Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


lundi 21 octobre 2024

Autant certes la femme

 

Autant certes la femme gagne

À faire l’amour en chemise,
Autant alors cette compagne
Est-elle seulement de mise

À la condition expresse
D’un voile, court, délinéant
Cuisse et mollet, téton et fesse
Et leur truc un peu trop géant.

Ne s’écartant de sorte nette,
Qu’en faveur du con, seul divin,
Pour le coup et pour la minette,
Et tout le reste, en elle est vain

 

À bien considérer les choses,
Ce manque de proportions,
Ces effets trop blancs et trop roses…
Faudrait que nous en convinssions,

Autant le jeune homme profite
Dans l’intérêt de sa beauté,
Prêtre d’Éros ou néophyte
D’aimer en toute nudité.

Admirons cette chair splendide
Comme intelligente, vibrant,
Intrépide et comme timide
Et, par un privilège grand

Sur toute chair, la féminine
Et la bestiale — vrai beau ! —
Cette grâce qui fascine
D’être multiple sous la peau

 

Jeu des muscles et du squelette,
Pulpe ferme, souple tissu,
Elle interprète, elle complète
Tout sentiment soudain conçu.

Elle se bande en la colère,
Et raide et molle tour à tour,
Souci de se plaire et de plaire,
Se tend et détend dans l’amour.

Et quand la mort la frappera
Cette chair qui me fut un dieu,
Comme auguste, elle fixera
Ses éléments, en marbre bleu !


Paul Verlaine, in Hombres (Poème X)

 

dimanche 20 octobre 2024

Christique (fouloulou, aussi !)

 

Nicolas Lorenzon
Bon
dimanche !


Écoutez ! (Vous pouvez pleurer.)

Brahms, Concerto N° 1
Krystian Zimerman, piano
et Leonard Bernstein, dir.: en totale communion !
Malgré des centaines d'écoutes, je suis toujours bouleversé.
Je recommande aussi la version Arrau/Giulini
L'interprétation de l'immense Rubinstein est tout aussi sublime :
malheureusement YouTube n'en propose qu'une version tronquée.

Lors de l'enregistrement "live" de la version Gould/Bernstein au Carnegie Hall, en 1962, un différend opposa les deux grands musiciens quant au tempo, notamment, du 3ᵉ mouvement :


L.Bernstein et G.Gould en répétition
* " Ce concert est resté célèbre pour la controverse qu'il a suscitée : Glenn Gould et Leonard Bernstein avaient des partis pris musicaux radicalement opposés, au point que Bernstein décide de s'adresser au public pendant plusieurs minutes avant le début du concert pour expliquer son désaccord. Les deux hommes ont pourtant déjà travaillé ensemble mais "cette fois, les divergences entre nos points de vue sont si grandes que je pense qu'il faut que je vous en avertisse." Toutefois, il souligne que "nous pouvons tous apprendre quelque chose de cet artiste extraordinaire."
France Musique
Pour écouter cette version néanmoins légendaire, c'est ici.
Après l'écoute, à mon humble avis, force est de reconnaître que Bernstein avait raison.

mercredi 16 octobre 2024

Jolie chemisette

 


Chatbadabada



Le bon chatmaritain

 "Je fus sauvé par un chat. Son museau apparut brusquement devant moi entre les bûches, et nous nous regardâmes un instant avec étonnement. C'était un incroyable matou pelé, galeux, couleur de marmelade d'oranges, aux oreilles en lambeaux et avec une de ces mines moustachues, patibulaires et renseignées que les vieux matons finissent par acquérir à force d'expériences riches et variées.

