Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


lundi 30 janvier 2023

Mon amant de Saint-Jean : quelques repères

Claude et Jules, un premier amour

Un lecteur et commentateur fort avisé me faisait remarquer, dans un courrier envoyé à mon adresse de messagerie silvanomangana@gmail.com, que certains épisodes de mon roman "choral" pouvaient être source de confusion pour qui le prend en cours de route, ou, tout bonnement, pour le lecteur qui a occulté de sa mémoire certains événements, lieux et personnages. En plus de 80 épisodes, dont le premier fut présenté ici le 8 novembre 2021 (quelques-uns, de plus, sont tombés dans les limbes de Blogger !), ont été contés des itinéraires de vie en divers lieux lors de l'année 1937 et, actuellement, début 38, dont seul, l'auteur sait - et encore pas tout à fait ! - qu'ils convergeront... un jour.
Pour le moment, voici quelques repères (lieux et personnages principaux) :


Claude Bertrand (le narrateur) et Jules Goupil sont deux adolescents vivant à Saint-Jean, village de l'Aveyron, qu'unit une amitié qui se mue en premier amour. Vivre son homosexualité en France profonde en cette période, on peut rêver plus serein ! Ils bénéficient de la protection d'un vieil excentrique, Etienne Jacob (qu'ils ont surnommé "Cheveux de neige"), d'un adolescent marginalisé à cause d'une disgrâce physique nommé Clément Chaumard et d'une "pocharde", Solange Gleize, nouvellement mariée au berger Auguste Delmas.
Septembre 37 : Claude quitte Saint-Jean pour poursuivre ses études au lycée de garçons de Montpellier. Jules, son amant, est "bloqué" au village par un père désireux de le voir travailler au sein de l'entreprise familiale.
À Montpellier, Claude est hébergé par Octave, son grand-oncle, propriétaire viticole et conseiller général radical-socialiste (le gouvernement de la France est, depuis 36, celui du Front Populaire). Dans la grande ville de l'Hérault, il est l'ami de deux "invertis", Marcel et André, que lui a présentés Etienne Jacob et qu'il associe en unité sous l'appellation "Les Nathanaël" (il a lu Gide "sous le manteau").

Au cours d'une grande réunion de scouts en Alsace, Marcel a pris sous sa protection le jeune Roland Siefert qui vit à Neuf-Brisach, et suivrait un itinéraire de vie semblable à celui du narrateur, si ce n'était qu'il s'est résolu à dissimuler sa différence. L'aîné et le plus jeune entretiennent une correspondance, au cours de laquelle le cadet fait part à Marcel des affres dans lesquelles l'ont plongé la découverte de son identité.
1938 : Roland est à présent lycéen à Colmar et vit dans une pension tenue par la famille Bauer. Si les "sudistes" (Claude, Marcel et André) sont des "sans-dieu", ardents défenseurs du "Front Popu'", le petit alsacien, fils d'instituteur, est protestant.

Au lycée de Montpellier, Claude a rencontré Émile Boisselier, issu de la bourgeoisie locale, avec lequel il a une relation charnelle passionnée. Son "amant de Saint-Jean" le sait, l'accepte, affirmant que son amour est si ardent qu'il sera vivifié dès lors qu'il pourra retrouver Claude. Pour le moment, il fait contre mauvaise fortune bon cœur en attendant de pouvoir s'envoler du nid familial. Cependant, après quelques atermoiements, il s'adonne fugacement au plaisir que lui offre Andrzej, un jeune polonais, apprenti du boulanger Chaumard. Clément Chaumard, inquiet de la relation entre Jules et le jeune polonais, a intrigué pour que ce dernier soit renvoyé par son père. Rongé par le remords, Clément s'est pendu dans la grange où l'on remise le corbillard du village !

Le frère aîné d'Émile, Désiré Boisselier, camarade de faculté de Marcel, est un personnage qui suscite immédiatement l'antipathie : pervers, fielleux, il a toujours une attitude méprisante pour "ces messieurs" dont il a décelé les "mauvaises mœurs". Il fréquente les milieux d'extrême droite, est affilié à l'Action Française.

