Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.
Photo en-tête Mina Nakamura

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


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lundi 18 septembre 2023

L'amant secret

Jared Celma

Des garçons du lycée que je convoitais, il était le plus beau ; frimeur majuscule, il s'habillait avec recherche et à grands frais. Il avait toutes facilités pour mettre dans son lit les plus jolies filles. Il affichait à mon endroit une certaine morgue, tout en s'amusant de mes goûts. Voire, en manifestant un certain intérêt pour une excitante transgression. Il voulut un jour m'épater en me convoquant dans une chambre d'un palace bien connu de la Croisette où il me reçut seulement vêtu d'un peignoir immaculé. Vous imaginez la suite. Je fus, pendant plusieurs années, son amant secret.

mardi 6 juillet 2021

On m'oublia un jour ici

Je me souviens de toi, assis à gauche du pianiste, ta jolie tête penchée, tes jolis yeux clos pendant qu'il jouait pour toi, beau jeune homme fragile légèrement enivré d'alcool italien trop sucré.
Je me souviens de lui qui voulait tout t'offrir, la musique jaillie de ses longs doigts, ses émotions, ses joies, ses doutes - "est-ce que joue assez bien pour lui ?"- son désir de toi, son amour.
On m'oublia un jour, ici, dans cette maison vide, abandonnée, où à présent n'entre plus que le vent d'hiver par les carreaux brisés.
Si le visiteur qui vient de me surprendre concentre son attention, s'il prête l'oreille intensément, faisant abstraction du bruit des pelleteuses, là, tout à côté, il entendra un nocturne de Chopin résonner, trop longtemps prisonnier de ma table d'harmonie. Fermant les yeux, il verra le jeune homme et son aîné au cœur d'enfant, mêlant leurs sourires et leurs larmes, partageant leurs rêves, se faisant la vie, s'aimant à leur manière comme on ne s'est jamais aimé.

mardi 8 septembre 2020

Le chemin des contrebandiers 2020 (extrait 1)


La première bolée de cidre

Et Paul vit qu'il était beau.
Au cours de l’une de ses errances  entre chien et loup le long du chemin des contrebandiers, Paul avisa un garçon juché sur un rocher qui fixait obstinément la ligne d’horizon.
Ce n’était pas un lieu de drague : les gens « comme ça » se rencontraient dans le jardin de la gare ou dans un recoin de la courtine où l’on trouvait encore à cette époque, des toilettes publiques.
L’endroit était sauvage où la mer venait laminer des rochers acérés.
Il fallait une certaine adresse pour sauter de l’une à l’autre de ces pierres tranchantes sans se fracasser en contrebas.
L’idée du drame toujours possible l’oppressait tout en lui étant délicieusement agréable.
À cette heure, il était rare qu’on trouve en ce lieu âme qui vive.
Les deux garçons s’observèrent un long moment avant de s’adresser la parole.
Chacun voyait l’autre comme un intrus en son territoire.
L’inconnu fumait ; Paul, banalement, lui demanda une cigarette que l’autre lui tendit avec mauvaise grâce, pour décréter peu après, d’un rictus, que le nouveau venu ne « savait pas fumer ».
Le ton était ironique, sec, à la limite du mépris.
On en vint à un échange de banalités auquel Paul sut mettre un terme par un habile « t’es pas d’ici, je t’ai jamais vu en ville ? », déterminé à instaurer un dialogue moins convenu.
Il s’appelait Yannick, « Yann », dit-il enfin sur un ton plus amène ; et oui, il était d’ici mais faisait des études à Nice où il passait toute la semaine ; il y logeait - il en semblait très fier - dans une chambre d’étudiant que ses parents louaient à son intention.
Et Paul vit qu’il était beau.
Et comprit illico qu’il lui faudrait beaucoup de patience pour le conquérir.
La nuit tombait qui les ramena vers la ville, devisant en chemin comme deux vieux amis.
Ils se trouvèrent assez de points communs, de centres d’intérêt, pour envisager de poursuivre la relation et se donnèrent rendez-vous pour le lendemain dans un café du port.
Paul n’allait jamais dans ces rades où l’on ne croisait qu’Anglais ivre-morts ou vieux loups de mer abrutis d’alcools anisés.
Il sentit, se rendant au « Calumet », que son cœur battait la chamade sous la chemise bien repassée, la neuve qu’il mettait pour la première fois.
Il le vit venir de loin, brun aux yeux clairs à la peau de marin tannée sous les embruns déjà, vêtu d’un jean noir et d’un tee-shirt blanc qui contrastait heureusement avec ses cheveux noir d’encre.
Paul fut à peine surpris de voir que le jeune homme portait une guitare en bandoulière.
Yann l’accueillit avec le plus beau sourire de la galaxie.
Il buvait - c’était insolite ici - une bolée de cidre ; voyant le regard surpris du nouvel arrivant, il expliqua :
« Je suis breton, j’aime le cidre, les galettes de blé noir, les filles blondes et la mer. »

