Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


mardi 31 mai 2022

Ukrainien

Vic Bakin, photographe. Kyiv, Ukraine

Mes goûts et mes couleurs

Depuis plusieurs années, j'affiche des images qui reflètent peu ou prou mes goûts et, parfois, mes douleurs dans une GC Gazette Tumblr en noir et en couleurs.
Vous pouvez feuilleter au rythme qui vous convient.
C'est par là :  

L'univers de Silvano,
M. Gay Cultes.
Oh oui, je clique !

lundi 30 mai 2022

"Mon amant de Saint-Jean" | Chapitre II | Épisode 13 : L'un sans l'autre


Résumé
Claude, l'auteur du texte, et Jeannot sont séparés  : le premier est parti pour Montpellier pour ses études. Il y est accueilli dans la maison d'Octave, son grand-oncle. Avant le premier souper, il a la surprise de voir arriver le fringant Marcel, qui n'est autre que l'un des jeunes hommes qu'il a surpris s'embrassant avec fougue à Saint-Jean, au début de l'été. Il a été décidé que l'étudiant serait le mentor de son cadet, lequel aurait bien besoin d'un guide pour découvrir la vie citadine. Les deux jeunes gens ont pris rendez-vous pour le lendemain, dimanche, pour une visite de la grande ville.

   

   Il avait dit un jour, faisant s’embuer mes yeux, qu’un siècle auprès de moi serait bien plus court qu’une minute sans moi. Pendant que je découvrais la grande ville, à Saint-Jean mon amour se morfondait. Il avait erré tout au long, de ce trop long dimanche, sous ce soleil de septembre qui veut affirmer sa vigueur dans un dernier sursaut avant de rendre les armes aux langueurs de l’automne. Pour l’heure, on cherchait encore l’ombre salvatrice, un refuge pour pleurer sans retenue, à l’abri des soupçons, l’absence de l’aimé. Goupil, pour la première fois depuis l’aube de leur amour amitié, avait parcouru en solitaire les chemins de traverse sur la bicyclette fatiguée des anciennes randonnées à deux, quand, loin du village, ils faisaient halte sur les rives de la Dourbie où, dans leur beauté révélée, ils s’ébattaient gaiement, nus, libres, dans l’onde fraîche et apaisante de la rivière complice. C’était comme un pèlerinage sur les lieux de leurs bienfaits, les images des temps enfuis revenant l’assaillir, des temps si proches et si lointains où nous nous livrions des combats pour de rire qui, toujours, se muaient en étreintes jusqu’au jaillissement du plaisir, où un fou-rire inextinguible l’avait gagné quand je m’apeurai à la vue d’une couleuvre et qu’il avait dit « une vipère, fais gaffe ! », car lui savait différencier les deux reptiles et nous entrions à nouveau dans la rivière pour effacer les traces de nos égarements qu’il savait aujourd’hui indélébiles. Quand il parvint à l'un de ces lieux qui, secrètement, leur appartenaient, il se dévêtit entièrement et s’assit, prostré. Ce n'étaient pas des gouttes de rosée qui, à cette heure du jour, irisaient le tapis d’herbes où il s’était recroquevillé. 