Claude a un nouvel ami en la personne de Pierre Bloch, un condisciple brillant qui est aussi un excellent violoniste, élève du Conservatoire. Au lycée, Bloch est victime de l'antisémitisme, qui se manifeste un jour violemment lors d'une embuscade tendue par des élèves. C'est Claude qui fait le coup de poing et met les agresseurs en déroute. Pierre lui voue dès lors une reconnaissance et devient son ami.

Mon amant de Saint-Jean | Épisode 61 : Une chaussette sale

(...) renoncer toujours.

 Colmar, mars 1938

   « Ces deux-là, un jour, on les mariera. »
Au cours de ses vacances hivernales à Neuf-Brisach, Roland a si bien joué le jeu, que Mathilde, plus énamourée que jamais, n’a pu entrevoir ce qu’avait d’artificielle la fleurette que lui contait le lycéen. L’idylle entre la fille du pasteur et le fils de l’instituteur, si normale, si convenable, si plausible, est le gage que le Seigneur fait bien les choses, qui unira un jour, on ne saurait en douter, ces deux beaux enfants, destinés à s’aimer depuis le berceau. Amen.
   Colmar est un paradis propice à l’éclosion d’une vocation, semble-t-il. Tous les jeudis après-midi, après avoir mis la dernière main à ses devoirs, Siefert va regarder un film dans l’une des salles de la ville. La passion, en germe depuis le séjour de l’équipe de Jean Renoir dans sa cité d’origine, ne demande que ces images mouvantes, légèrement granuleuses, ces drames, ces comédies, ces aventures en terre lointaine, pour s’en trouver fécondée. Au Colisée, où le spectacle est permanent, il peut revoir aussitôt le programme du jour, si l’œuvre présentée l’a exalté, bouleversé, l'a transporté au-delà du réel. Pour apercevoir Quirin, son impossible désir, qui jaillit, en uniforme prussien, à la quarante-deuxième minute, et dont l’image s’enfuit presque aussitôt, il a vu quatre fois La grande illusion ! Il sait à présent comment apprécier pleinement le spectacle cinématographique, comme l’amateur d’art a appris à savourer un tableau dans ses moindres détails. Certes, son appétence pour ce que l’on n'appelle pas encore septième art, n’a pas déterminé, pour l’heure, s’il tiendra une caméra, s’il dirigera les vedettes de l’écran, s’il écrira des histoires, mais, sans la confier à quiconque, il a une vision de son destin que rien ne saurait obscurcir.
   Mais bien plus lourd à porter est son vrai secret. Il peut seulement rêver de l’autre Roland, il doit lutter contre cette envie de se rapprocher du jeune gars aux yeux rivés sur l’écran à trois fauteuils d’orchestre du sien, combattre la hardiesse qui lui ferait poser sa main gauche sur la cuisse de son voisin et plus, oh oui, beaucoup plus. Mais il faut renoncer, bien sûr, renoncer toujours.
   Presque chaque nuit, la gorge nouée, il perçoit les mouvements de Georges dans le lit voisin et ses râles spasmodiques. Ce soir, où la lune est pleine, où, effrontée, sa lumière viole l’intimité de leur chambre, il simule le sommeil et ose un regard vers le petit lit où s’agite le camarade. Il n’y tient plus. Lui vient l’idée d’un stratagème. Il se redresse, siffle entre ses dents, adopte un ton rigolard qui ne peut prêter à équivoque : — Hé, Küss, tu ne veux pas que je t’aide, non ?
L’autre s’interrompt, et d’une voix étouffée, lui renvoie la balle habilement lancée :
— Ah ah, salaud, je suis repéré ! Tu vas pas me balancer aux autres, dis ?  
— Tu plaisantes ; tu crois que c’est mon genre ?
— Ne m’dis pas que tu l’as jamais fait. C’est un péché... mais c’est tellement bon, non ? Écoute, fais comme moi, on le fait en même temps, en copains. J’ai un truc : tu prends une chaussette sale et tu jutes dedans. Pas de traces.
Frénétiquement, Roland, sous le rayon de lune complice, extrait une chaussette de la paire de Pataugas au pied du lit.
— Hé, Siefert, tu me préviens quand ça vient, hein ? Et on la boucle, bien sûr, on sera potes.
Pas de traces.
À suivre
©  Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
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Ah ah, salaud, je suis repéré ! 
Illustrations
1- L'acteur Max Riemelt dans Napola de Dennis Gansel (All. 2004)
2- Archives Gay Cultes (source indéterminée)

