Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.
"La gravité est le plaisir des sots"
vendredi 31 mars 2023
jeudi 30 mars 2023
mercredi 29 mars 2023
mardi 28 mars 2023
lundi 27 mars 2023
Mon amant de Saint-Jean | Épisode 67 : Au pas de l'oie
Les barbares (...) sur les traces de Beethoven, Schubert, Mozart et Mahler... |
Émile Boisselier n’était guère féru de politique. L’adhésion
de son frère aîné aux thèses de Maurras lui avait fait toutefois prendre
conscience qu’il ne pencherait jamais de ce côté-là. Il se prétendait trop
jeune pour s’en préoccuper et me disait qu’il avait bien le temps de se forger
de véritables convictions. Il manifesta cependant une indignation non feinte
quand Hitler jeta son dévolu sur l’Autriche et fit une entrée triomphale dans
une Vienne pavoisée d’oriflammes à croix gammée. Les barbares défilant au pas
de l’oie au son de la musique militaire sur les traces de Beethoven, Schubert,
Mozart et Mahler dans la ville la plus éminemment musicale d’Europe, il y avait
de quoi l’ulcérer. Pour ma part, j’avais tenu compte de la mise en garde – à prendre comme un ordre –, de mon père, et j’avais
renoncé à adhérer au Parti. J’en
concevais néanmoins une sourde culpabilité. Les Nathanaël ne me jugeaient pas,
estimant sans doute que, moi aussi, j’avais bien le temps. Il se vérifierait,
quelques mois plus tard, que mon père avait ses raisons. Que les événements justifieraient.
Pour l’heure, j’avais tout mon content
d’amour et d’amitié, j’étudiais avec ardeur, j’étais heureux d’apprendre, de
constater par moi-même une indéniable évolution : je devenais un homme,
tout simplement. Ce qui faisait de moi un être différent ne me préoccupait
guère, pas assez sans doute. J’avais organisé ma vie de telle façon que je
pensais être parvenu à en écarter les dangers qui planaient au-dessus des gens
de mon acabit : dénonciations, réprobation populaire, ostracisme au sein
de la famille comme Louis-le-coiffeur, mon oncle chéri, étaient le lot de
nombre d’entre nous.
Comme si j’avais voulu gagner du
temps, celui qui me séparait des avanies que mon état ne manquerait pas de
mettre sur ma route, je me jetai à cœur perdu sur tous les plaisirs dont je
pouvais disposer. C’étaient ceux d’un adolescent ordinaire vivant dans une grande ville, partageant ses heures de liberté entre lecture, cinéma et
promenades citadines.
Les joutes charnelles tout contre Émile,
le jeudi, étaient le point culminant de la semaine. C’était, avec lui, comme
une cérémonie. On se contemplait longuement en silence, recueillis, avant de s’unir
jusqu’à obtenir la délivrance. Nos ébats étaient raffinés, à l’opposé des
combats de fauves du dernier été à Saint-Jean, où, avec Jules, j’avais
découvert l’amour physique. Il ne pouvait en être autrement : l’amant villageois
était robuste, animal presque, qui m’étreignait si fort que j’aurais pu me
fondre en lui. Peut-être avait-il gardé sur lui l’empreinte de mon corps, comme
un tatouage, une trace indélébile de nos effusions. Je riais intérieurement de
penser qu’avec Émile, je faisais l’amour bourgeoisement, avec juste assez de
retenue dans la frénésie pour conserver l’illusion de la dignité.
J’avais, pour mon complice
montpelliérain, outre ces fébriles égarements, une véritable estime. Je l’admirais
pour sa culture musicale, lui savais gré à jamais de m’avoir fait découvrir
Bach, le plaignais d’avoir à affronter chaque jour le regard narquois de l’ignoble
Désiré, son frère. Il m’avait un jour offert une cravate de soie que j’avais
enfouie dans la malle – la « cantine », disait mon père qui avait
fait son service militaire – qui avait contenu toutes mes affaires quand j’avais
fait le voyage de départ pour ma nouvelle vie. Je n’aurais pu arborer ce bel
accessoire vestimentaire au sein du cercle familial et susciter d’embarrassantes
curiosités. J’avais dû prier Émile de renoncer à des cadeaux trop ostentatoires.