*

   J’ai retrouvé Marcel à neuf heures sur la grande place qui sommeillait encore. À la terrasse de la grande brasserie, il m’offrit un café-crème et des croissants. Ils sont moins généreux, moins bons que ceux de Chaumard, ai-je pensé. Mon mentor était en verve, qui me désignait les « trois grosses » et j’apprendrais de lui un peu plus tard que, pour lui, toutes les femmes étaient des « grosses » ; je n’aimerais pas ce mépris qu’il affichait pour l’autre sexe ; il persiflait : « sexe opposé, ça veut tout dire ! », mais, fort heureusement, il avait maintes qualités : son exubérance jamais en défaut, sa grande culture, une beauté physique qu’il fallait savoir déceler, car, au premier regard, il était d’apparence à se fondre dans la multitude. En le détaillant – il vit que je le scrutais et adopta soudain la mine de qui se fait tirer le portrait chez le photographe – on s'avisait que ses traits étaient harmonieux. Il évoqua son aïeul François-Xavier, un peintre du siècle dernier qui avait légué un musée à la ville. La visite était au programme de la journée et j’aurais à admirer le portrait de l’arrière-grand-père, auquel son descendant ressemblait à s’y méprendre. La conversation dériva, comme d’évidence, vers notre commune particularité. Je savais qu’il était deux, mais, le laissant annoncer que son « ami », tel qu’il le nommait, allait nous rejoindre à midi, je ne lui parlai pas de la grande révélation de leur enlacement, que j’avais reçue à Saint-Jean comme un bouleversement salvateur. Je crois que je ne savais même pas, à cette époque, ce qu’était un maillot de bain. Quand il me dit que nous irions – « tu comprends, il faut en profiter maintenant, il fera chaud cette après-midi ! »  nous baigner à Palavas et qu’il me posa la question, je lui dis que je n’en possédais pas. « Les Dames de France, c’est fermé le dimanche. Nous passerons chez moi et je t’en prêterai un. » décréta-t-il, tout en ajoutant qu’il y avait, à Maguelone, un vaste espace où ce bout d’étoffe ne s’imposait pas. Il vit que je m’en effrayais et me confia en riant que son alter ego aimait exposer ses fesses aux rayons du soleil, mais que l’on serait sages. Après avoir traversé la place, nous nous dirigeâmes vers le musée, fermé le dimanche. Mon nouvel ami avait le privilège d’y accéder à tout moment et c’est un gardien déférent qui nous ouvrit la porte de service. Je n’avais jamais vu d’œuvres d’art qu’en reproductions au gré de mes lectures et m’extasiai devant les toiles exposées, dont celle de l’ancêtre, un Marcel d’un autre temps, dont seule la chevelure en ondulations le distinguait. Mon comparse dut me bousculer quelque peu pour que nous ne manquions pas le rendez-vous avec André, tant je passais de longues minutes devant le moindre paysage, la moindre nature morte, le moindre portrait, dont celui d'un jeune berger d'Arcadie qui me troubla intensément. 
À midi pile, nous rejoignîmes le jeune Foulques.
(À suivre) 
©  Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022        

Ce n'étaient pas des gouttes de rosée...
(...) auquel il ressemblait à s’y méprendre.
F.X Fabre | Jeune berger en Arcadie 

dimanche 29 mai 2022

Après Mariù, Marius :

 Il s'appellerait Luis Gonzales, mais je n'en suis pas sûr.


Parle-moi d'amour, Mariù (Mario ? Marius ?)


J'adore ce grand classique de la chanson italienne dite "de variétés".
Pour moi, c'est plutôt du "bel canto".
Luciano Pavarotti aimait cette chanson.
L'acteur et chanteur Achille Togliani (1924-1995) la chanta fort bien.
Je vous évite la version de Tino Rossi, mais celle de Vittorio de Sica
en pleine période fasciste, n'est pas si mal :


Danse avec les anges


En voyageant au fil de la grande toile, je tombe en arrêt sur cette photo.
C'est exactement toi, toi qui dansais ainsi, sourire aux lèvres, les mains dans les poches de ton jean.
Jamais tu n'as su te mouvoir en rythme : tu affichais une indifférence, feinte, sans doute, à la musique. Mais tu avais fait de moi "ta star", car tu m'admirais de savoir en jouer.
J'ai parlé de toi, il n'y a guère, avec ton fils :  je n'ai pu lui dire que nous nous étions aimés. 
Là où tu es aujourd'hui, j'espère que tu danses, encore, même mal.
Sea, sex, and sun, tu te souviens ?

S.

En photo : Tom Welling, acteur principal de la série américaine Smallville

Humour à l'italienne

jeudi 26 mai 2022

F.......u ! *

Juste assez

* Les membres du club auront compris.

Nouvel Elvis

 Posant pour les photographes, à Cannes, 
l'acteur Austin Butler incarne Elvis Presley
dans Elvis, de Baz Luhrmann.
Charmant, non ?