dimanche 29 janvier 2023

On est très potes


Je veux être une fleur

Je veux être une fleur est l'histoire d'un garçon qui aime tellement les fleurs qu'il rêve d'en devenir une. La photographe japonaise basée à Paris Yurina Niihara a photographié le mannequin Aljoscha BeiersComposition florale par Chiaki Kokami.
(Via KALTBLUT)








(C'est fou,
j'utilise exactement
le même vernis à ongles
et le même rouge-baiser
que ce monsieur !)


Photographie par Yurina Niihara / www.yurina-photographer.com / Instagram : @yurina.photographer / @Facebook Le
modèle est Aljoscha Beiers

Directeur artistique par Sachiko Maeno / Instagram : @ssaaccoo
Maquillage et coiffure par Lisa Arai / Instagram : @mashumaro_chan

Fleuriste par Chiaki Kokami / Instagram : @lesintimes

Bon
dimanche !

Beatrice Rana : merci, l'Italie !



En la personne de Beatrice Rana, née près de Lecce en 1993, l'Italie nous a fait don d'une très grande pianiste. Son Scarbo (ci-dessus) extrait ô combien périlleux du Gaspard de la nuit de Maurice Ravel, on ne doute pas qu'une grande carrière attend la musicienne trentenaire, déjà lauréate des plus prestigieux concours internationaux, dont le fameux "Van Cliburn".
Allez vous lover dans ses Variations Goldberg de J.S Bach qui vous feront ranger la version Lang Lang parmi les gadgets aussitôt pressés, aussitôt oubliés. 
Dans son répertoire, déjà pléthorique, on écoutera le Concerto en la mineur de Clara Wieck-Schumann, dont voici le 2d mouvement (Romanze) en cadeau bonus (merci qui ?) 

samedi 28 janvier 2023

Rouge et noir

David Mobalaji par Michael Oliver Love
 

Lycéens


Mes personnages du lundi
ne sauraient se risquer à ces démonstrations.

Ennio, avant le cinéma

 Comme explicité dans le beau film Ennio, de Giuseppe Tornatore, le Maestro Morricone se fit tout d'abord un petit nom en devenant l'arrangeur des chansons de la jeune génération de vedettes italiennes, dont Mina (Se telefonando, entre autres). Avant lui, les orchestres se bornaient à accompagner harmoniquement la mélodie. Morricone, comme il devait le faire plus tard au cinéma, bouleversa la façon d'orchestrer. La chanson ci-après, devenue un hit planétaire, lui doit beaucoup :

jeudi 26 janvier 2023

Chambre avec vue(s)


 

Déshabillez-moi

 

Déshabillez-moiDéshabillez-moiOui, mais pas tout de suitePas trop vite
Sachez me convoiterMe désirerMe captiver
Déshabillez-moiDéshabillez-moiMais ne soyez pas commeTous les hommesTrop pressés
Et d'abord, le regardTout le temps du préludeNe doit pas être rudeNi hagard
Dévorez-moi des yeuxMais avec retenuePour que je m'habitueOh, peu à peu
Déshabillez-moiDéshabillez-moiOui, mais pas tout de suitePas trop vite
Sachez m'hypnotiserM'envelopperMe capturer
Déshabillez-moiOh, déshabillez-moiAvec délicatesseEn souplesseEt doigté
Choisissez bien les motsDirigez bien vos gestesNi trop lents, ni trop lestesSur ma peau
Voilà, ça y est, je suisFrémissante et offerte (*)De votre main experteAllez-y
Oh, déshabillez-moiDéshabillez-moiMaintenant, tout de suiteAllez vite
Sachez me posséderMe consommerMe consumer
Déshabillez-moiDéshabillez-moiConduisez-vous en hommeSoyez l'hommeAgissez !
Déshabillez-moiOh, déshabillez-moiEt vousDéshabillez-vous !

