Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.
Photo en-tête Mina Nakamura

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


lundi 14 avril 2025

Le Tisseur de Matin

 


Dans une ville que la fatigue avait lentement endormie, les matins étaient devenus ternes.
Plus de chants derrière les fenêtres.
Plus de thé fumant au bord des mots.
Plus d’enfants pressés de sortir.
Le matin n’était plus une naissance.
C’était un recommencement usé.
Mais parfois, au détour d’un rêve ou d’une brume trop douce pour être naturelle, on apercevait une silhouette marcher dans les rues avant l’aube.
Un manteau tissé de gris perle.
Un pas silencieux.
Et dans ses mains, un fil doré.
On l’appelait le Tisseur de Matin.
Personne ne savait d’où il venait.
Mais on savait ce qu’il faisait.
Il passait entre les maisons, et recousait les matins déchirés.
Il rattachait un sourire oublié à une poignée de porte.
Il raccommodait une tendresse au bord d’un oreiller solitaire.
Il recollait les éclats d’un rêve cassé juste avant le réveil.
Ce qu’il tissait ne se voyait pas.
Mais ceux qui se levaient après son passage…
ressentaient quelque chose de différent.
Un parfum d’élan.
Une clarté douce.
Une impression de recommencer vraiment.
Un garçon nommé Lino, curieux et discret, décida un jour de le suivre.
Il se leva avant les étoiles, se glissa hors de chez lui, et attendit.
Il vit l’homme passer, penché sur un banc, posant une minuscule plume blanche sur l’assise. Puis il entra dans un jardin, et noua un fil invisible entre deux branches, comme un sourire tendu dans l’air.
Lino s’approcha. Le Tisseur ne sursauta pas.
— Pourquoi fais-tu tout ça ?
— Pour que les gens n’oublient pas que le matin est un miracle.
Le garçon le regarda longuement.
— Tu crois que je pourrais apprendre ?
L’homme lui tendit un minuscule fil doré.
— Alors commence. Tisse ton propre matin.
Et Lino comprit. Il n’avait pas besoin de pouvoir. Seulement de présence.
Depuis ce jour, il se lève avant la ville.
Et dans ses gestes d’enfant, il y a déjà la tendresse d’un monde à réveiller.
On raconte que là où les matins sont trop lourds, là où les réveils blessent, là où l’espoir tarde…
les pas d’un Tisseur passent en silence.
Et que parfois, sans raison, on ouvre les yeux et le monde paraît neuf.
Ce n’est pas un hasard.
Quelqu’un, quelque part, a pris le temps de tisser ta lumière.

3 commentaires:

Amalric a dit…

Magnifique. Mes matins ne seront plus jamais les mêmes...

Nino a dit…

Toute mon admiration. Je vais faire des recherches sur cet auteur. Merci.

Anonyme a dit…

Merci.
Marie