Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


vendredi 10 mai 2013

A la recherche du temps perdu


"Elle fut certainement désolée de n'avoir pu me faire plaisir et me donna un petit crayon d'or, par cette vertueuse perversité des gens qui, attendris par votre gentillesse et ne souscrivant pas à vous accorder ce qu'elle réclame, veulent cependant faire en votre faveur autre chose : le critique dont l'article flatterait le romancier l'invite à la place à dîner, la duchesse n'emmène pas le snob avec elle au théâtre, mais lui envoie sa loge pour un soir où elle ne l'occupera pas.
Tant ceux qui font le moins et pourraient ne rien faire sont poussés par le scrupule à faire quelque chose.
Je dis à Albertine qu'en me donnant ce crayon, elle me faisait un grand plaisir, moins grand pourtant que celui que j'aurais eu si le soir où elle était venue coucher à l'hôtel elle m'avait permis de l'embrasser.
« Cela m'aurait rendu si heureux ! qu'est-ce que cela pouvait vous faire ? je suis étonné que vous me l'ayez refusé.
– Ce qui m'étonne, me répondit-elle, c'est que vous trouviez cela étonnant. Je me demande quelles jeunes filles vous avez pu connaître pour que ma conduite vous ait surpris.
– Je suis désolé de vous avoir fâchée, mais, même maintenant je ne peux pas vous dire que je trouve que j'ai eu tort. Mon avis est que ce sont des choses qui n'ont aucune importance, et je ne comprends pas qu'une jeune fille qui peut si facilement faire plaisir, n'y consente pas."
(Marcel Proust, A l'Ombre des Jeunes Filles en Fleurs)

J'entretiens avec la "Recherche" une relation des plus paradoxales : elle peut me stimuler ou me décourager d'écrire à tout jamais. Je suppose que beaucoup de "vrais" écrivains éprouvent le même sentiment. Comment pourrait-il en être autrement ?

2 commentaires:

Pierre a dit…

L’art n’est pas une compétition ! et il n’importe pas d’être le premier, le plus fort, le plus je ne sais quoi... Ça n’a aucun sens, en la matière. Il faut oser y aller et puis c’est tout (ça vaudra toujours mieux que de ne rien faire), avec beaucoup d’humilité... et très peu de modestie !

Silvano a dit…

Il est vrai, Pierre, que si je lis les œuvres de certains auteurs bien en cour dans les milieux parisiens, je me sens pousser des ailes.