(Texte de la chanson de Gaby Verlor et Robert Nyel créée par Juliette Gréco)
© Warner Chappell Music France

(*) On peut changer le genre.

lundi 23 janvier 2023

Mon amant de Saint-Jean | Épisode 60 : Plaies et bosses

(...) j’ai appris à me défendre quand j’étais aux Éclaireurs

   Il y avait dans ma classe un garçon qui excellait en français. Nous étions en cette matière deux rivaux, les yeux de l’un fixés sur les notes de l’autre. Notre concurrence était des plus loyales, cependant, pétrie d’admiration mutuelle, les progrès de l’adversaire ayant pour principale vertu d’inciter à l’effort, en aiguillon bénéfique. Pierre Bloch, malgré de précoces facultés intellectuelle, n’aurait pu, toutefois, exciter la jalousie d’Émile. L’attirance que j’éprouvais pour lui n’était que morale, car ce garçon n’avait rien qui puisse attiser la sensualité toujours exacerbée que mon partenaire savait admirablement tarir. À cela suffisaient amplement les joutes charnelles du jeudi. En Bloch se synthétisaient les conceptions que l’on pouvait avoir de l’élève idéal, un « premier de la classe » tel que véhiculé par l’imagerie populaire, ni beau ni moche, binoclard, discret, mais toujours prompt à lever le doigt à toute interrogation émise par le professeur, ce qui provoquait, sans surprise, le sourd ressentiment des cancres du dernier rang. J’avais remarqué, lors des pauses, que ce garçon évitait la promiscuité, se réfugiant sous le préau même par grand soleil, comme s’il redoutait quelque agression. Hormis l’amitié ô combien complice qui me liait à Boisselier, je n’avais guère frayé avec la gent lycéenne qui me le rendait bien. On savait mes origines rustiques, et l’on ne se privait pas de me le faire sentir. Exclu, mais plus aguerri que lui, j’avais appris à hausser les épaules quand on me décochait un sourire où perçait le mépris de ma condition. Initialement, je ne savais pas que Pierre, qui devint par la suite le plus dévoué des amis, était affligé, aux yeux de beaucoup, d'une tare de nature à le discriminer.    
   Je l’appris incidemment un soir où je regagnais la maison après l’étude. Non loin du lycée, une animation peu habituelle régnait dans un passage que j’empruntais d’ordinaire pour raccourcir mon trajet. J’y avisai Bloch, à terre, subissant la hargne de deux élèves qui étaient de ceux qui m’avaient manifesté leur morgue à maintes reprises. Mon excellent camarade, recroquevillé, encaissait horions et coups de pieds en silence, sans pouvoir répliquer. Sans doute pleurait-il. Mes combats contre les cul-bénits de Saint-Jean m’avaient, par le passé, entraîné à de guerriers exercices, et même si je répugnais à l’action violente, je devins sourd, en la circonstance, à toutes mes convictions en la matière. Je me précipitai, saisi d’une incompressible fureur, et fonçai tête baissée, bras et jambes pour seules armes, mon manteau d’hiver pour toute cuirasse. Je me déchaînais, ivre de rage, assénant mes coups de toutes mes forces en poussant des cris de bête fauve. Plus que les blessures que je parvenais à infliger aux deux voyous, c’est la fureur qui m’animait qui les fit détaler. Hors d’atteinte, bien mis à mal, tentant de reprendre leur souffle, je les entendis glapir : « Le sale youpin et le plouc, on vous retrouvera ! » Je me penchai sur mon infortuné camarade, geignant de douleur, et l’aidai à se remettre d’aplomb. Demeuraient au sol ses lunettes, désormais hors d’usage. Pour moi, de tout temps, des lunettes cassées seraient le symbole de la vindicte barbare s’exerçant sur l’intelligence. Je me fis un devoir de raccompagner chez lui le souffre-douleur de ceux que je lui définis, encore sous le coup de ma colère, en « pauvres types ». En boitillant, mon condisciple se répandit en remerciements émus.