Homophobie ordinaire

 Quatre ados de seize ou dix-sept ans dans le métro. 
L'un d'eux leur montre sur son "smartphone" une photo peu ragoutante d'une victime de la "variole du singe", cette affection nouvellement arrivée en France.
L'un d'eux, alors :
- Beurk ! D'façon, c'est pour les gays, euh j'veux dire, les homosexuels (trop "sympa", gays ?), c'est pas pour nous, on est pas du même bord, on s'en fout.

L'amur tujurs, tujurs l'amur

lundi 23 mai 2022

"Mon amant de Saint-Jean" | Chapitre II | Épisode 12 : Nous sommes des roses

" Nous, nous sommes des roses. "
Résumé
Septembre 1937
Claude Bertrand (le narrateur) vient d'arriver à Montpellier. Il a quitté Saint-Jean, son village de l'Aveyron, pour la grande ville, où, accueilli chez son grand-oncle Octave, il va suivre des études que ses capacités lui permettent d'envisager comme brillantes. Pour fêter son arrivée, un dîner est organisé chez son parent. Un couple d'amis de la famille a été invité avec son fils qui n'est autre que Marcel, l'un des deux jeunes hommes que Claude avait surpris s'étreignant fougueusement au début de l'été, chez 
Étienne Jacob, un universitaire retraité qui abrite chez lui des amours que la majorité de ses concitoyens réprouverait. À Saint-Jean, le jeune Claude a dû se séparer de son amant Jean Goupil, contraint de travailler dans la menuiserie de son père qui souhaite en faire son successeur, rejetant le projet d'études de son fils.
Pour l'heure, Claude vient de découvrir Montpellier et la grande maison de ville où il sera hébergé. L'accueil qui lui a été réservé est des plus cordiaux, l'arrivée de Marcel Fabre venant de raviver son enthousiasme.


   Ne dites jamais à une Sétoise que la bourride (1) est « une sorte de bouillabaisse » comme je le fis imprudemment sous le regard courroucé de Mélanie pendant que les autres convives riaient sous cape. J’étais très impressionné par la grande table ovale autour de laquelle nous avions pris place. Les coupes en cristal qui scintillaient sous le lustre à pampilles et les jolies fleurs des champs que ma grand-tante avait disposées sur la belle nappe passementée de fils d'or me firent penser à cette nature morte d’un peintre ancien que j’avais admirée dans un livre d’art chez Étienne Jacob.
Je m’étais tenu du mieux que je pouvais, mon convive en vis-à-vis m’adressant force clins d’œil à la dérobée. Tout au long de ce souper, Marcel avait su détendre mon atmosphère. Il avait ressenti à quel point le trac s’était emparé de moi. Magali n’était pas en reste ; elle pépiait aimablement, m'interrogeant sur mes centres d’intérêt, la littérature, le cinéma, la musique. Pour ce qui relevait de ses propres goûts, elle évoqua notamment une chanteuse nommée Marianne Oswald, dont la chanson La chasse aux enfants lui donnait des frissons. Je ne connaissais pas cette artiste ; le phonographe d’
Étienne Jacob nous avait habitués aux chansons folles de Charles Trénet, aux roucoulades d’Yvonne Printemps, pleurant parfois avec la môme Piaf, révélation de l’année, qui chantait Mon légionnaire. Jeannot disait que sa version était plus moderne que celle de Marie Dubas et que la cire du phonogramme allait fondre de douleur, tant la voix de la chanteuse était déchirante.
   La soirée prit bonne tournure ; le jeune trio de la table s’animait crescendo, nos rires fusaient, avec une retenue polie, toutefois ; la curiosité de l’autre allait croissant. Il faut dire que la Suze et le Picpoul – Marcel disait drôlement picpouille – participaient à l’euphorie ambiante. Ma grand-tante et ma cousine sétoise – elle avait fièrement revendiqué ses origines en servant le plat principal – se bornaient, elles, à s’amuser de la conversation des enfants. Pour de nombreuses femmes, maternelles par essence, dès lors qu’on n’a pas atteint une bonne trentaine, nous sommes des enfants ; pis, mais de nature à m’inonder de tendresse, ma propre mère nous désignait, ma sœur et moi, comme étant « les enfants » quand nous abordions la cinquantaine.
   Quant aux deux hommes de cette petite assemblée, ils conversaient entre adultes dignes de ce nom : d'affaires (Fabre était un client d’Octave, dont j’appris qu’il possédait des vignes à Saint-Drézéry), et de politique. Mon grand-oncle, du parti radical (mon père disait « les radsoc » et plus "social-traîtres" depuis 36), était donc partie prenante du Front Populaire. Entre deux phrases, il se tourna en ma direction et m’asticota : « Et ton père, toujours aussi rouge ? », me le mettant aux joues. Marcel se pencha vers moi et me glissa, gloussant, « Nous, nous sommes des roses, hein ! ». Magali faisait mine de n’avoir rien entendu, mais je supposais qu’elle connaissait suffisamment le jeune Fabre pour se livrer à des supputations sur mon propre compte, ce qui me contraria. C’était par bonheur la seule allusion qu’il se permit au sujet de ce qui reliait nos intimités. Je tâchai de me convaincre que le sous-entendu avait échappé à ma cousine. Magali m’observait de ses noires prunelles depuis que nous avions pris place autour de la nappe blanche où scintillaient des couverts en argent semblables à ceux de la ménagère que ma mère ne sortait d’une commode qu’aux grandes occasions. Elle avait souri quand j’avais demandé à voix basse des explications à Marcel : pourquoi ces deux verres et ces couverts de tailles différentes ? Marcel prenait au sérieux le rôle de mentor que lui avait attribué d’emblée mon grand-oncle.
Avant que cette bonne compagnie ne se quitte, il me donna rendez-vous pour le lendemain à dix heures devant le grand théâtre. Nous allions pouvoir converser en totale liberté.
Dans ma chambrette, j’eus à peine le temps de mettre de l’ordre dans le bouillonnement de mes pensées qu’un sommeil salvateur m’entraîna dans ses abysses. Le premier dimanche de ma nouvelle vie s’annonçait prometteur.
(À suivre) 
©  Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022
(1) La bourride de lotte (ou baudroie) se prépare avec les ingrédients suivants : aioli blanc de poireau, carottes, croûtons, échalotes, fenouil, fumet de poisson, lotte, safran et vin blanc. 

