mardi 31 janvier 2023
lundi 30 janvier 2023
Mon amant de Saint-Jean : quelques repères
Claude et Jules, un premier amour |
Un lecteur et commentateur fort avisé me faisait remarquer, dans un courrier envoyé à mon adresse de messagerie silvanomangana@gmail.com, que certains épisodes de mon roman "choral" pouvaient être source de confusion pour qui le prend en cours de route, ou, tout bonnement, pour le lecteur qui a occulté de sa mémoire certains événements, lieux et personnages. En plus de 80 épisodes, dont le premier fut présenté ici le 8 novembre 2021 (quelques-uns, de plus, sont tombés dans les limbes de Blogger !), ont été contés des itinéraires de vie en divers lieux lors de l'année 1937 et, actuellement, début 38, dont seul, l'auteur sait - et encore pas tout à fait ! - qu'ils convergeront... un jour.
Pour le moment, voici quelques repères (lieux et personnages principaux) :
Claude Bertrand (le narrateur) et Jules Goupil sont deux adolescents vivant à Saint-Jean, village de l'Aveyron, qu'unit une amitié qui se mue en premier amour. Vivre son homosexualité en France profonde en cette période, on peut rêver plus serein ! Ils bénéficient de la protection d'un vieil excentrique, Etienne Jacob (qu'ils ont surnommé "Cheveux de neige"), d'un adolescent marginalisé à cause d'une disgrâce physique nommé Clément Chaumard et d'une "pocharde", Solange Gleize, nouvellement mariée au berger Auguste Delmas.
Septembre 37 : Claude quitte Saint-Jean pour poursuivre ses études au lycée de garçons de Montpellier. Jules, son amant, est "bloqué" au village par un père désireux de le voir travailler au sein de l'entreprise familiale.
À Montpellier, Claude est hébergé par Octave, son grand-oncle, propriétaire viticole et conseiller général radical-socialiste (le gouvernement de la France est, depuis 36, celui du Front Populaire). Dans la grande ville de l'Hérault, il est l'ami de deux "invertis", Marcel et André, que lui a présentés Etienne Jacob et qu'il associe en unité sous l'appellation "Les Nathanaël" (il a lu Gide "sous le manteau").
Au cours d'une grande réunion de scouts en Alsace, Marcel a pris sous sa protection le jeune Roland Siefert qui vit à Neuf-Brisach, et suivrait un itinéraire de vie semblable à celui du narrateur, si ce n'était qu'il s'est résolu à dissimuler sa différence. L'aîné et le plus jeune entretiennent une correspondance, au cours de laquelle le cadet fait part à Marcel des affres dans lesquelles l'ont plongé la découverte de son identité.
1938 : Roland est à présent lycéen à Colmar et vit dans une pension tenue par la famille Bauer. Si les "sudistes" (Claude, Marcel et André) sont des "sans-dieu", ardents défenseurs du "Front Popu'", le petit alsacien, fils d'instituteur, est protestant.
Au lycée de Montpellier, Claude a rencontré Émile Boisselier, issu de la bourgeoisie locale, avec lequel il a une relation charnelle passionnée. Son "amant de Saint-Jean" le sait, l'accepte, affirmant que son amour est si ardent qu'il sera vivifié dès lors qu'il pourra retrouver Claude. Pour le moment, il fait contre mauvaise fortune bon cœur en attendant de pouvoir s'envoler du nid familial. Cependant, après quelques atermoiements, il s'adonne fugacement au plaisir que lui offre Andrzej, un jeune polonais, apprenti du boulanger Chaumard. Clément Chaumard, inquiet de la relation entre Jules et le jeune polonais, a intrigué pour que ce dernier soit renvoyé par son père. Rongé par le remords, Clément s'est pendu dans la grange où l'on remise le corbillard du village !
Le frère aîné d'Émile, Désiré Boisselier, camarade de faculté de Marcel, est un personnage qui suscite immédiatement l'antipathie : pervers, fielleux, il a toujours une attitude méprisante pour "ces messieurs" dont il a décelé les "mauvaises mœurs". Il fréquente les milieux d'extrême droite, est affilié à l'Action Française.
Claude a un nouvel ami en la personne de Pierre Bloch, un condisciple brillant qui est aussi un excellent violoniste, élève du Conservatoire. Au lycée, Bloch est victime de l'antisémitisme, qui se manifeste un jour violemment lors d'une embuscade tendue par des élèves. C'est Claude qui fait le coup de poing et met les agresseurs en déroute. Pierre lui voue dès lors une reconnaissance et devient son ami.
