Le printemps était chaud et nos sens bouillonnants. Nous allions parfois, le jeudi, canoter sur le Lez. Émile portait à nouveau la
culotte courte, dévoilant des jambes qu’ombrait à peine un doux pelage d’or et
de soie, que je contemplais longuement avant d’y laisser promener ma main tout
en guettant les rives dans la crainte qu’un importun ne vienne surprendre ces caresses
illicites. Je tenais les rames tandis que mon amant adolescent se lovait contre
moi, la tête reposant à l’endroit où il pouvait ressentir mon trouble. De lui,
j’ai encore l’image de ce canotier posé sur sa blonde chevelure avec une
négligence très étudiée. J’avais le bonheur d’avoir deux amants d’aspect fort
différent : Jules, taillé dans le marbre tel un dieu de l’antiquité, était
la force ; Émile était mince, gracile, un félin.
De tout temps, j’ai été un
contemplatif : par la suite, dès que j’en eus les moyens, je fixais sur la
pellicule les images de l’amour. C’est une boîte-à-chaussures où j’ai gardé les
vestiges des jours heureux et malheureux qui m’a permis d’écrire mon histoire,
chaque photographie éveillant des souvenirs d’une précision qui ne laisse pas
de m’étonner aujourd’hui encore. Il me suffit de revoir sur l’une de ces icônes
que mes yeux ont usées, le visage de Jules, pour reconstituer une partie de
pêche sur la Dourbie peu de temps avant la tragédie qui devait flétrir des
années où notre jeunesse ne demandait qu’à s’épanouir. Dans la chambre d’Etienne
ou dans le pigeonnier de Fabre, mes garçons chéris s’agaçaient pareillement de
mes contemplations qui différaient le plaisir. Elles décuplaient le mien dès
lors que le moment était venu, quand je m’étais rassasié de la vision, jusqu’au
moindre détail, de leur anatomie. Jules était le moins patient, qui faisait fi
de « Laisse-moi te regarder encore un peu » et se ruait sur moi telle
une bête fauve affamée. Je pense qu’Émile s’aimait davantage ; il s’offrait
à mon examen avec plus d’indulgence. Sans doute prenait-il quelque plaisir à exhiber
ses attraits.
L’été approchait, au début duquel
nous célébrerions le mariage de ma sœur avec Jean-Paul Raynal. Elle vint à
Montpellier avec ma mère pour choisir une robe de mariée, car, à Millau, on ne
faisait que du sur-mesure, trop onéreux. Aux Dames de France, il y avait un
rayon dédié. On pourrait ensuite pratiquer des retouches au Vigan, où exerçait
une excellente couturière. Maman et Madeleine ne voulaient infliger un
dérangement à la maison de mon oncle, et passèrent une nuit au Majestic, qui n’avait
de majestueux que le nom, mais offrait des chambres convenables pour voyageur de passage. Nous prîmes toutefois un dîner en famille ; de
bonne heure, afin de me permettre d’accompagner les visiteuses jusqu’à l’hôtel.
Sur le chemin, ma mère me complimenta sur ma bonne mine et sur mes excellents
résultats scolaires qui faisaient la fierté de mon père, lequel ne manquait pas
d’en faire état, au village, où, me dit-elle, je faisais figure de future personnalité !
Je pensais à mon Goupil qui rongeait son frein devant son bureau, sous l’autorité
d’un père inculte et irascible. La date de nos retrouvailles approchait. Elles
seraient de courte durée, car Marcel venait de m’annoncer qu’avec André, il
voulait louer une maisonnette pour l’été à Palavas où les deux compagnons
proposaient de m’accueillir. Les Fabre étant liés d’amitié à mon oncle, je n’aurais
aucun mal à obtenir son assentiment. L’été de cette année 1938 serait sans nul doute féérique,
dont je me grisais déjà, d’autant que les Boisselier possédaient une belle
villa dans la station balnéaire, où Émile devait séjourner. Jules espérait ma
présence à Saint-Jean durant toutes les vacances scolaires. Je devrais assumer
mes choix, faire œuvre de diplomatie, éviter le délitement de nos sentiments. Devenir
un homme était une épreuve. Il y en eut d’autrement fâcheuses.
À suivre
© Louis Arjaillès - Gay Cultes 2022-2023
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6 commentaires:
Vous avez l'art de décrire la beauté, Silvano. La description d'Emile me fait rêver.
En mars 38 l Allemagne envahit l Autriche .
En juillet : loi sur l’organisation de la nation en temps de guerre .
En septembre : crise des Sudètes , accords de Munich et en octobre leur rattachement à l Allemagne .
uvdp : "En mars 38 l Allemagne envahit l'Autriche." : vous avez raté un épisode ?
Quant au reste, on n'y pas encore, et j'avais déjà ces infos.
Silvano , je n ai raté aucun épisode et je ne doute pas un instant que vous connaissiez ces faits . C est juste pour mettre dans l ambiance .
Encore une très belle page, merci.
Très bel épisode. Le cœur du narrateur est assez grand pour héberger deux amours. J'aime la façon dont il gère, comme on dit aujourd'hui.
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