En réaction au billet d'hier où, entre autres, figurait un extrait d'Apocalypse montrant ce que furent les autodafés du IIIème Reich (c'est ici : clic), mon confrère blogueur Another Country, a pris le temps de me transmettre (quel beau verbe !) ceci, dont je le remercie :
Les nazis et leurs sympathisants classèrent immédiatement les homosexuels parmi les groupes prétendument responsables de l'instabilité de la société allemande et de la faiblesse de l'Etat. Juif, homme de gauche, réformateur social et militant de la cause homosexuelle, Magnus Hirschfeld devint l'une des premières cibles des nazis. En 1921, lors d'une conférence donnée à Munich, le berceau de l'extrême-droite allemande, Hirschfeld fut couvert d'insultes. Lorsqu'il quitta la salle, le médecin âgé de cinquante-deux ans fut traîtreusement lapidé par une bande de jeunes voyous. Un coup à la tête l'assomma et Hirschfeld, atteint d'une fracture du crâne et saignant abondamment, s'effondra sur le trottoir. De nombreux Allemands furent choqués par la nouvelle de cette agression, mais cela n'empêcha pas un journal de Dresde de publier le commentaire suivant : "La mauvaise herbe ne meurt jamais. Le célèbre Dr Magnus Hirschfeld a été si sérieusement blessé qu'on le disait à l'article de la mort. Aujourd'hui, nous apprenons qu'il se remet de ses blessures. Nous n'hésitons pas à dire qu'il est dommage que cet horrible et éhonté empoisonneur de notre peuple n'ait pas trouvé la fin qu'il méritait."Dès leur arrivée au pouvoir au début de l'année 1933, les nazis entreprirent rapidement de transformer cette idéologie en politique nationale et d'élaborer les stratégies permettant de définir les homosexuels comme des êtres inférieurs et le désir homosexuel comme une menace pour la société.
La première de ces actions intervint moins d'un mois après l'accession d'Adolf Hitler au poste de Chancelier. Le gouvernement prohiba les publications à caractère sexuel, y compris tous les journaux homosexuels (même ceux dont le contenu était anodin) et déclara hors la loi les associations militant en faveur des droits des homosexuels. Quatre semaines plus tard, des officiers S.S. mirent à sac l'appartement du directeur du Comité Scientifique-Humanitaire, Kurt Hiller, qui, tout comme Hirschfeld, était homosexuel, juif et socialiste. Une semaine plus tard, Hiller fut déporté au camp de concentration d'Oranienburg, où il fut torturé à maintes reprises avant d'être libéré par inadvertance neuf mois plus tard.
Kurt Hiller |
La campagne visant à détruire le mouvement homosexuel et à éliminer l'imagerie homosexuelle débuta le 6 mai par l'irruption d'une centaine d'étudiants nazis dans l'Institut de la Science Sexuelle de Magnus Hirschfeld, qu'un théoricien du parti qualifia plus tard de "dépotoir et de terreau à vermine sans équivalent". Les étudiants s'emparèrent de la bibliothèque et des archives qui, dans la nuit du 10 mai, allèrent rejoindre les livres "non-allemands" sur le gigantesque bûcher allumé devant l'opéra de Berlin. Un buste grandeur nature d'Hirschfeld fut également passé par les flammes. Si Hirschfeld lui-même échappa à l'arrestation, c'est tout simplement parce qu'il se trouvait à l'étranger pour une série de conférences. Quelques jours plus tard, Hirschfeld put voir les images de la conflagration dans une salle de cinéma parisienne. Il eut alors le sentiment, en regardant les flammes consumer l'œuvre de sa vie, d'assister à son propre enterrement. Il demeura en exil jusqu'à sa mort en 1935. Adolf Brand fut lui aussi inquiété. Entre les mois de mai et de novembre, la police effectua cinq descentes dans sa maison d'édition. Ces raids se soldèrent par la saisie de tous les livres et magazines qu'il avait archivés pendant près de quarante ans.