Mon amant de Saint-Jean | Épisode 61 : Une chaussette sale
(...) renoncer toujours. |
À suivre
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
Épisodes précédents : cliquer
Si vous êtes perdu(e) : clic
dimanche 29 janvier 2023
Je veux être une fleur
Je veux être une fleur est l'histoire d'un garçon qui aime tellement les fleurs qu'il rêve d'en devenir une. La photographe japonaise basée à Paris Yurina Niihara a photographié le mannequin Aljoscha Beiers. Composition florale par Chiaki Kokami.
(Via KALTBLUT)
j'utilise exactement
le même vernis à ongles
et le même rouge-baiser
que ce monsieur !)
Photographie par Yurina Niihara / www.yurina-photographer.com / Instagram : @yurina.photographer / @Facebook Le
modèle est Aljoscha Beiers
Directeur artistique par Sachiko Maeno / Instagram : @ssaaccoo
Maquillage et coiffure par Lisa Arai / Instagram : @mashumaro_chan
Fleuriste par Chiaki Kokami / Instagram : @lesintimes
Bon
dimanche !
Beatrice Rana : merci, l'Italie !
Allez vous lover dans ses Variations Goldberg de J.S Bach qui vous feront ranger la version Lang Lang parmi les gadgets aussitôt pressés, aussitôt oubliés.
Dans son répertoire, déjà pléthorique, on écoutera le Concerto en la mineur de Clara Wieck-Schumann, dont voici le 2d mouvement (Romanze) en cadeau bonus (merci qui ?)
samedi 28 janvier 2023
Ennio, avant le cinéma
Comme explicité dans le beau film Ennio, de Giuseppe Tornatore, le Maestro Morricone se fit tout d'abord un petit nom en devenant l'arrangeur des chansons de la jeune génération de vedettes italiennes, dont Mina (Se telefonando, entre autres). Avant lui, les orchestres se bornaient à accompagner harmoniquement la mélodie. Morricone, comme il devait le faire plus tard au cinéma, bouleversa la façon d'orchestrer. La chanson ci-après, devenue un hit planétaire, lui doit beaucoup :
vendredi 27 janvier 2023
jeudi 26 janvier 2023
Déshabillez-moi
Déshabillez-moi
Oui, mais pas tout de suite
Pas trop vite
Me désirer
Me captiver
Déshabillez-moi
Mais ne soyez pas comme
Tous les hommes
Trop pressés
Tout le temps du prélude
Ne doit pas être rude
Ni hagard
Mais avec retenue
Pour que je m'habitue
Oh, peu à peu
Déshabillez-moi
Oui, mais pas tout de suite
Pas trop vite
M'envelopper
Me capturer
Oh, déshabillez-moi
Avec délicatesse
En souplesse
Et doigté
Dirigez bien vos gestes
Ni trop lents, ni trop lestes
Sur ma peau
Frémissante et offerte (*)
De votre main experte
Allez-y
Déshabillez-moi
Maintenant, tout de suite
Allez vite
Me consommer
Me consumer
Déshabillez-moi
Conduisez-vous en homme
Soyez l'homme
Agissez !
Oh, déshabillez-moi
Et vous
Déshabillez-vous !
(Texte de la chanson de Gaby Verlor et Robert Nyel créée par Juliette Gréco)
© Warner Chappell Music France
(*) On peut changer le genre.