Bourride à la sétoise
Illustration en-tête : Felix d'Éon

dimanche 22 mai 2022

Ne change rien

Le dénommé Eyal Booker

 Bon
dimanche !

Duo immortel pour deux (vrais) génies



Magnifiques, ces variations de Beethoven sur le thème d'Haendel que je chantai au collège.
Et puis, Gulda + Fournier, quel tandem !

samedi 21 mai 2022

Cravaté

"La femme de Tchaïkovski" à Cannes

 



J'ai maintes fois évoqué ici (donnez-vous la peine de chercher) le "cas Tchaïkovski" dont l'orientation sexuelle est tabou en Russie, quel que soit le régime politique en vigueur (vigueur est un euphémisme).
J'avais également rédigé des billets sur le film quelque peu grandiloquent de Ken Russel La symphonie pathétique (Music Lovers) qui, finalement, reste tout à fait regardable de nos jours, même si le cinéaste prend des libertés (inhérentes à son style) avec l'Histoire. Et puis, Richard Chamberlain, dans le rôle du compositeur, était d'une beauté renversante.



Le couple Tchaïkovski. Mariage de raison.

Pour son quatrième film sélectionné à Cannes et après plusieurs années d'interdiction de sortie du territoire, c’est un Kirill Serebrennikov libre qui se retrouve sur la Croisette pour la projection de son film La Femme de Tchaïkovski, où il saisit toute la "rhétorique homophobe russe". Dans le film de Russel, Antonina Miliukova, l'épouse du compositeur, lequel est dans l'incapacité de consommer le mariage (la scène dans le wagon-lit est explicite), va finir ses jours dans un asile d'aliénés.
Je ne sais pas ce qu'il en est dans le film de Sebrennikov dont la date de sortie en France n'est pas encore connue.
Je suis à mon poste de vigie.

La femme de Tchaïkovski de Sebrennikov

En guise de synopsis : 

Russie, 19ᵉ siècle. Antonina Miliukova, jeune femme aisée et brillante, épouse le compositeur Piotr Tchaïkovski. Mais l’amour qu’elle lui porte tourne à l’obsession et la jeune femme est violemment rejetée. Consumée par ses sentiments, Antonina accepte de tout endurer pour rester auprès de lui.