Paul commanda une bolée pour lui être agréable et trouva le breuvage délicieux.
Son compagnon lui plut qui s’exaltait, volubile, pour se réfugier par instant dans un mutisme de nature à désarçonner interlocuteur moins curieux.
Bien au contraire, Paul mettait à profit ces silences subits pour mieux s’enivrer de cette beauté qu’aucun artifice ne venait dénaturer ; juste assez longue, la chevelure était soyeuse, d’une finesse rare ; une mèche en ruisselait sur l’œil bleu, sur laquelle le garçon soufflait quand elle le gênait trop.
Le corps était de muscles secs, d’un garçon qui devait nager, courir, que Paul s’imaginait jouant avec un chien sur une pelouse ; et il s’en trouva stupide, ne pouvant réprimer un rire libérateur.
« Qu’est-ce qui te fait marrer ? » dit Yann, que l’éclat avait sorti de ses pensées.
« Oh rien, c’est con, je t’imaginais jouant avec un chien dans un jardin, je ne sais pas pourquoi. »

À son tour, Yann s’esclaffa et, portant deux doigts à la bouche, émit un sifflement strident.
Aussitôt apparut, sortant d’on ne sait où, un chien de race indéfinissable, au pelage noir et blanc assorti à son jeune maître.
« Je te présente Bill, mon meilleur copain. »
L’animal se livra à une frénétique démonstration d’affection et, sur un ordre abrupt, se coucha à leurs pieds, soudain apaisé.

Les deux nouveaux amis passèrent ensemble de longues heures, se découvrant sans trop en dire, parcourant la jetée, Yann détaillant chaque bateau, fier de montrer ses connaissances en la matière.
Il jouait de la guitare –il « grattait » disait-il humblement, pour « s’éclater » -, et se dit admiratif quand Paul lui parla de ses études musicales.
Contrairement à son habitude, Paul ne révéla pas tout de go sa différence ; il se voulut allusif pour tester la capacité de tolérance de son nouveau camarade.
Il fallait que Yann lui donne un signe d’intelligence, ce qui ne tarda pas à se produire ;
à Paul qui lui disait qu’il le faisait penser au Delon jeune de « Plein soleil », le jeune homme répondit :
« De ta part, j’imagine que c’est un sacré compliment » qui révélait qu’il avait reçu le personnage cinq sur cinq.
(à suivre)
(c) Louis Arjaillès

Nota : je me suis attelé à une refonte de textes rédigés dans les années dix de ce siècle. J'en livrerai ici quelques extraits que les plus intéressés d'entre mes lecteurs voudront bien commenter.

lundi 6 juillet 2020

Noirceur


" L’âme de Darmstetter est du même noir que ses yeux. Il vous scrute d’un regard que certains, égarés, pourraient estimer bienveillant, car toujours égayé d’un sourire. Égarement, oui ! Je sais, moi, qu’il ne faut s’y fier : s’il vous détaille ainsi, comme vous aimant, à travers la fente de ses paupières de reptile, c’est pour mieux vous anéantir ensuite. Par amour de soi, par coquetterie, Darmstetter se refuse à porter des lunettes pour corriger sa myopie. Ainsi, il semble s’intéresser à vous, mais ce n’est que ruse pour mieux vous abuser. "
C'est un extrait de mon roman Tombe, Victor ! que l'on peut toujours se procurer par commande chez votre libraire, ou directement, en suivant ce lien : Tombe, Victor !

