacun va aider l’autre à affronter ses peurs.

Maryam Touzani aborde dans son film un sujet ultra-tabou, l'homosexualité au Maroc, traitée, semble-t-il, avec délicatesse si l'on en juge par cette bande-annonce. Certains commentaires, dans YouTube, font froid dans le dos. On n'est pas sortis du moyen-âge. 
Ayoub Missioui et Saleh Bakri


Génial Keaton

 

Ses films
sont modernes
pour toujours.

mardi 21 mars 2023

Comme une peinture sur toile

 

Par Giuseppe Riserbato, photographe de Florence

lundi 20 mars 2023

Mon amant de Saint-Jean | Épisode 66 : Printemps précoce

 

J’étais émerveillé par les sonorités qui jaillissaient...

Souvent, nous évoquions Paris. À travers les récits, les articles de presse et les actualités cinématographiques, nous en étions venus à éprouver une certaine fascination mêlée de crainte pour la capitale. Nous imaginions avec quelque raison une fourmilière humaine grouillante de petites gens laborieuses, d’artistes, d’écrivains, de poètes, de financiers sans scrupules, de femmes chic et de catins, tout ce monde s’engouffrant à heures fixes dans le métropolitain, auprès duquel notre vieux tramway poussif faisait figure de patache d’un autre temps. C’est là que se jouait notre destin, entre les mains des politiciens, des hommes d’affaires et des banquiers. Les films que nous aimions reflétaient la condition humaine, telle que s’y vivait celle des prolos trimant sous le joug du grand capital. Nous étions tout autant subjugués par la nouvelle culture dont les surréalistes étaient les plus excitants représentants. André en était un fervent admirateur – un disciple, disait-il. Il citait des noms qui m’étaient encore peu familiers : issu des Beaux-Arts, il rejetait l’académisme, vénérait le cubisme et les deux Espagnols, Dali et Picasso. Il vouait la même admiration aux poètes Paul Éluard et Louis Aragon. Ce dernier avait adhéré au Parti Communiste, ce qui n’était pas la moindre des vertus pour notre ami. Lors des rencontres du Colombier, il nous lisait fiévreusement les strophes de ces nouveaux grands hommes, vrais héritiers, selon lui, de Baudelaire et de Lautréamont. Ces moments métamorphosaient le taciturne Foulques en porte-drapeau exalté d’un monde nouveau, chantre, par ailleurs, de l’antimilitarisme et pourfendeur de l’empire colonial. Encore mal dégrossi intellectuellement, je buvais ses paroles jusqu’à plus soif, moi qui venais d’aborder les études les plus classiques qui soient, dans un cadre que je trouvais à présent étriqué.
   Qu’il était loin ce village où j’avais vécu mes premières années, bercé par des parents aimants, ignorant du tumulte d’un monde où s’annonçait la période la plus noire de l’Histoire. Par les courriers de mon Jules tant aimé, il m’en parvenait chaque semaine des nouvelles où quelques surprises venaient parfois troubler la monotonie du quotidien en milieu rural : le cheval du père Sastre, victime d’un étrange coup de sang, s’était effondré au beau milieu de la place et on avait dû l’abattre. Clément Chaumard avait disparu pendant trois jours, donnant lieu à une véritable battue dans la campagne et les bois environnants. Jules et moi savions bien où il était. Goupil m’avait écrit, dans sa dernière lettre, que Solange Gleize ne buvait plus, à la stupéfaction de ses concitoyens, jusqu’à ce que soit découvert le pot-aux-roses : elle était enceinte ! Ce qui était peut-être le cas de ma propre sœur dont les épousailles avec Jean-Paul Raynal avaient été avancées. Il s’en réjouissait, car c’était l’occasion de retrouvailles, et cette fois, écrivait-il, « cheveux-de-neige sera chez lui, et on pourra enfin se revoir comme il faut, tu m’as compris. »
   Un printemps précoce, un début d’été presque, avait donné à Montpellier de belles couleurs dès les premiers jours de mars où les giboulées de saison nous avaient snobés. Je n’avais pas eu besoin des primevères pour exacerber mes sens : l’hiver avait été émaillé de mes joutes charnelles avec un Émile qui, maintenant, avait revêtu ces tenues plus légères qui exaltaient sa beauté. Ses pantalons courts avaient refait leur apparition, qui m’émoustillaient à chaque rencontre. J’avais été accueilli avec bienveillance chez mon nouvel ami, Pierre Bloch, lequel, en présence de son adorable maman, m’avait donné un véritable récital de violon. J’y avais découvert des compositeurs jusqu’alors inconnus de moi, Telemann, Mendelssohn, mais aussi du Bach et du Beethoven. J’étais émerveillé par les sonorités qui jaillissaient ou, tantôt, affleuraient avec une délicatesse infinie de l’instrument. C’est la période où je devins un fervent mélomane. Celle, aussi, où je réalisai l’inanité de l’antisémitisme.
   Chez mon grand-oncle se pressaient tous les soirs des hommes venus débattre de politique dans une effervescence que je trouvais alarmante ; je me réfugiais à la cuisine avec ma tante et ma cousine, tendant l’oreille vers ces discussions qui éveillaient en moi la fibre politique. Léon Blum venait de retrouver la Présidence du Conseil après l’intermède radical où Camille Chautemps avait exercé la fonction. Marcel s’en réjouissait. Mais les jours du Front Populaire étaient comptés. Pour de bon, cette fois.
À suivre
©  Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
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Illustration : le violoniste allemand Adolf Busch (1891-1952)
A. Busch, antinazi convaincu, choisit l'exil en 1933, dès l'arrivée d'Hitler au pouvoir.