mercredi 25 janvier 2023
mardi 24 janvier 2023
lundi 23 janvier 2023
Mon amant de Saint-Jean | Épisode 60 : Plaies et bosses
(...) j’ai appris à me défendre quand j’étais aux Éclaireurs |
Il y avait dans ma classe un garçon
qui excellait en français. Nous étions en cette matière deux rivaux, les yeux
de l’un fixés sur les notes de l’autre. Notre concurrence était des plus
loyales, cependant, pétrie d’admiration mutuelle, les progrès de l’adversaire ayant
pour principale vertu d’inciter à l’effort, en aiguillon bénéfique. Pierre
Bloch, malgré de précoces facultés intellectuelle, n’aurait pu, toutefois,
exciter la jalousie d’Émile. L’attirance que j’éprouvais pour lui n’était que morale,
car ce garçon n’avait rien qui puisse attiser la sensualité toujours exacerbée
que mon partenaire savait admirablement tarir. À cela suffisaient amplement les
joutes charnelles du jeudi. En Bloch se synthétisaient les conceptions que l’on
pouvait avoir de l’élève idéal, un « premier de la classe » tel que
véhiculé par l’imagerie populaire, ni beau ni moche, binoclard, discret, mais
toujours prompt à lever le doigt à toute interrogation émise par le professeur,
ce qui provoquait, sans surprise, le sourd ressentiment des cancres du dernier
rang. J’avais remarqué, lors des pauses, que ce garçon évitait la promiscuité,
se réfugiant sous le préau même par grand soleil, comme s’il redoutait quelque
agression. Hormis l’amitié ô combien complice qui me liait à Boisselier, je n’avais
guère frayé avec la gent lycéenne qui me le rendait bien. On savait mes
origines rustiques, et l’on ne se privait pas de me le faire sentir. Exclu,
mais plus aguerri que lui, j’avais appris à hausser les épaules quand on me
décochait un sourire où perçait le mépris de ma condition. Initialement, je ne savais
pas que Pierre, qui devint par la suite le plus dévoué des amis, était affligé,
aux yeux de beaucoup, d'une tare de nature à le discriminer.
Je l’appris incidemment un soir où je
regagnais la maison après l’étude. Non loin du lycée, une animation peu
habituelle régnait dans un passage que j’empruntais d’ordinaire pour raccourcir
mon trajet. J’y avisai Bloch, à terre, subissant la hargne de deux élèves qui
étaient de ceux qui m’avaient manifesté leur morgue à maintes reprises. Mon
excellent camarade, recroquevillé, encaissait horions et coups de pieds en
silence, sans pouvoir répliquer. Sans doute pleurait-il. Mes combats contre les
cul-bénits de Saint-Jean m’avaient, par le passé, entraîné à de guerriers exercices,
et même si je répugnais à l’action violente, je devins sourd, en la
circonstance, à toutes mes convictions en la matière. Je me précipitai, saisi d’une
incompressible fureur, et fonçai tête baissée, bras et jambes pour seules armes,
mon manteau d’hiver pour toute cuirasse. Je me déchaînais, ivre de rage, assénant
mes coups de toutes mes forces en poussant des cris de bête fauve. Plus que les
blessures que je parvenais à infliger aux deux voyous, c’est la fureur qui m’animait
qui les fit détaler. Hors d’atteinte, bien mis à mal, tentant de reprendre leur
souffle, je les entendis glapir : « Le sale youpin et le plouc, on
vous retrouvera ! » Je me penchai sur mon infortuné camarade,
geignant de douleur, et l’aidai à se remettre d’aplomb. Demeuraient au sol ses
lunettes, désormais hors d’usage. Pour moi, de tout temps, des lunettes cassées
seraient le symbole de la vindicte barbare s’exerçant sur l’intelligence. Je me
fis un devoir de raccompagner chez lui le souffre-douleur de ceux que je lui
définis, encore sous le coup de ma colère, en « pauvres types ». En
boitillant, mon condisciple se répandit en remerciements émus.
—
Ce n'est pas la première fois. D’habitude, je
parviens à fuir avant qu’ils m’attrapent. Ils me coursent parfois jusque devant
chez moi. Une fois, ils ont mis un rat mort juste devant la porte. Je ne veux
pas en parler à mes parents, mais ils me mènent une vie d’enfer. J’ai bien
compris que la seule issue, c’est le travail. À chaque bon résultat, j’ai l’impression
de les narguer, de marquer un point contre eux.
—
Contre moi, tu veux dire, tentai-je pour amener
un sourire sur son visage un tantinet amoché !
—
Où as-tu appris à te battre ? Tu les as
drôlement corrigés. C’était presque comique de les voir repartir
clopin-clopant.
—
Je déteste la violence, mais j’ai appris à me
défendre quand j’étais aux Éclaireurs, dans mon village. Toi, tu as bien besoin
d’assurer tes arrières, tu fais partie d’une communauté en danger.
—
Oui, c’est notre lot depuis la nuit des temps.
Il y a bien, chez nous, quelques hommes qui savent se battre, mais c’est une
minorité. Il faudrait que nous cessions de geindre sous les affronts, que nous
apprenions à résister.
—
En effet, et ce n’est pas ta culture,
indispensable, c’est vrai, qui te servira de bouclier. Bon, chez toi, soigne
bien tout ça et remets-toi. Demain, contrôle. Demain, nous sommes à nouveau ennemis,
ajoutais-je en riant.