Les critiques, sans être dithyrambiques, ont réservé un très bon accueil au film de Sebrennikov.
Le Monde avertit que "
La Femme de Tchaïkovski n’est pas davantage un plaidoyer féministe qu’un biopic mélomane."
Ci-après la bande-annonce (sous-titres anglais) :


Nota : le réalisateur a bien évidemment proclamé à Cannes son opposition à la guerre en Ukraine :

jeudi 19 mai 2022

Bon sang ne saurait mentir



Figurez-vous que le fouloulesque (et Brésilien) Gustavo Rocha, ci-dessus, a un frère jumeau prénommé Tulio! La nature est parfois fort généreuse.

Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.

Aimer lire, aimer

Photo Ralina Gazizova

 Je viens de lire Le jeune homme (Gallimard), d'Annie Ernaux.
Prenez une demi-heure : ces trente-huit pages relèvent de l'anecdote, un extrait de vie amoureuse que l'on pourrait transposer à sa guise en histoire gay.
L'écrivaine sait admirablement retracer les choses de la vie, on le savait. Fallait-il pour autant imprimer ce texte avec force promotion, quand on sait la difficulté qu'il y a de nos jours à se faire éditer ? Il est vrai qu'Ernaux, c'est un nom et que sur ce nom, on vendra. Ça coûte 8 euros, voilà.

mercredi 18 mai 2022

Cannes 2022

Ce fut sans doute l’ouverture la plus politique, engagée et courageuse du festival de Cannes. Qui s’achève sur le témoignage d’un comédien devenu héros dans la réalité de son pays : Volodimir Zelensky._ Vertige de cette mise en abyme renversée. Avec, aussi, le président le plus ancré dans la vraie vie, le plus authentique, le plus humble : Vincent Lindon. Que son discours faisait du bien à entendre ! Merci également à Virginie Efira d’avoir offert à cette ouverture des paillettes connectées au réel.

Marco : bello !

Le danseur Marco Bozzato, vu ici même en grand-écart 
mercredi dernier, est magnifique dans cette posture "à l'antique".
La photo suivante m'interpelle : 
est-il célibataire ?


Bonus :

mardi 17 mai 2022

Journée mondiale contre l'homophobie*

Les gays sont partout dans les médias. Encore récemment, le très regardable Grand Échiquier de France 2 recevait le comédien Nicolas Maury et le danseur-étoile Germain Louvet dans une émission dont le thème était l'amour. Claire Chazal, plus motivée qu'Anne-Sophie Lapix, qui la précéda dans l'animation de l'émission "culte" ressuscitée, sut écouter les deux intervenants avec l'attitude de quelqu'une pour laquelle l'orientation sexuelle ne saurait être considérée comme "anormale" ou exceptionnelle. Dorénavant, les séries télé qui s'adressent à un jeune public font une large part à toutes les sexualités.
Il y a donc une évidente évolution.
Cependant, hors de la capitale et des villes culturellement "branchées" (quoi que...), la différence est encore source de bien des maux : harcèlement et violence font toujours et encore de nouvelles victimes.
On lira avec intérêt le rapport 2021 (à télécharger) sur les LGBTI phobies de SOS Homophobie : (c'est ici) qui donne à penser que rien n'est gagné.
L'excellent documentaire de France 5 Homosexualité, les derniers condamnés que je signalais dimanche dernier peut se voir en "replay". Il permet de mesurer le chemin parcouru. Espérons...