   Ce n'est pas la première fois. D’habitude, je parviens à fuir avant qu’ils m’attrapent. Ils me coursent parfois jusque devant chez moi. Une fois, ils ont mis un rat mort juste devant la porte. Je ne veux pas en parler à mes parents, mais ils me mènent une vie d’enfer. J’ai bien compris que la seule issue, c’est le travail. À chaque bon résultat, j’ai l’impression de les narguer, de marquer un point contre eux.

   Contre moi, tu veux dire, tentai-je pour amener un sourire sur son visage un tantinet amoché !

   Où as-tu appris à te battre ? Tu les as drôlement corrigés. C’était presque comique de les voir repartir clopin-clopant.

   Je déteste la violence, mais j’ai appris à me défendre quand j’étais aux Éclaireurs, dans mon village. Toi, tu as bien besoin d’assurer tes arrières, tu fais partie d’une communauté en danger.

   Oui, c’est notre lot depuis la nuit des temps. Il y a bien, chez nous, quelques hommes qui savent se battre, mais c’est une minorité. Il faudrait que nous cessions de geindre sous les affronts, que nous apprenions à résister.

   En effet, et ce n’est pas ta culture, indispensable, c’est vrai, qui te servira de bouclier. Bon, chez toi, soigne bien tout ça et remets-toi. Demain, contrôle. Demain, nous sommes à nouveau ennemis, ajoutais-je en riant.

   Des ennemis comme toi, j’en veux des dizaines ! Merci. Mille fois merci, ô mon sauveur ! Je n’oublierai pas.

Je le vis monter avec difficultés les quatre marches qui le conduisaient sur le seuil d’une humble maison à côté de laquelle celle où je vivais faisait figure de palais royal.
Moi, le plouc, j’étais devenu l’ami d’un Juif. Qui ne savait pas encore que son "sauveur" fît partie d’une communauté tout aussi décriée. Dans ses yeux de myope, j’avais décelé une lueur d’intégrité qui ne pouvait m’abuser. J’avais un nouvel ami. Un vrai, sans aucune ambigüité. Mais aussi, un compagnon de luttes à venir.  
À suivre
©  Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
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Illustration : Éclaireurs de France

samedi 21 janvier 2023

Repli sur soi

 

Tout pour plaire (2)

La même photo que samedi dernier,
mais, cette fois, avec le vrai visage de William Roepstorff,
qu'un jeune et joli admirateur avait piraté.
Rendons à César ce qui n'est pas à Jules.
D'autant que William, notre jeune danois, 
a une qualité très appréciée ici : il a un "boyfriend".

Puglia (Pouilles)

Locorotondo


Castel del Monte

Longtemps méprisée par le tout-venant touristique,
la région des Pouilles est devenue très prisée des voyageurs.
Il faut donc faire vite pour l'apprécier sans trop de désagréments.

vendredi 20 janvier 2023

Renvoyés fesses à fesses

Fanfaron

Babylon : quel film !


 Drôle, tragique, ébouriffant : les mots me font défaut pour définir ce tsunami qui a déferlé sur nos écrans mercredi dernier.
Hommage ému et émouvant au cinéma, le spectacle de Damien Chazelle ne laissera personne indifférent : vous aimerez ou adorerez le détester.
Moi, j'ai choisi mon camp : je dis "bravissimo" !

Et puis, cette référence, en fin de film, n'est-ce pas ? :


Chauffe, Pietro !