lundi 30 mars 2020

Et puis viendront des jours meilleurs


Étrangement, dans cette période s'exacerbe ma libido.
Je pense à toi, à toi et à toi, aux grains de peau tellement différents, 
soie, velours, laque ; à ta façon de jouir et à la sienne, à cette grimace du 
plus jeune au moment crucial, qui ne peut, pourtant, altérer ses traits tant il est beau.
Je dois faire attention à moi, survivre dans l'espoir des retrouvailles, du vrai revoir, d'user à nouveau mes yeux en vous détaillant, toi, toi et toi.
Et peut-être toi aussi, enfin.

mercredi 18 décembre 2019

Il est grand temps


Si vous avez aimé Tombe, Victor !, partagez votre plaisir : offrez-le ou recommandez-le à vos amis, à vos amours, à celles et ceux qui vous méritent.
Pour commander : clic
On le trouve par ailleurs, mais auprès des éditions, c'est encore mieux.
Merci !

lundi 12 août 2019

Après Palerme (2016)


[Je n'ai pas retrouvé, ici, trace de ce texte écrit à la fin de l'été 2016. Peut-être avais-je omis de le publier. Dans le cas contraire, on pourra passer à la suite.]

Après Palerme

On voudrait n'être jamais rentré de Palerme.
Après une semaine de pédestres pérégrinations sous un soleil dont on avait oublié qu'il pût être si implacable et bénéfique à la fois sous les chants galvanisants du jeune compère jamais éreinté, après les dégustations extasiées de pasta al ricci (oursins) où la Méditerranée toute entière submerge le palais, après la grappa nocturne obligatoire, après le constat que la misère la plus noire jouxte la magnificence des palazzi baroques où Luchino Visconti tourna les scènes mémorables de son Guépard, vieillard désabusé assistant à la fin d'un monde qui n’en finira jamais, après nos rires que l'on croyait inextinguibles quand nous rivalisions de pitreries, de salacités qui faisaient voler en éclats les frontières homo-hétéro à la con, après les tendres moqueries déclenchées par mes dérisoires souffrances - " allez, Maître, ne restent que cinq ou six kilomètres, tu peux le faire ! " - après cette semaine où les entêtantes, les abrutissantes salves d’informations qui rythment nos vie trop connectées, se sont  tues, miraculeuse parenthèse, juste une bouffée de chaleur, mais aussi d'oxygène, on reprend pied de la manière la plus brutale. On essaie d'encaisser le choc de l'horreur qui se répète, on apprend - c'est inévitable - l'Allemagne, Munich, et ce crime abominable en paisible Normandie : et l'on comprend que la paix, désormais, n'a plus de village où se réfugier.
Abasourdi, on entend, on lit, les déclarations de ces politiciens sans scrupules qui soufflent sur les braises, avec pour seul honneur, épinglé au  revers de leur veston, l’insigne de la seule chose qui les fasse bander : le pouvoir.
Il faut garder à l'esprit égoïstement pour ne pas s’effondrer le soleil qui part tranquillement se coucher dans la mer, à Cefalù, mais aussi l'image des ragazzi siciliens sur la piazzetta, qui jettent leurs canettes, leurs mégots, leurs gobelets en plastoc sur le bitume, quand on a étouffé une réaction très con de Français qui ne sait pas son bonheur : "c'est beau, mais qu'est-ce- que c'est sale !", qu'on expie les larmes aux yeux, troué jusqu'au tréfonds de l'âme - et c'est bien de redécouvrir qu'on en a une - par cette énergie du désespoir qui se traduit en cris, en apostrophes, en rires sonores, en virées à trois ou quatre sur une Vespa volée peut-être, comme des tours de manèges, car on ne sait pas vraiment où aller ; mais on y va : 
il faut vivre.