D’autant que, malgré la munificence dont faisait preuve mon grand-oncle en ne
faisant pas usage des sommes envoyées par mes parents sous forme de mandats, je
n’avais pas les moyens de lui rendre la pareille. Et je ne voulais pas que mon
blondinet aux yeux noirs soit le riche et moi le pauvre. Intelligent, il se plia parfaitement, par la suite, à ce modus vivendi. Ainsi, nous pouvions à tour de
rôle nous offrir une crème glacée, un café, ou, les jours fastes pour moi, un
billet de cinéma. Nous abrégions parfois nos enlacements hebdomadaires pour
aller à Saint-Pierre écouter l’organiste. C’était comme un moment de grâce. Il avait dit, joliment drôle : « C’est le digestif après
le banquet. »
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
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La tombe de Franz Schubert à Vienne |
dimanche 26 mars 2023
"Gradus ad Parnassum" : Jean Rondeau et son clavier incandescent
On le savait : Jean Rondeau excelle à tirer de son clavecin des sonorités uniques. Avec son nouvel album, il aborde des œuvres destinées, à l'origine, au pianoforte ou au piano "moderne", comme le fameux Doctor Gradus ad Parnassum des Children's corner de Debussy, cheval de bataille des élèves pianistes désireux d'afficher leur dextérité. Comme pour Haydn ou Mozart (la Fantaisie en ré mineur ci-dessous), Rondeau transfigure l'œuvre, permet d'en découvrir des aspects jusqu'alors ignorés.
Disque "classique" (tellement moderne) de l'année ?
Jean Rondeau : Gradus ad Parnassum
Warner/Érato (CD et numérique)
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samedi 25 mars 2023
vendredi 24 mars 2023
jeudi 23 mars 2023
Le mystère Koller
Rudolf Koller (Suisse -1828-1905) : Naked Young Boy Laying Outdoors, vente Sotheby de décembre 2014 |
mercredi 22 mars 2023
Découvrons "Le bleu du caftan", en salles aujourd'hui
Halim est marié depuis longtemps à Mina, avec qui il tient un magasin traditionnel de caftans dans la médina de Salé, au Maroc. Le couple vit depuis toujours avec le secret d’Halim, son homosexualité qu’il a appris à taire. La maladie de Mina et l’arrivée d’un jeune apprenti vont bouleverser cet équilibre. Unis dans leur amour, chacun va aider l’autre à affronter ses peurs.
mardi 21 mars 2023
lundi 20 mars 2023
Mon amant de Saint-Jean | Épisode 66 : Printemps précoce
J’étais émerveillé par les sonorités qui jaillissaient... |
Souvent,
nous évoquions Paris. À travers les récits, les articles de presse et les actualités
cinématographiques, nous en étions venus à éprouver une certaine fascination
mêlée de crainte pour la capitale. Nous imaginions avec quelque raison une fourmilière humaine
grouillante de petites gens laborieuses, d’artistes, d’écrivains, de poètes, de
financiers sans scrupules, de femmes chic et de catins, tout ce monde s’engouffrant
à heures fixes dans le métropolitain, auprès duquel notre vieux tramway poussif
faisait figure de patache d’un autre temps. C’est là que se jouait notre
destin, entre les mains des politiciens, des hommes d’affaires et des
banquiers. Les films que nous aimions reflétaient la condition humaine, telle que
s’y vivait celle des prolos trimant sous le joug du grand capital. Nous étions
tout autant subjugués par la nouvelle culture dont les surréalistes étaient les
plus excitants représentants. André en était un fervent admirateur – un
disciple, disait-il. Il citait des noms qui m’étaient encore peu familiers :
issu des Beaux-Arts, il rejetait l’académisme, vénérait le cubisme et les deux Espagnols,
Dali et Picasso. Il vouait la même admiration aux poètes Paul Éluard et
Louis Aragon. Ce dernier avait adhéré au Parti Communiste, ce qui n’était pas
la moindre des vertus pour notre ami. Lors des rencontres du Colombier, il nous
lisait fiévreusement les strophes de ces nouveaux grands hommes, vrais
héritiers, selon lui, de Baudelaire et de Lautréamont. Ces moments
métamorphosaient le taciturne Foulques en porte-drapeau exalté d’un monde
nouveau, chantre, par ailleurs, de l’antimilitarisme et pourfendeur de l’empire
colonial. Encore mal dégrossi intellectuellement, je buvais ses paroles jusqu’à
plus soif, moi qui venais d’aborder les études les plus classiques qui soient,
dans un cadre que je trouvais à présent étriqué.