—
Des ennemis comme toi, j’en veux des dizaines !
Merci. Mille fois merci, ô mon sauveur ! Je n’oublierai pas.
Je le vis monter
avec difficultés les quatre marches qui le conduisaient sur le seuil d’une humble
maison à côté de laquelle celle où je vivais faisait figure de palais royal.
Moi, le plouc, j’étais devenu l’ami d’un Juif. Qui ne savait pas encore que son
"sauveur" fît partie d’une communauté tout aussi décriée. Dans ses
yeux de myope, j’avais décelé une lueur d’intégrité qui ne pouvait m’abuser. J’avais
un nouvel ami. Un vrai, sans aucune ambigüité. Mais aussi, un compagnon de luttes à venir.
À suivre
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
Épisodes précédents : cliquer
Illustration : Éclaireurs de France
dimanche 22 janvier 2023
Chaleur nordique
samedi 21 janvier 2023
Tout pour plaire (2)
mais, cette fois, avec le vrai visage de William Roepstorff,
qu'un jeune et joli admirateur avait piraté.
Rendons à César ce qui n'est pas à Jules.
D'autant que William, notre jeune danois,
a une qualité très appréciée ici : il a un "boyfriend".
Puglia (Pouilles)
vendredi 20 janvier 2023
Babylon : quel film !
Drôle, tragique, ébouriffant : les mots me font défaut pour définir ce tsunami qui a déferlé sur nos écrans mercredi dernier.
Hommage ému et émouvant au cinéma, le spectacle de Damien Chazelle ne laissera personne indifférent : vous aimerez ou adorerez le détester.
Moi, j'ai choisi mon camp : je dis "bravissimo" !
jeudi 19 janvier 2023
mercredi 18 janvier 2023
Immense Morricone, sublime Dulce Pontes, grand film... et Vérone...
Babylon/Babylone
Au centre, Margot Robbie : ambiance ! |
Le film de Damien Chazelle est visible, à partir d'aujourd'hui, sur les écrans français. Attendu avec impatience par les cinéphages ("cinéphiles", ça fait un peu espèce en voie d'extinction), dont je suis, cette production de la Paramount, qui n'a pas eu apparemment le ciseau trop lourd en matière de censure, promet plus de trois heures de spectacle autour des excès en tous genres qui accompagnèrent la naissance de Hollywood avant que les ligues de vertu et, concernant les films, le code Hays, ne viennent mettre leur nez dans ce maelstrom de vices et d'addictions de toutes sortes.
On connait le talent de Chazelle. La distribution est de haut niveau : le beau sexagénaire Brad Pitt en miroir de John Gilbert, Margot Robbie en simili Clara Bow et Diego Calva, qui n'est pas normand, la révélation du film, sauf pour celles et ceux qui l'ont vu dans un rôle très gay dans le film mexicain Te Prometo Anarquía (Je te promets) de 2015. La musique est signée Justin Hurwitz, oscarisé pour La La Land.
Prometteur.
Brad Pitt et Diego Calva |
mardi 17 janvier 2023
lundi 16 janvier 2023
Mon amant de Saint-Jean | Épisode 59 : Le Front bat de l'aile
Le jeudi était le jour de l’amour... |
Octave Rochs était l’archétype du notable
radical-socialiste de la IIIᵉ République : mon grand-oncle était un
homme débonnaire, toujours d’humeur joviale, ouvert d’esprit. Mais sa tolérance
avait des limites ; à tel point que l’on peut imaginer ce qu’aurait pu
produire la révélation des mœurs de Marcel, fils de son meilleur ami, du jeune
Boisselier, et, pis encore, d’apprendre que son propre petit-neveu, ce lycéen
sérieux qu’il accueillait avec mansuétude sous son propre toit, était « de
la jaquette », comme on disait stupidement à l’époque. L’expression est,
hélas, encore en usage de nos jours, commune aux personnes de ma génération. Il
était heureux que ni le fils Fabre, ni moi, n’eussions des attitudes prêtant à
équivoque. Nous n’avions pas « des manières », nous n’avions pas « mauvais
genre », comme on disait. Dans le langage courant, les « invertis »
ne draguaient pas : ils faisaient des propositions. En tout état de cause,
nous devions faire, comme on le dit aujourd’hui, « profil bas ».