Ph. Silvano



jeudi 16 mai 2019

Quelques nouvelles d'un "Victor" qui vit (bien) sa vie

Tombe, Victor !, mon premier et unique (pour l'heure) roman continue sa vie, grâce à ce blog, à un bouche-à-oreille favorable, aux commentaires flatteurs sur les différents sites et  au soutien des "Mots à la bouche".
La page Facebook joue son rôle, également, qui maintient un lien entre les lecteurs qui ont aimé ce livre : j'y publie dès aujourd'hui les commentaires qui m'ont le plus touché.
À ce propos, merci "d'aimer" les publications, mais pensez aussi à "aimer la page" (le "J'aime" avec le pouce bleu sous le bandeau principal, en haut).
Pour y accéder, c'est ici : clic
Si ce n'est déjà fait, ne vous interdisez pas de donner votre avis sur les différents sites dédiés (FNAC, AMAZON, BABELIO, CULTURA...).

Enfin, je réfléchis à la création d'un vrai blog d'auteur où je pourrais publier de courts textes ou démarrer un "feuilleton" comme ce fut le cas pour Tombe, Victor !.
Je pense que ça éviterait le mélange des genres et attirerait un lectorat différent.

Photo : Mattias Crowe par Paola Vivas

dimanche 18 novembre 2018

Comme un parfum d'enfance

Photo David Corvine

Rabat
Les toutes premières lectures,
les toutes premières lettres tracées à l'encre violette.
Les toutes premières gammes.
Les tout premiers émois, 
la toute première impression d'être différent.
Le tout premier regard sur UN autre.
Les tout premiers parfums d'épices incrustés à jamais dans ma mémoire.
Rabat

dimanche 26 août 2018

Dédé le plagiste

Dédé-le-plagiste m'accueillait d'un clin d’œil quand j'arrivais à Royal-Beach accompagné d'un "nouveau", l'un de ces "petits jeunes" qui ne savaient que m'admirer, avec lesquels je parvenais, dans les petits matins embrumés d'après-boîte, à quelque étreinte sans plénitude, garçons du hasard de la nuit, levés sur un claquement de doigts, parfois, ou, au contraire, au prix d'efforts surhumains, de ces calculs qui vous assèchent la matière grise, pompent ce que le dépassement de soi pour la distraction des oiseaux de nuit vous a laissé d'énergie.
J'étais de ces personnalités pour lesquelles Dédé-le-plagiste trouvait toujours dans l'urgence les deux matelas au bord de l'eau que d'aucuns lorgnaient en vain à l'accueil, se heurtant à un "c'est réservé" définitif.
Quand mon compagnon d'un jour jouait des muscles sur le plongeoir, dans ces moments où je dégainais le Nikon pour l'immortaliser ou pour me souvenir de lui, Dédé-le-plagiste, furtif, glissait entre les transats et me chuchotait "et celui-là, tu te l'es fait ?".
Dédé, ce beau Dédé pour lequel j'aurais donné tous les "petits jeunes" de la région n'était pas "comme ça", mais ma réputation de conquérant excitait son esprit à défaut de sa libido. Maintenant, il n'y a plus de Royal Beach, le vieil hôtel fin de siècle qui surplombait la plage a laissé la place à un immonde cube de béton et de verre, et les garçons des bords de mer sont devenus farouches. Dédé n'est plus là pour veiller, complice, sur les amours illicites d'un ami qui, secrètement, l'aima.  

Silvano 
Le "Dédé" de la photo s'appelle Agustin Bruno

mercredi 8 août 2018

Le monstre

Le monstre avait réussi à gâcher mon petit-déjeuner. Il tournait autour de ma table en hurlant, bousculant à maintes reprises la chaise en vis-à-vis, faisant mine de chaparder mes lunettes ou mon chapeau. Le monstre avait choisi sa victime : moi. J'ai adopté une attitude indifférente, laissant promener mon regard au loin, feignant de détailler les bateaux ancrés dans le port d'Ischia. Sans que réagissent ses géniteurs, rivés à leurs écrans, le gosse s'enhardissait à présent, m'invectivant en italien, tirant la langue, et, enfin osa l'invraisemblable : il s'empara soudain de ma fourchette, la saisit à deux mains et la planta avec une violence inouïe dans ma main gauche d'où jaillit aussitôt un geyser d'hémoglobine.
Avant de perdre connaissance, j'eus tout juste le temps de voir le papa, penché sur moi avec un grand sourire et de l'entendre me dire :  " Scusa, signore, è un bambino !(1) "