Il me regarda attentivement, après quoi, sans hésiter, il se mit à me lécher la figure.
Je n'avais aucune illusion sur les mobiles de cette soudaine affection.
J'avais encore des parcelles de gâteau au pavot répandues sur mes joues et mon menton, collées par mes larmes. Ces caresses étaient strictement intéressées. Mais cela m'était égal. La sensation de cette langue râpeuse et chaude sur mon visage me fit sourire de délice - je fermai les yeux et me laissai faire - pas plus à ce moment-là que plus tard, au cours de mon existence, je n'ai cherché savoir ce qu'il y avait exactement derrière les marques d'affection qu'on me prodiguait. Ce qui comptait, c'est qu'il y avait là un museau amical et une langue chaude et appliquée qui allait et venait sur ma figure avec toutes les apparences de la tendresse et de la compassion.
Il ne m'en faut pas davantage pour être heureux
Lorsque le matou eut fini ses épanchements, je me sentis beaucoup mieux. Le monde offrait encore des possibilités et des amitiés qu'il n'était pas possible de négliger. Le chat se frottait à présent contre mon visage, en ronronnant. J'essayai d'imiter son ronron, et nous eûmes une pinte de bon temps, en ronronnant, tous les deux, à qui mieux mieux. Je ramassai les miettes du gâteau au fond de ma poche et les lui offris. Il se montra intéressé et s'appuya contre mon nez, la queue raide.
Il me mordit l’oreille. Bref, la vie valait à nouveau la peine d'être vécue. Cinq minutes plus tard, je grimpais hors de mon édifice de bois et me dirigeais vers la maison, les mains dans les poches en sifflotant, le chat sur mes talons.
J'ai toujours pensé depuis qu'il vaut mieux avoir quelques miettes de gâteau sur soi, dans la vie, si on veut être aimé d'une manière vraiment désintéressée."
Romain Gary, La Promesse de l’aube


mardi 15 octobre 2024

Piano du matin, pas de chagrins

Donnez-nous notre Bach de chaque jour !

Le bel endormi


Au cours de ma onzième année, comme nous étions en vacances chez la grand-mère au cœur d'un août brûlant, je poussai un matin la porte de la chambre de mon grand-frère. Lui n'y était pas, mais un ange brun habitait le lit, un Jean-Jacques de dix-huit ans que le drap blanc couvrait à peine jusqu'à la naissance d'une brune toison. La peau était rose, pas encore brunie par le soleil du midi. Un bras était replié sur le front, les lèvres me semblèrent d'un rouge-vif, « purpurin » lirait-on dans un ouvrage désuet ; le haut de son corps, offert à mon regard, se soulevait lentement, métronomique-ment, au rythme de sa respiration ; l'épiderme était souple, lisse, velouté, en appel irrésistible à la caresse.
Une jambe dépassait du lit, le pied reposant sur le sol de ciment brut ; la cuisse était ferme, épaisse, le genou était fort, où subsistait une trace d'un récent accident de "Vélo Solex" ; le mollet musclé s'abritait sous une fine couche de poils bruns qui bouclaient un peu si l'on remontait jusqu'où palpite le grand Mystère.
Pétrifié, j'ouvrais des yeux ronds, là, sur le pas de la porte.
Le jeune homme a ouvert brièvement les yeux, juste assez, je crois, pour m'apercevoir le détaillant avec émotion.
Devant le café noir, peu après, dans la salle commune, j'ai cru intercepter un clin d’œil qui me hante encore.
(c) Silvano Mangana - Gay Cultes 2015


Regrets éternels

 

Maggie Smith

lundi 14 octobre 2024

Affolant, non ?


 

L'amour obscur

J'ai peur de perdre la merveille
de tes yeux de statue, et l'accent
que, pendant la nuit, pose sur ma joue
la rose solitaire de ton haleine.
J'ai peine à n'être en cette rive
qu'un tronc sans branches ; et ce qui me désole est de ne pas avoir la fleur, pulpe ou argile, pour le ver de ma souffrance.
Et si toi, tu es mon trésor occulte,
si tu es ma croix, ma douleur mouillée,
si je suis le chien de ton domaine,
ne me laisse pas perdre ce que j'ai gagné
et décore les eaux de ton fleuve
avec les feuilles de mon automne désolé.

Federico Garcia Lorca
Sonnets de l'amour obscur (Poésies IV - Gallimard)

Ce cher Marcel