Mon amant de St-Jean : un nouvel épisode demain

 

Surcroît de travail,
préoccupations diverses et
problèmes de santé m'ont contraint
à interrompre pendant deux semaines
la publication du feuilleton.
Nouvel épisode demain, comme promis.



Daniel Barenboïm : vingt minutes hors du temps



Le 6 janvier dernier, le grand pianiste et chef d'orchestre, atteint d'une maladie neurologique, a annoncé sa démission de l'Opéra de Berlin. 
Il n'y a pas si longtemps, il se lançait, au cours d'une série de concerts, dans l'intégrale des Sonates de Beethoven, dont la Pathétique, ci-dessus. Hommage.

Monstres sacrés (*)

 

Bette Davis et Maggie Smith dans Mort sur le Nil 
(*) Doit-on, dorénavant
écrire "monstresses sacrées" ?

samedi 18 mars 2023

Esterno Notte, série d'exception

 



L'enlèvement et le meurtre du Président de la Démocratie Chrétienne Aldo Moro par les brigades rouges en 1978. Marco Bellochio signe une série (six épisodes) d'une rare intensité. Voyage douloureux au cœur des "années de plomb", remarquablement mis en scène, avec des interprètes totalement investis, au sein desquels on retrouve, entre autres, Toni Servillo en pape Paul VI, Fabrizio Gifuni (Moro) et Fausto Russo Alesi, formidable en Francesco Cossiga, le ministre de l'Intérieur de l'époque. Une totale réussite, que l'on peut revoir ici : https://www.arte.tv/fr/videos/RC-023478/esterno-notte/

"La puissance dramatique de ce nouveau récit d’une affaire déjà relatée sous toutes les formes narratives, du roman au documentaire, fait d’"Esterno Notte" un objet rare dans le domaine épisodique : un chef-d’œuvre." (Le Monde)


Une bien belle publicité


C'est une pub pour une marque allemande de sous-vêtements.
Les modèles se nomment Julius et Valentin.


 

Liens et blogs amis

 Trop facile (c'est une vieille ruse) d'envoyer un commentaire (que je ne publierai pas) avec un pseudo en surbrillance qui dirige vers un blog : pour vous lier à GC, envoyez votre demande par mail (voir colonne de droite). Je n'accepte pas les blogs pornographiques, nouveaux, insuffisamment mis à jour. J'accepte quand j'aime vraiment. Qu'on se le dise !
Silvano

jeudi 16 mars 2023

Bicolore

Ryan Frederick 
Photo de Joseph Lally.

 

Scène "hot" sans vulgarité


C'est une scène de l'excellent film franco-britannique Departure d'Andrew Stegall, avec Juliet Stevenson, Alex Lawther et Phénix Brossard. Alex Lawther mène, depuis, une belle carrière. On l'a vu notamment dans The french dispatch de Wes Anderson

Comme un (beau) linge

 

Lee Dong-wook, acteur et mannequin sud-coréen

Quand on voyait sur la plage
débarquer les Parisiens, 
on disait "vé, ils sont blancs
comme des cachets d'aspirine !"