Magnus Hirschfeld |
Le printemps
et l'été 1933 coïncidèrent avec l'extension de cette offensive aux
territoires sociaux des homosexuels. Les bars et les boîtes de nuits
qu'ils fréquentaient furent attaqués par les S.A. Parmi les premiers
lieux de débauche répertoriés comme foyers de subversion par les nazis
figurait le célèbre Eldorado de Berlin, qui demeurait un agréable
point de convergence pour une foule bigarrée et cosmopolite de
lesbiennes, d'homosexuels, de travestis des deux sexes et de touristes
en goguette. Le grand et élégant espace de la Motzstrasse rouvrit
immédiatement... sous forme d'un bureau de propagande du parti nazi, la
façade couverte d'énormes svastikas et d'une gigantesque bannière
rédigée en lettres gothiques invitant le chaland à voter pour la liste
hitlérienne aux élections parlementaires. La croix gammée recouvrait
désormais l'inscription qui avait fait la renommée de l'Eldorado : "Vous
l'avez trouvé !" Pour les homosexuels allemands, l'Eldorado venait
d'être brutalement relégué aux pays des rêves...
(De l'Eldorado au IIIe Reich, Vie et mort d'une culture homosexuelle, Gerard Koskovich, 1997)
Texte intégral : lien
4 commentaires:
Un utile rappel. Ajoutons à cette note deux observations. La conception nazie de la culture a conduit à la destruction de nombreuses bibliothèques, aux bûchers d'ouvrages condamnés, avec le concours des étudiants égarés (à Tübingen, en particulier), d’œuvres picturales ("l'art dégénéré") à la chasse aux architectes du Bauhaus...N'oublions pas les voix qui sont élevées, dès la naissance du parti nazi, contre cette doctrine. Saluons l'apport déterminé de Klaus et Erika Mann à cette lutte incessante contre le nazisme.
Le rapport d’une société à l’homosexualité est toujours (aujourd’hui) un critère très significatif pour évaluer son niveau de civilisation – le mot n’est pas trop fort. C’est la discrimination (voire la persécution) la plus partagée, dans l’histoire et sur la planète, pour un seul état de fait à la naissance... y compris (et pas qu’un peu) par des personnes elles-mêmes victimes de discriminations (raciales). Toutes les religions, soi-disant adeptes de l’amour universel, portent là une très lourde responsabilité, mais ne sont qu’une émanation de l’obscurantisme populaire généralisé (et entretenu par elles).
Même les persécutions nazies – dont celles ici rapportées via l’excellent Another Country sont aussi instructives que passionnantes – n’ont pas fait réfléchir les politiques, après. N’était-ce qu’un « détail » d’un « détail » de l’Histoire ? Rappelons aussi la colère haineuse des communistes (dans les années 1980) contre ceux qui voulaient honorer la mémoire des « Triangles roses », disant qu’ils salissaient celle des « vrais » déportés.
C’est dans le sillage des luttes féministes que sont nés les diverses manifestations et mouvements homos. C’est en se montrant au grand jour que beaucoup de gens ont enfin commencé à nous voir, sans mépris, avec bienveillance. Malgré l’apparence des récents tapages, les « gay friendly » sont plus nombreux, et le seront de plus en plus (avec les générations montantes). Les marches dites « des fiertés » nous offrent l’occasion de nous réunir, fraternellement, pour aller de l’avant. Que chacun en profite !
Tourjours un plaisir de voir qu'on fait circuler des extraits de mon petit essai sur la persécution des homosexuels sous le Troisième reich. Le texte intégral est disponible en français, anglais et espagnol sur le site « Triangles Roses » :
http://triangles-roses-photos.blogspot.com/2009/08/de-leldorado-au-troisieme-reich.html
Et je me fais un plaisir de mettre un lien vers ce beau travail.
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