Certes, cette scène à la Dino Risi est le fruit de l'imagination un tantinet perverse de votre serviteur, mais elle provient de l'observation du comportement de nos voisins italiens envers (et contre tout !) leur progéniture, dont ils ne sauraient se séparer où qu'ils aillent, restaurant, musée, cinéma (quel que soit le film), le "baby-sitting" semblant réservé à la frange la plus aisée de la population, telle qu'on l'appréhende, entre autres, dans le film de Comencini L'incompris. Si le concept français de "l'enfant-roi" semble entré (enfin !) en désuétude, il m'est donc apparu que l'Italien, lui, avait définitivement sacralisé son rejeton en "enfant-dieu", libre de courir et de vociférer en tout lieu où l'on serait en droit de bénéficier de quelque tranquillité, surtout, quand, comme moi, on exerce une activité qui met toute l'année en relation avec des... enfants. Que j'adore, sans l'ombre d'un doute.

(1) Excusez-le, Monsieur, c'est un enfant !

lundi 25 juin 2018

Parce que


J'ai fait toutes les gares,
j'ai pris tous les avions du monde,
traîné mes yeux hagards
dans tous les cafés à la ronde
pour te retrouver,
parce que je t'ai aimé.
S.

mercredi 13 juin 2018

Désirs désordres


J'avais passé toutes ces heures à l'attendre, me relevant à maintes reprises pour guetter l'avenue, le manège des taxis en maraude, puis, peu avant l'aube, le ballet des camions-poubelles, et ces deux fêtards se soutenant mutuellement qui se disaient peut-être, pensai-je, des "je t'aime" d'une voix empâtée.
Jamais le phare de sa Vespa ne vint trouer la nuit.
J'attends encore et j'attendrai toujours.
S.

mercredi 6 juin 2018

La chambre bleue

 
Le désir que nous avions  l'un de l'autre se fit impérieux.
Nous quittâmes la petite fête juste après le gâteau d'anniversaire.
On nous avait présentés l'un à l'autre, mais nous avions oublié nos prénoms.
Cette chose qui palpitait, masculine et singulière, nous dictait la conduite à tenir.
Nous sortîmes précipitamment dans la rue où l'enseigne bleue d'un hôtel borgne nous appelait.
Le taulier nous a dit :
" Pour un rendez-vous, c'est cinquante euros."
Il avait des heures de vol, comme on dit.
La chambre était de celles qu'on n'ose plus proposer de nos jours : moquette vert-bouteille labourée par des milliers de talons-aiguille, papier à fleurs bleues que le temps avait décoloré, couvre-lit en tuft  où devait grouiller une armée d'acariens...
Notre étreinte fut brève, d'une intensité qui nous laissa pantelants, vidés, rassasiés.
Nous nous séparâmes rapidement car il fallait retrouver le cours de nos vies.
Je ne saurai jamais son prénom.
Mais j'ai en moi, et pour toujours, l'odeur de sa peau. 
(c) Silvano- Gay Cultes 2016

lundi 4 juin 2018

Les garçons de la Côte


Photo Tom Bianchi
En illusoire figure nocturne de la Riviera, je traînais dans mon sillage des garçons au faîte de leur beauté. Issus des classes les plus défavorisées, ces anges au corps de rêve étaient, dans la semaine, apprenti-boucher, maçon ou mécanicien. Le samedi soir, ils se métamorphosaient, s'efforçant de ressembler à leurs idoles, Mick Jagger ou David Bowie. Ces hommes-à-femmes n'étaient pas peu fiers de séduire les amateurs d'éphèbes qui chassaient la beauté dans la pénombre des boîtes de nuit de la côte. Le dimanche, j'emmenais les deux Marc jusqu'à la villa d'un pianiste alors célèbre. Ils profitaient de la grande piscine où ils se baignaient nus sous le regard émerveillé de notre hôte ; rien de plus, mais c'étaient des moments de grâce.   

Louis Arjaillès-Gay Cultes 2015

jeudi 31 mai 2018

Combien d'amours ?