Qu’il était loin ce village où j’avais
vécu mes premières années, bercé par des parents aimants, ignorant du tumulte d’un
monde où s’annonçait la période la plus noire de l’Histoire. Par les courriers
de mon Jules tant aimé, il m’en parvenait chaque semaine des nouvelles où
quelques surprises venaient parfois troubler la monotonie du quotidien en
milieu rural : le cheval du père Sastre, victime d’un étrange coup de
sang, s’était effondré au beau milieu de la place et on avait dû l’abattre. Clément Chaumard avait disparu pendant trois jours, donnant lieu à une
véritable battue dans la campagne et les bois environnants. Jules et moi
savions bien où il était. Goupil m’avait écrit, dans sa dernière lettre, que
Solange Gleize ne buvait plus, à la stupéfaction de ses concitoyens, jusqu’à ce
que soit découvert le pot-aux-roses : elle était enceinte ! Ce qui
était peut-être le cas de ma propre sœur dont les épousailles avec Jean-Paul
Raynal avaient été avancées. Il s’en réjouissait, car c’était l’occasion de retrouvailles,
et cette fois, écrivait-il, « cheveux-de-neige sera chez lui, et on pourra
enfin se revoir comme il faut, tu m’as compris. »
Un printemps précoce, un début d’été
presque, avait donné à Montpellier de belles couleurs dès les premiers jours de
mars où les giboulées de saison nous avaient snobés. Je n’avais pas eu besoin
des primevères pour exacerber mes sens : l’hiver avait été émaillé de mes
joutes charnelles avec un Émile qui, maintenant, avait revêtu ces tenues plus
légères qui exaltaient sa beauté. Ses pantalons courts avaient refait leur
apparition, qui m’émoustillaient à chaque rencontre. J’avais été accueilli avec
bienveillance chez mon nouvel ami, Pierre Bloch, lequel, en présence de son adorable maman, m’avait donné un véritable récital de violon. J’y avais
découvert des compositeurs jusqu’alors inconnus de moi, Telemann, Mendelssohn,
mais aussi du Bach et du Beethoven. J’étais émerveillé par les sonorités qui
jaillissaient ou, tantôt, affleuraient avec une délicatesse infinie de l’instrument.
C’est la période où je devins un fervent mélomane. Celle, aussi, où je réalisai
l’inanité de l’antisémitisme.
Chez mon grand-oncle se pressaient tous
les soirs des hommes venus débattre de politique dans une effervescence que je
trouvais alarmante ; je me réfugiais à la cuisine avec ma tante et ma
cousine, tendant l’oreille vers ces discussions qui éveillaient en moi la fibre
politique. Léon Blum venait de retrouver la Présidence du Conseil après l’intermède
radical où Camille Chautemps avait exercé la fonction. Marcel s’en réjouissait.
Mais les jours du Front Populaire étaient comptés. Pour de bon, cette fois.
À suivre
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
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Illustration : le violoniste allemand Adolf Busch (1891-1952)
A. Busch, antinazi convaincu, choisit l'exil en 1933, dès l'arrivée d'Hitler au pouvoir.
dimanche 19 mars 2023
Mon amant de St-Jean : un nouvel épisode demain
préoccupations diverses et
problèmes de santé m'ont contraint
à interrompre pendant deux semaines
la publication du feuilleton.
Nouvel épisode demain, comme promis.
Daniel Barenboïm : vingt minutes hors du temps
Il n'y a pas si longtemps, il se lançait, au cours d'une série de concerts, dans l'intégrale des Sonates de Beethoven, dont la Pathétique, ci-dessus. Hommage.
Monstres sacrés (*)
samedi 18 mars 2023
Esterno Notte, série d'exception
L'enlèvement et le meurtre du Président de la Démocratie Chrétienne Aldo Moro par les brigades rouges en 1978. Marco Bellochio signe une série (six épisodes) d'une rare intensité. Voyage douloureux au cœur des "années de plomb", remarquablement mis en scène, avec des interprètes totalement investis, au sein desquels on retrouve, entre autres, Toni Servillo en pape Paul VI, Fabrizio Gifuni (Moro) et Fausto Russo Alesi, formidable en Francesco Cossiga, le ministre de l'Intérieur de l'époque. Une totale réussite, que l'on peut revoir ici : https://www.arte.tv/fr/videos/RC-023478/esterno-notte/
"La puissance dramatique de ce nouveau récit d’une affaire déjà relatée sous toutes les formes narratives, du roman au documentaire, fait d’"Esterno Notte" un objet rare dans le domaine épisodique : un chef-d’œuvre." (Le Monde)
vendredi 17 mars 2023
Une bien belle publicité
Les modèles se nomment Julius et Valentin.
Liens et blogs amis
Trop facile (c'est une vieille ruse) d'envoyer un commentaire (que je ne publierai pas) avec un pseudo en surbrillance qui dirige vers un blog : pour vous lier à GC, envoyez votre demande par mail (voir colonne de droite). Je n'accepte pas les blogs pornographiques, nouveaux, insuffisamment mis à jour. J'accepte quand j'aime vraiment. Qu'on se le dise !
Silvano
jeudi 16 mars 2023
Scène "hot" sans vulgarité
C'est une scène de l'excellent film franco-britannique Departure d'Andrew Stegall, avec Juliet Stevenson, Alex Lawther et Phénix Brossard. Alex Lawther mène, depuis, une belle carrière. On l'a vu notamment dans The french dispatch de Wes Anderson
mercredi 15 mars 2023
Comme un (beau) linge
Lee Dong-wook, acteur et mannequin sud-coréen |
Quand on voyait sur la plage
débarquer les Parisiens,
on disait "vé, ils sont blancs
comme des cachets d'aspirine !"