Contribution
Ludovic, lecteur assidu de Gay Cultes, par ailleurs écrivain sous pseudonyme d'auteur, m'a envoyé ce message que je transmets in extenso :

J'ai regardé hier soir le documentaire sur les derniers homosexuels condamnés. Passionnant, car c'est mon âge, mais pas mon cas, car j'étais tellement convaincu que j'étais un malade qui n'avait le droit que de se cacher honteusement que je n'ai pas pris le moindre risque. Passé mes premières expériences adolescentes, j'ai tout enfoui sous le masque de la normalité. Je n'ai connu le véritable amour physique et sentimental et le véritable plaisir sexuel qu'à quarante ans.
Il faudrait que les jeunes gays regardent ce documentaire. Merci du travail d'information par le dialogue intergénérationnel que vous entretenez de façon si subtile et si vivante par votre blog.
Ludovic

*Le 17 mai est une date symbolique pour les personnes homosexuelles. L’homosexualité est retirée de la liste des maladies mentales de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 17 mai 1990.

lundi 16 mai 2022

"Mon amant de Saint-Jean" | Chapitre II | Épisode 11 : Sacrée surprise !

 je me dénudais et m’arrosais généreusement d’eau fraîche



Résumé
Septembre 1937, Montpellier.
Claude Bertrand, le narrateur, a quitté son village de l'Aveyron. Il vient d'arriver à Montpellier où il va prendre pension chez son grand-oncle Octave Rochs et entrer au lycée Clemenceau. À Saint-Jean, il a laissé Jean Goupil, son amoureux, dévasté. Dans la belle maison d'Octave, il a été accueilli par Magali,  son exubérante cousine. Épuisé par un long voyage, il s'est endormi dans la petite chambre qui lui a été attribuée. En ce samedi soir, un repas est prévu avec sa famille d'accueil et des invités.




   

