© Domenico Cennamo |
Jean Pierre Léaud | Antoine et Colette (François Truffaut - 1962)
(...) qui nous laissaient exténués. |
À Paris, j'ai vu des restaurants prétendument italiens (cette mode !) proposer ce plat noyé de crème fraîche et agrémenté (tu parles !) de jambon de Bayonne et de fromage fondu !
Cette recette, typiquement romaine, est à la fois finesse et simplicité. La sauge est, bien sûr, essentielle !
Si tous les lycéens pouvaient
avoir la même réaction...
On notera cependant que l'assistance est composée de filles.
« Tu
avais disparu, cet après-midi ! On m’a envoyé à ta recherche et je t’ai vu
avec le petit Boisselier. Drôle de famille, ces Boisselier ! Le père, l’un
des meilleurs clients du père Fabre, d’ailleurs, est le propriétaire de l’Hôtel
du Midi. Ce sont des catholiques pratiquants, très « vieille France ».
Il y a trois ans, quand les ligues voulaient prendre le pouvoir, à Paris, Marcel
s’est battu devant le lycée avec le fil aîné, qui est Action Française, et lui
a mis une trempe dont il doit se souvenir. La mère est une belle femme blonde d’origine
belge, je crois, ou hollandaise, qui mène une vie de grande bourgeoise, belles
toilettes, automobile décapotable et tutti quanti. On raconte qu’elle aurait un amant de vingt
ans son cadet, du peu que j’en sais. Le père règne en maître sur le plus bel
hôtel de Montpellier où Émilie a fait quelques extras dans le temps. Un despote, paraît-il.
Les deux fils sont livrés à eux-mêmes, on dirait. Ton copain a été enfant de chœur :
je l’avais vu, il y a deux ou trois ans, portant la croix, en tête de la
procession de Pâques ; le Christ est ressuscité, alléluia, et tout le
tremblement. Je le croise souvent en ville. Ce qui m’a frappé, c’est qu’il est
toujours seul. Je n’arrive pas à deviner si c’est un ange ou si c’est le
diable ; méfiance ! En tout cas,
tout à l’heure, il te regardait comme un minot qui salive devant la vitrine d’une
pâtisserie ! » gloussait Magali lors de cette conversation chuchotée
de l’avant-sommeil devenue rituelle. Je tentai de botter en touche, affirmant
qu’Émile n’était rien de plus qu’un camarade de classe avec lequel j’avais plus
d’affinités qu’avec d’autres. « Il te plaît, cousin. Vous vous êtes bien
trouvés, va ! » Je haussai les épaules et chassai ma cousine de ma
chambre. L’image de Jules se superposait dans mes rêves à celle du blond
lycéen. Je ne sais auquel des deux je dus ma jouissance nocturne. Avant que le
sommeil ne m’emporte, je pensai à une plaisanterie de Marcel évoquant le
plaisir solitaire. La surdité me guettait à coup sûr. Je m’endormis joyeux.
Nos sens sont toujours sur le qui-vive
à seize ans : en ce lundi matin, le pantalon long qu’Émile portait – pour
me prouver son respect, je n’en doutais pas – ne dissipa en rien l’envie, tant
combattue, d’avoir avec mon condisciple de plus intimes rapprochements. Je
parvins néanmoins à me concentrer sur le cours de Cordier, fuyant les regards
en coin de mon voisin, évitant soigneusement tout frôlement de nature à allumer
la mèche. À midi, j’eus beau me dépêcher, le gentil sorcier m’attendait sous le
porche. Un regard vers son pantalon, puis vers moi. Un sourire mortel et cette
voix de fauve, boudiou ! « Tu vois que je fais des efforts. L’an dernier,
même en plein hiver, je portais encore des culottes courtes. Tu n’aurais pas survécu. »
riait-il. « Ah, je n’avais pas remarqué. » ironisai-je, pensant à la
conversation de la veille où avaient-été mises au jour ces émotions qu’il est impossible
de dissimuler. « Si tu veux, jeudi, je t’invite à bouffer. On ira au
buffet de la gare. À moins que le terrain soit dégagé et qu’on aille manger
dans les cuisines de l’hôtel de mon paternel. Le chef m’aime bien ; il
sera content que j’aie un copain. J’ai jamais emmené personne. » J’étais
bien trop flatté pour refuser. Trop excité, aussi.
Avant de me quitter, il me souffla : « Ça va nous faire du bien d’échanger
nos secrets, non ? »
Les jours suivants, je ne cessais de
penser à ce rendez-vous fixé avec une autorité tranquille, comme si les choses
allaient de soi. La veille me vint l’idée de décliner, que neutralisa aussitôt
la conviction qu’il était de mon intérêt d’avoir un ami au sein du lycée, où la
plupart de mes camarades ne pouvaient susciter ma sympathie. Les fils de
bourgeois, vêtus comme des princes, qui péroraient à longueur de récrés sur la
gent féminine et leurs prétendues conquêtes, me paraissaient fort éloignés de mes
goûts. Je repérai cependant deux ou trois garçons dont le comportement studieux
agissait sur moi comme un aiguillon. Je souhaitais faire partie de la caste des
bons élèves, aspirant à me mesurer aux meilleurs. Émile était un bon élément.
Il excellait en français, mais aussi en latin où j’avais de nombreuses lacunes
que les quelques heures passées avec Marcel Fabre ne pouvaient suffire à
combler. Je ne me cachais pas que les qualités scolaires que je prêtais à ce
garçon si différent des autres venaient au secours de mes pulsions d’un autre
ordre, comme pour me déculpabiliser ou me trouver de fallacieux prétextes à le
fréquenter davantage.
Le chef de cuisine du Grand Hôtel du Midi, Monsieur Boisgard, disposait
d’un espace personnel qui lui servait à la fois de bureau et de salle-à-manger.
C’est à sa table que je pris place, avec Émile, en ce jeudi d’automne où devait
se nouer une relation hors du commun.
(À suivre)
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022
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