Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


lundi 31 août 2015

L'harmonium

C'est à la boulangerie, où l'on m'avait envoyé chercher un "restaurant", que j'ai vu Rémi pour la première fois.
On n'était pas dimanche, mais il a acheté quatre croissants, ce qui m'impressionna fort, et je me dis que c'était un "riche", de ceux que, chez nous, on appelait "gros richards".
Peu de temps après, je sus que je l'impressionnais tout autant, et qu'au bourg nous inspirions le respect : nous étions la famille du garde-mobile.
J'avais obtenu l'autorisation d'aller, quand je le voulais, jouer de l'harmonium dans la petite église où je répétais inlassablement la même Invention de Bach, la seule pièce de mon répertoire qui sonnât agréablement sur cet instrument.
Le dimanche, en contrepartie, je participais à la messe et accompagnais les cantiques. Je m'amusais intérieurement, sans plus de respect pour le caractère sacré de la cérémonie, des voix aigrelettes et chevrotantes des vieilles qui tentaient de faire parvenir jusqu'au ciel leurs naïves incantations : "Tu es mon berger, ô Seigneur", "Chez nous, soyez reine", ou "Terre entière, chante ta joie au Seigneur".
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Le soir, "à la fraîche" devant la maison, quand, armés d'un gros caillou, on ouvrait la coque des amandes sur la table de pierre, je les imitais, provoquant les rires de la grand-mère qui, elle, avait gardé une voix de jouvencelle sans aspérités qui résonnait dans la maison dès le petit matin, quand elle brossait sa longue chevelure grise, reprenant les bluettes à succès de la radio.
Un jour que, dans l'église habituellement déserte à cette heure, je labourais le clavier de mes doigts frustrés de n'avoir pas à parcourir un vrai piano, j'eus conscience subitement que je n'étais pas seul. Je me retournai et vis Rémi remonter l'allée jusqu'à l'autel sans s'être signé, sans la génuflexion de rigueur en ces endroits.
Sa voix  puissante, un peu rauque, de presque adolescent, résonna sans la précaution d'usage en pareil lieu :
- Hé, tu sais jouer Même si tu revenais ? 

Silvano Mangana - Gay Cultes 2015

En plus : 
 


J'aime particulièrement cette version de la Petite Messe solennelle de Gioachino Rossini, au plus près de l'original, le terme "petite" n'ayant pas été choisi au hasard par le compositeur selon moi.
On est très éloigné de la majestueuse (pompeuse ?) version de Chailly que vous trouverez aisément si le cœur vous en dit.
Et puis, selon la partition originale, on entend ici... un harmonium.




Référence : 
Petite Messe solennelle de G. Rossini
RIAS-Kammerchor
Marcus Creed, direction.
Harmonia Mundi
901724

15 commentaires:

Hauts Maux a dit…

Belle écriture , beaux souvenirs, en effet je m'en souviens de ces chants ...
merci pour ce partage

Roland a dit…

Une ode à la rentrée...

joseph a dit…

ah l'harmonium, que de compositions - je n'ai pas comme vous su jouer autre chose que mes airs et encore jamais pareils- sur ce vieil instrument qui trônait au fond de la classe de ma maman, institutrice, chef d'école , concierge, le tout à la fois, en ce temps de la classe unique regroupant jusqu'à huit années primaires , et dont le batîment accueillait toute la famille de l'enseignant ! et ce soufflet un peu troué, et ce pédalier pas bien huilé qui demandait une certaine force à nos jambes à peine assez longues pour les atteindre!

Hersaint a dit…

Hersaint

Je me revois en aube blanche chantant le Misere d Allegri avec ma voix d ange couvé du regard par les bons pères du Collège...Nostalgie quand tu nous tient.

Celeos a dit…

Très beau texte, Silvano.

Silvano a dit…

Tant que les bons pères se contentent de "couver du regard"...

Silvano a dit…

Merci Celeos.

Anonyme a dit…

Merci pour ce très beau texte, même si je n'ai pas connu les harmoniums. J'en réentendu par contre il y a peu un passage de la petite messe de Rossini sur Radio Classique, ce qui m'a donné envie de retrouver le disque, quelque part, dans le fatras de mon déménagement.
Amicalement,
Jérôme

Jay a dit…

Merci, Silvano, pour ces moments de pure élévation, musicaux compris !

Maxence 25 a dit…

Un texte bien émouvant, merci.

Pierre a dit…

Voici un morceau aussi doux qu'un croissant au beurre. Je suis partagé entre le désir (gourmand) de suite, et celui plus gourmet de rester, non pas sur ma faim, mais sur cet arôme, exotique autant que familier, si savoureux à en garder la longueur en bouche. La texture est moelleuse, avec du croquant au final, ce qui excite mêmement qu'il rassasie... l'appétit.

Maxime a dit…

Je préfère également cette version, plus gracieuse et enlevée que celle de Chailly.
Plus proche aussi de celle choisie par Pedro Almodovar/Alberto Iglesias pour la BO de "La mauvaise éducation". Je pense que ça ne vous avait pas échappé !

Silvano a dit…

Ah, Maxime, j'avais oublié ce qui n'est certes pas un détail !
Et oui, cette version est dans la même veine.

Jeromo (avec quelque retard): Radio Classique ne passe que des... passages (une trouille bleue que l'auditeur ne zappe les mesures inconnues de lui).
Cela dit, j'avoue qu'il m'arrive de l'écouter, à faible niveau sonore, quand je rédige mes élucubrations.

chrisbard a dit…

La phrase du début est très intéressante, "où l'on m'avait envoyé chercher un "restaurant"", mais il faudrait expliquer ce mot, "restaurant", vieux Français. Avant que ne devienne le mot et les phrases "aller au restaurant, manger au restaurant", ayant perdu leur sens inné, on disait d'un plat rassasiant, qu'il était "restaurant", venant du verbe "restaurer" et l'on pouvait entendre couramment ou lire, "nous allâmes dans cette auberge, où nous furent servi de nombreux plats fort restaurant. Voilou...

Silvano a dit…

@chrisbard : dans un texte qui se voulait littéraire, j'ai pensé que les guillemets suffisaient, qu'il n'était pas nécessaire d'expliquer, de surligner, que le lecteur curieux (s'il en était), serait intrigué par le terme entre guillemets et ferait, le cas échéant, l'effort d'une recherche.