J’écoutais ce soir-là les disques prêtés par
l’enfant de chœur – je prenais plaisir à me gausser gentiment de lui en ces termes – quand l’oncle fit une entrée théâtrale dans le salon où le phonographe
répandait le son des grandes orgues de Notre Dame de Paris : « Mais,
on se croirait à la messe ici ! » Je soulevai vivement le bras de l’appareil,
comme si j’avais été pris en faute. Dans son fauteuil, d’où elle découvrait
cette musique que mon enthousiasme l’incitait à apprécier, Magali gloussait :
« Papa, tu n’es pas au courant que Claude veut entrer dans les ordres ? »
Souriant, le maitre des lieux nous invita à le rejoindre à la cuisine pour le
souper, toujours frugal, car le grand homme tentait, chez lui, de dissiper les conséquences
de ses repas d’affaires et des banquets républicains auxquels il se devait de
participer : il maudissait cet embonpoint qui le forçait à déboutonner le
gilet de son costume quand il était en position assise. Le soir était dévolu au
potage – plus à mon goût que la sempiternelle soupe de gruau de Saint-Jean –
suivi de fromage maigre et d’un fruit. Il n’y avait pas de quoi satisfaire l’appétit
féroce des deux jeunes personnes de la maison. Aussi emportions-nous subrepticement
des victuailles que nous dévorions, à l’étage, avant le coucher, car des stages
récents dans la cuisine à pas d’heure nous avaient valu quelques remontrances.
La vie quotidienne dans la maison de
mon oncle s’était organisée pour le mieux depuis mon arrivée. Je m’y sentais
chez moi. J’aimais la tranquillité de ce foyer d’accueil où je pouvais étudier
dans le calme, lire, rêver, heureux de ma réalité. Je prêtais la main aux
menues tâches de la maisonnée ; je mettais le couvert, débarrassais la
table, lavais la vaisselle à l’occasion (ce qui aurait grandement surpris mes
parents) : je leur étais redevable de tant de générosité. Je vivais ma vie dans
cette ville, j’apprenais chaque jour, j’allais au cinéma, à la bibliothèque – j’étais
boulimique de lecture ! – et j’y assumai, secrètement, mais ardemment, ma
différence.
Le jeudi était le jour de l’amour,
que j’attendais avec l’impatience du gourmet dans la perspective d’un repas
gastronomique. Pour autant, ne croyez pas que Jules était absent de mes
pensées. Nous nous écrivions chaque semaine. Marcel me remettait ses lettres
lors de nos petites réunions au Colombier, ces sacro-saintes entrevues des
« garçons comme ça d’obédience marxiste-léniniste » du samedi après-midi
qui débutaient après le départ du dernier client du déjeuner, quand René, le
serveur « de la jaquette » (chez lui, ça se voyait !), tirait les rideaux
imprimés des volatiles qui avaient donné leur nom au restaurant. Ce qui battait
de l’aile, en ce début d’année 1938, c’était bien le Front Populaire : on
pressentait que le gouvernement Blum était en sursis. Même si l’assemblée était
élue pour cinq ans, le Président du Conseil se heurtait à des oppositions
internes qui le fragilisaient. La situation internationale était alarmante. La France
était prise en étau entre les régimes totalitaires d’Allemagne et d’Italie. En Espagne,
c’était mal parti pour notre camp, et nous nous préoccupions du sort de mon
oncle, Louis Bertrand. Marcel défendait Blum bec et ongles, quand le bel André,
en bon communiste – on appuie, mais on ne participe pas, j’ajoute « on ne
sait jamais » – commençait à prendre le large. Je ne rejoignis pas, à
seize ans, le Parti de Maurice Thorez, comme j’en avais eu l’intention. Mon
père, pourtant « coco » bon teint, me l’avait expressément interdit
lors de mon séjour de Noël, arguant que les mois à venir s’annonçaient comme
porteurs d’épouvantables tempêtes. Un peu plus tard, je sus combien
prophétiques furent ses propos. Je me bornais à étudier et m’efforçais de maîtriser
l’art du grand écart amoureux où m’avaient menées les circonstances. Je
regrettais les rudes assauts de Jules Goupil et appréciais, en nouvel
esthète, l’élégance et la sensualité d’Émile. Pour combien de temps ?
À suivre
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
Épisodes précédents : cliquer
(...) l’élégance et la sensualité d’Émile. |
Rassemblement populaire du 14 juillet 1936 (via L'Histoire) |