Partir

Partir avec lui...

Je ne sais  si c'est votre cas, mais j'accumule, la nuit, dans mon sommeil chaotique, les pensées les plus fantasques, saugrenues parfois, essentielles quelquefois, dont la quintessence m'apparaît clairement au réveil où je parviens à les ordonner. Après les deux premiers cafés, quand je suis enfin en pleine possession de moi-même, je peux enfin tracer le chemin de ma journée, choisir ce que je vais insérer dans ce journal, décider de remettre à plus tard ce qui m'apparait secondaire (des choses primordiales, bien sûr). Cette nuit, je suis retourné à Prague, dans le café où il y a encore des fumeurs et des crayons sur les tables pour le cas où l'inspiration viendrait vous titiller. J'ai eu des envies de voyages avec lui, qui sait si bien bousculer mes indolences, me faire gravir des montagnes que, solitaire, j'aurais contournées.

...un roc, un sherpa, ma boussole en terre étrangère.

où il veut, quand il veut

Au fond de ma nuit j'ai entrepris avec lui, déjà, ces pérégrinations futures, bien trop lointaines. Je n'ai pas eu besoin de guide de papier ; je nous voyais déjà, lui et moi, en terre inconnue, mais à lui étonnamment familière. Y serpentait une rivière qu'il entreprenait de traverser à la nage après s'être promptement dévêtu, me laissant désemparé sur la rive.
-Allez, rejoins-moi. Si tu es vraiment mon ami, si tu veux que nous poursuivions notre route ensemble, tu dois venir avec moi, l'eau n'est pas si froide, tu sais !
Et moi, maintenant, j'avais vingt ans, et je le rejoignais, et je savais qu'il pouvait me mener jusqu'à la mer, jusqu'au bout du monde et au-delà, car sous sa frêle apparence, il est un roc, un sherpa, ma boussole en pays inconnu.

Café Louvre, "où il y a encore des fumeurs et des crayons sur les tables..." | Photo Silvano - GC