Pietro Boselli

mercredi 18 janvier 2023

C'est cadeau

 

Jeunesse immortalisée

 

Horace Vernet, Etude académique d'un adolescent (1807-1810)

Immense Morricone, sublime Dulce Pontes, grand film... et Vérone...


En 2013, j'ai eu la chance d'assister à un concert du Maestro dans ces mêmes arènes de Vérone.
La balade du très beau film Sacco et Vanzetti de Giuliano Montaldo (1971), moins connue que le "tube" Here's to you, immortalisé par Joan Baez, retranscrit admirablement l'ignoble injustice dont furent victimes les deux prétendus "terroristes". Du grand art, par un compositeur immortel, servi par une grande voix.

Babylon/Babylone

Au centre, Margot Robbie : ambiance !

Le film de Damien Chazelle est visible, à partir d'aujourd'hui, sur les écrans français. Attendu avec impatience par les cinéphages ("cinéphiles", ça fait un peu espèce en voie d'extinction), dont je suis, cette production de la Paramount, qui n'a pas eu apparemment le ciseau trop lourd en matière de censure, promet plus de trois heures de spectacle autour des excès en tous genres qui accompagnèrent la naissance de Hollywood avant que les ligues de vertu et, concernant les films, le code Hays, ne viennent mettre leur nez dans ce maelstrom de vices et d'addictions de toutes sortes.

Pour son film, Chazelle ne cache pas qu'il s'est inspiré en partie du livre de Kenneth Anger Hollywood Babylone (avec un "e" dans sa version française) qui fit un sacré scandale aux États-Unis et fut frappé d'interdiction en 1975. Il y a de quoi être estomaqué devant le climat qui régna dans et hors les studios dans la période mise en images par Chazelle, mais aussi par la suite : empoisonnements, suicides, dépravations diverses, drogues à la louche, viols sur mineures, chantages et mariages forcés (cf. Chaplin), etc.

   On connait le talent de Chazelle. La distribution est de haut niveau : le beau sexagénaire Brad Pitt en miroir de John Gilbert, Margot Robbie en simili Clara Bow et Diego Calva, qui n'est pas normand, la révélation du film, sauf pour celles et ceux qui l'ont vu dans un rôle très gay dans le film mexicain  Te Prometo Anarquía (Je te promets) de 2015. La musique est signée Justin Hurwitz, oscarisé pour La La Land.

Prometteur.

Brad Pitt et Diego Calva

lundi 16 janvier 2023

Mon amant de Saint-Jean | Épisode 59 : Le Front bat de l'aile

Le jeudi était le jour de l’amour...