   Des coups sur la porte, tout d'abord timides puis franchement résolus, m’ont arraché à mon sommeil.
« Ohé, mon cousin, il faut se lever, papa va arriver d’une minute à l’autre ! » chantonnait Magali avec enthousiasme.
 Il fallait que je fasse une brève toilette avant de descendre affronter l’auguste Octave. Ma cousine m’indiqua la salle de bains où je me décrassai rapidement sous le pommeau de douche, manquant de me brûler, car j’avais actionné par mégarde le robinet d’eau chaude. 
À Saint Jean, pas de douche, pas d’eau chaude. On faisait chauffer l’eau dans une bassine puis on la transvasait dans un grand tub en zinc dans lequel on se débrouillait pour se laver soigneusement des pieds à la tête en faisant attention de ne pas inonder la buanderie qui faisait également office de salle d'eau. Aux temps chauds, quand j’étais sûr et certain d’être seul, je me dénudais et m’arrosais généreusement d’eau fraîche, à l’aide du tuyau en caoutchouc de la cour. Là, je pouvais à loisir m’ébrouer sans dommages.
   J’ai entendu entrer l’oncle. La maison jusqu’alors baignait dans une moelleuse quiétude que troublait seulement le chant métallique des cigales. Elles se turent, comme impressionnées par l’arrivée de notre grand homme. Ce fut aussitôt une succession d’exclamations – quelle voix, grands dieux ! –, d’apostrophes à mon endroit : étais-je bien arrivé, où m’étais-je caché ? On était sans doute étonné que je ne sois pas au garde-à-vous dans l’entrée pour accueillir le maître des lieux. Confus, j’accélérai le mouvement et me précipitai dans la chambre pour m'habiller du mieux possible. 
Après m’être imprégné d’eau de Cologne, je revêtis ma chemise blanche avec un petit nœud-papillon à élastique, la veste et le pantalon noirs que je n’avais plus portés depuis l’enterrement d’Antoine, le frère de mon grand-père paternel René Bertrand.
   Me jugeant présentable, je descendis les escaliers quatre à quatre pour gagner le rez-de-chaussée où m’attendait un véritable comité d’accueil : l’oncle, bras croisés, aux côtés de Line, son épouse, une vieille femme qui devait être Mélanie dont je n’avais pas compris s’il s’agissait d’une parente ou d’une domestique et Magali, que mon embarras mettait visiblement en joie.
Mes craintes furent vite dissipées : l’austère personnage du portrait de la chambre des parents s’effaçait, auquel se substituait un homme rondouillard et jovial à l'accent prononcé qui me jaugeait avec une évidente satisfaction.
   — Alors, le voilà enfin, ce neveu de l’Aveyron, le chéri de ma nièce, qui a déjà fait la conquête de Magali. Une bonne bouille, oui, ma fille ! Des yeux qui pétillent d’intelligence et de malice, mais sérieux, m’a-t-on dit et féru de belles lettres, on va bien s’entendre !
L’approche psychologique était sommaire, mais, dusse ma modestie en pâtir, n’était pas loin de la réalité.
— Beau garçon, en effet, confirma ma grand-tante Paulette, une femme humble, frêle, la chevelure noire nouée en chignon de maîtresse d’école, qui m’adressait un sourire des plus amènes.
   On me présenta Mélanie, qui était en fait une cousine éloignée qui rendait de menus services de temps à autre dans cette grande maison dont l’entretien devait demander quelques efforts. Je présumais que cette femme au visage triste, dont les années avaient courbé la silhouette, ne jouissait pas du même train de vie que celui de mes hôtes, mais qu’elle était accueillie avec bonté au sein de la famille Rochs. Rien ne vint démentir par la suite cette première impression.
   — On aura droit à une Suze, aujourd’hui, c’est la fête, déclara Magali, dont je pressentais qu’elle allait devenir une amie, tant notre complicité s’était d’emblée manifestée.
La Suze, je connaissais : elle fut la cause de ma première ivresse, un dimanche de fête chez Jacob, avec Jeannot et Clément Chaumard.
L’oncle confirma ; tout en précisant que nous devrions attendre les invités qui n’allaient pas tarder, un couple d’amis et leur grand fils, un étudiant auquel il aimerait voir jouer un rôle de mentor, en quelque sorte, qui guiderait mes premiers pas dans la grande ville, qui pourrait également me fournir quelques clés pour entrer sans peine dans le monde lycéen à Clemenceau où il a fait ses études secondaires.
Octave n’avait pas terminé que résonna la sonnette de la porte d’entrée. Quand il partit ouvrir, Mélanie s’effaça pour gagner la cuisine d’où provenaient les effluves marins qui me chatouillaient agréablement l’odorat depuis mon réveil.
   Quand le trio fit son apparition dans l’entrée, j’eus grand-peine à dissimuler ma stupéfaction : le plus jeune des trois invités était l’un des amis « trop beaux » d’Étienne Jacob, ceux-là même que j’avais surpris s’enlaçant dans la mansarde des Aspres quelques semaines auparavant !
— Voici Claude, mon petit-neveu, tout fraîchement débarqué de son Saint-Jean ! Claude, voici mon ami Lucien Fabre, son épouse Lucie et leur fils Marcel.
Ne pas perdre pied, afficher un sourire poli et respectueux, réprimer ce sursaut de la pomme d’Adam qui signifie la surprise, regarder les parents plutôt que le fils… Si l’on pouvait, comme dans les films, siffloter en regardant ailleurs…
   Marcel Fabre savait fort bien qui j'étais, et pour cause : son nom et l’adresse de sa garçonnière figuraient sur mon carnet, qu’Etienne Jacob y avait inscrits avant de m’assurer qu’il avait annoncé mon arrivée, que j’étais des leurs, que j’avais un amoureux au village, que je serais « tout tristounet » sans doute et qu’il faudrait prendre soin de moi !
Le jeune homme qui me faisait face, ce « trop beau » de juin, dont le visage s’ornait désormais d’une fine moustache en trait de crayon, ne semblait guère décontenancé, qui me considérait avec la complaisance que l’on devinera sans peine.
— Ah, le fameux monsieur Claude. Je te dirai à table ce que j’ai prévu pour ton premier dimanche parmi nous. J’espère que tu ne rechignes pas à la marche, car je compte bien te faire visiter Montpellier de long en large. Tu es bien sympathique et tu as fière allure. Tu as mis tes habits du dimanche pour nous rencontrer ?
Je crois bien que mon visage s’est subitement teinté de pourpre. Je fus atteint par la flèche. J'avais pourtant été à bonne école avec mon Jeannot, qui s’était spécialisé dans l’art de la raillerie. J’aurais à mieux apprendre le sens de la répartie ; je me vengerais. Les joutes intellectuelles, ça m’excitait d’avance.

(À suivre) 
©  Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022 

(...) que j’avais surpris s’enlaçant dans la mansarde des Aspres...