De nuits blanches à leurs côtés, de jambes frôlées en savantes reptations pour unir leur peau à la nôtre l'espace d'un instant, d'aubes espérées pour admirer leurs corps dénudés - presque,  de savantes économies de nos gestes de crainte d'être démasqués, de membre assoiffé jamais épanché en battements de cœur frénétiques, combien d'amours n'avons nous pas faits ?
Silvano - GC 2015 

lundi 28 mai 2018

Le bel endormi



Au cours de ma onzième année, comme nous étions en vacances chez la grand-mère au cœur d'un août brûlant, je poussai un matin la porte de la chambre de mon grand-frère. Lui n'y était pas, mais un ange brun habitait le lit, un Jean-Jacques de dix-huit ans que le drap blanc couvrait à peine jusqu'à la naissance d'une brune toison. La peau était rose, pas encore brunie par le soleil du midi. Un bras était replié sur le front, les lèvres me semblèrent d'un rouge-vif, « purpurin » lirait-on dans un ouvrage désuet ; le haut de son corps, offert à mon regard, se soulevait lentement, métronomique-ment, au rythme de sa respiration ; l'épiderme était souple, lisse, velouté, en appel irrésistible à la caresse.
Une jambe dépassait du lit, le pied reposant sur le sol de ciment brut ; la cuisse était ferme, épaisse, le genou était fort, où subsistait une trace d'un récent accident de "Solex" ; le mollet  musclé s'abritait sous une fine couche de poils bruns qui bouclaient un peu si l'on remontait jusqu'où palpite le grand Mystère.
Pétrifié, j'ouvrais des yeux ronds, là, sur le pas de la porte.
Le jeune homme a ouvert brièvement les yeux, juste assez, je crois, pour m'apercevoir le détaillant avec émotion.
Devant le café noir, peu après, dans la salle commune, j'ai cru intercepter un clin d’œil qui me hante encore.
(c) Silvano Mangana - Gay Cultes

Nota : je publie à nouveau ces jours-ci, où j'ai fort à faire professionnellement, des billets parus ici-même il y a plusieurs mois, voire plusieurs années. 

mardi 31 octobre 2017

O tempora...

En ces temps pas si anciens, il fallait quelque audace pour draguer le garçon en terrain non spécialisé.
J'aurais pu, pour calmer un appétit irraisonné, descendre dans quelque club à minets et y trouver aisément pitance, mais je préférais me lancer des défis et chasser l'ange en des lieux plus ordinaires, m'abusant quelquefois d'un regard mal interprété, de ceux que vous lancent les garçons à Florence, qui ne sont que l'expression d'une curiosité exacerbée, rarement d'un désir fulgurant.
Dans les endroits sans pédés où je traînais alors, je comptais sur ma faconde, le charme qu'on voulait bien me prêter en mon jeune temps, pour enlever le morceau, et j'y parvins maintes fois après m'être épuisé en longues péroraisons pour convaincre.
Il ne s'agissait pas, à l'époque, de trouver l'âme-frère, celui qui pourrait cheminer longtemps avec moi. Non, ce jeu dangereux consistait à marquer des points, à remplir mon illusoire escarcelle, pour me glorifier ensuite d'avoir arraché un instant un jeune homme à sa prétendue normalité.
"...j'avais trop trop bu, oublie ça, on n'en parle plus, hein ?!"
J'affrontais en haussant les épaules les "oh putain, j'avais trop trop bu, oublie ça, on n'en parle plus, hein ?!" des petits matins dégrisés. Je faisais une croix sur le tableau et repartais vers la prochaine mascarade, distributeur de jouissance pour garçons sanguins — après tout, si personne le sait...
J'observe aujourd'hui les jeunes amis "gays" de mon entourage : point de cette témérité dans la recherche du plaisir qu'ils veulent associer absolument à la pureté des sentiments.
Ce désir de former un couple à l'âge de toutes les déraisons ne cesse de m'interroger, peut-être parce ce que je pensais, moi, dans mes jeunes années, que mon homosexualité était révolutionnaire.
Leur quête du grand amour passe par l'utilisation des moyens modernes que sont les réseaux spécialisés sur la toile et, de plus en plus, les "applications" qu'ils ont téléchargées dans leurs indispensables smartphones.
Dépassé, un temps, par cette évolution que je n'ai pas vu venir, je m'y fais peu à peu, tentant, à défaut de l'approuver, de la comprendre, de l'accepter.
Enfin, on croise de plus en plus d'homos dans les rues de mon quartier.
En couples.