   Octave Rochs était l’archétype du notable radical-socialiste de la IIIᵉ République : mon grand-oncle était un homme débonnaire, toujours d’humeur joviale, ouvert d’esprit. Mais sa tolérance avait des limites ; à tel point que l’on peut imaginer ce qu’aurait pu produire la révélation des mœurs de Marcel, fils de son meilleur ami, du jeune Boisselier, et, pis encore, d’apprendre que son propre petit-neveu, ce lycéen sérieux qu’il accueillait avec mansuétude sous son propre toit, était « de la jaquette », comme on disait stupidement à l’époque. L’expression est, hélas, encore en usage de nos jours, commune aux personnes de ma génération. Il était heureux que ni le fils Fabre, ni moi, n’eussions des attitudes prêtant à équivoque. Nous n’avions pas « des manières », nous n’avions pas « mauvais genre », comme on disait. Dans le langage courant, les « invertis » ne draguaient pas : ils faisaient des propositions. En tout état de cause, nous devions faire, comme on le dit aujourd’hui, « profil bas ».
   J’écoutais ce soir-là les disques prêtés par l’enfant de chœur – je prenais plaisir à me gausser gentiment de lui en ces termes – quand l’oncle fit une entrée théâtrale dans le salon où le phonographe répandait le son des grandes orgues de Notre Dame de Paris : « Mais, on se croirait à la messe ici ! »  Je soulevai vivement le bras de l’appareil, comme si j’avais été pris en faute. Dans son fauteuil, d’où elle découvrait cette musique que mon enthousiasme l’incitait à apprécier, Magali gloussait : « Papa, tu n’es pas au courant que Claude veut entrer dans les ordres ? » Souriant, le maitre des lieux nous invita à le rejoindre à la cuisine pour le souper, toujours frugal, car le grand homme tentait, chez lui, de dissiper les conséquences de ses repas d’affaires et des banquets républicains auxquels il se devait de participer : il maudissait cet embonpoint qui le forçait à déboutonner le gilet de son costume quand il était en position assise. Le soir était dévolu au potage – plus à mon goût que la sempiternelle soupe de gruau de Saint-Jean – suivi de fromage maigre et d’un fruit. Il n’y avait pas de quoi satisfaire l’appétit féroce des deux jeunes personnes de la maison. Aussi emportions-nous subrepticement des victuailles que nous dévorions, à l’étage, avant le coucher, car des stages récents dans la cuisine à pas d’heure nous avaient valu quelques remontrances.
   La vie quotidienne dans la maison de mon oncle s’était organisée pour le mieux depuis mon arrivée. Je m’y sentais chez moi. J’aimais la tranquillité de ce foyer d’accueil où je pouvais étudier dans le calme, lire, rêver, heureux de ma réalité. Je prêtais la main aux menues tâches de la maisonnée ; je mettais le couvert, débarrassais la table, lavais la vaisselle à l’occasion (ce qui aurait grandement surpris mes parents) : je leur étais redevable de tant de générosité. Je vivais ma vie dans cette ville, j’apprenais chaque jour, j’allais au cinéma, à la bibliothèque – j’étais boulimique de lecture ! – et j’y assumai, secrètement, mais ardemment, ma différence. 
   Le jeudi était le jour de l’amour, que j’attendais avec l’impatience du gourmet dans la perspective d’un repas gastronomique. Pour autant, ne croyez pas que Jules était absent de mes pensées. Nous nous écrivions chaque semaine. Marcel me remettait ses lettres lors de nos petites réunions au Colombier, ces sacro-saintes entrevues des « garçons comme ça d’obédience marxiste-léniniste » du samedi après-midi qui débutaient après le départ du dernier client du déjeuner, quand René, le serveur « de la jaquette » (chez lui, ça se voyait !), tirait les rideaux imprimés des volatiles qui avaient donné leur nom au restaurant. Ce qui battait de l’aile, en ce début d’année 1938, c’était bien le Front Populaire : on pressentait que le gouvernement Blum était en sursis. Même si l’assemblée était élue pour cinq ans, le Président du Conseil se heurtait à des oppositions internes qui le fragilisaient. La situation internationale était alarmante. La France était prise en étau entre les régimes totalitaires d’Allemagne et d’Italie. En Espagne, c’était mal parti pour notre camp, et nous nous préoccupions du sort de mon oncle, Louis Bertrand. Marcel défendait Blum bec et ongles, quand le bel André, en bon communiste – on appuie, mais on ne participe pas, j’ajoute « on ne sait jamais » – commençait à prendre le large. Je ne rejoignis pas, à seize ans, le Parti de Maurice Thorez, comme j’en avais eu l’intention. Mon père, pourtant « coco » bon teint, me l’avait expressément interdit lors de mon séjour de Noël, arguant que les mois à venir s’annonçaient comme porteurs d’épouvantables tempêtes. Un peu plus tard, je sus combien prophétiques furent ses propos. Je me bornais à étudier et m’efforçais de maîtriser l’art du grand écart amoureux où m’avaient menées les circonstances. Je regrettais les rudes assauts de Jules Goupil et appréciais, en nouvel esthète, l’élégance et la sensualité d’Émile. Pour combien de temps ?
À suivre
©  Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
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(...) l’élégance et la sensualité d’Émile.

Rassemblement populaire du 14 juillet 1936 (via L'Histoire)