Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


lundi 26 mars 2018

Printâneries

... ce que je considère comme étant les événements cruciaux...

 

Toute première fois


Call me by your name se situe au début des années 80.
Pour sa première fois avec Oliver, dont la perspective l'a hanté toute la journée - et sans doute avant -, Elio, bien qu'éperdu de désir, fait montre d'une maladresse touchante, celle d'un puceau dont une tentative récente avec une fille s'est soldée par un fiasco. Comment parvenir enfin à ce partage des sens, à cet accomplissement qu'il appelle ardemment de ses vœux ? En cela, le jeu des deux acteurs est parfait, qui se cherchent du regard, tentent un premier contact sans succès, et se trouveront finalement pour mettre un terme à cette insupportable tension qui ne peut s'apaiser que par le mariage des corps en ébullition.

Lors de l'écriture de Tombe, Victor !, je m'étais longuement interrogé sur la manière de décrire les premiers épanchements charnels de mes personnages principaux. J'ai puisé dans mes propres souvenirs d'adolescence, résolu finalement à dépeindre ce que je considère comme étant les événements cruciaux d'une vie sans faire usage de faux-semblants.
Il y a donc des scènes de sexe qui parsèment mon récit, dont personne, à ce jour, ne m'a dit qu'elles sont "pornographiques".
À chacun sa pornographie, me disais-je pendant la lecture de Lisières du corps de Mathieu Riboulet, décédé il y a peu, dont chaque page, chaque ligne, exsudent le sexe brut, faisant passer les étreintes de Victor et de Paul pour des jeux de cour de récré, sans que cela soit jamais vulgaire, voire jamais "pornographique", mais d'un grand écrivain.



Entre parenthèses, quoique...

 

Photo Gonzalo Bénard
(Je me demandais comment se passent les "premières fois" de nos jours, où, dès le plus jeune âge, on a accès, gratuitement, à la pornographie sans limite via Internet.
Doit-on craindre que les jeunes ne se plaisent qu'à reproduire ce qu'ils ont vu sur leurs écrans, pensant que c'est la seule manière de faire l'amour ?
Oh, ce serait tellement triste, pathétique.
En attendant de vous livrer ce que m'en dit mon juvénile entourage, dites-moi si, selon vous, ces craintes sont légitimes.)

Fin d'âneries (pour l'instant)


D'abord dire que la dernière manifestation de la pornographie à laquelle j'ai pu assister fut celle d'un ancien président de la République l'autre soir à la téloche. Je n'en ai vu fort heureusement que les extraits réputés marquants sur un site d'informations. Fidèle à lui-même.

Enfin, et c'est mieux, célébrer encore, pour conclure aimablement, ce cher Claude-Achille Debussy qui nous a quittés le 25 mars 1918, nous laissant inconsolables, n'est-ce pas ?
Munch et le BSO : vous le valez bien si vous m'avez lu jusqu'ici.




6 commentaires:

Ludovic a dit…

Tout dépend de ce qu’on désigne par la première fois. Pour un garçon qui se sait ou se pressent gay, je pense qu’il y a aujourd’hui comme toujours de progressives découvertes du plaisir, d’abord solitaire puis partagé, qui ne sont que des façons d’apprivoiser son propre corps dans sa sexualité physique propre et ses projections mentales. A ce stade on peut penser que l’accès à la pornographie peut donner une image dégradante et trompeuse des pratiques homosexuelles mais peut aussi avoir un effet désinhibiteur alors qu’encore naguère, l’opprobre jeté sur l’homosexualité condamnait souvent les jeunes garçons à se mépriser et à avoir a priori du dégoût pour des actes partagés avec un partenaire.
Elio et Oliver vivent tout autre chose : le moment où deux jeunes hommes ne peuvent plus différer d’assumer dans la fusion des corps l’attirance sentimentale, morale, intellectuelle et bien sûr physique dont ils ont mesuré la gravité et la réciprocité. Eux vont vraiment faire l’amour pour la première fois car il s’agit bien d’amour, du vertige de l’amour, de l’ivresse de l’amour. Ce qui signifie aussi qu’il y aura peut-être – on le leur souhaite puisque la vie les sépare – d’autres premières fois s’ils rencontrent d’autres amours. Pour eux, on peut penser que cette première fois restera un moment unique dans leurs vies mais pas forcément l’unique première fois où ils se donneront à un autre amour.
Du point de vue d’un écrivain, je suppose que rendre compte de ces deux expériences doit être très différent. Raconter les premiers pas dans la découverte du plaisir partagé pour un jeune garçon qui se cherche encore peut s’accommoder de ce mélange de réalisme et d’humour que vous maîtrisez si bien dans votre livre. C’est la distanciation, le ton, plus que le vocabulaire qui évitent la pornographie. Trouver le ton juste, comme Guadagnino et Ivory le trouvent dans leur film, pour écrire l’amour physique entre deux hommes qui s’aiment demande certainement un savant dosage de lyrisme et de réalisme, un goût parfait dans l’usage éventuel de métaphores, en un mot un talent encore supérieur à celui que requiert la description d’une scène d’amour hétérosexuelle.
James Baldwin a de très beaux passages de ce type dans Harlem Quartet. Mais je pense à ces lignes de Genet dans Miracle de la Rose « …plus tard, quand par une nuit profonde, j’enfonçai sa verge en moi, il faillit, et moi, tourner de l’œil de reconnaissance et d’amour. » Il faudrait citer toute la page qui, avec des mots crus, les mots mêmes de la pornographie, s’en éloigne pour atteindre une véritable dimension poétique.

Silvano a dit…

Ludovic : nos points de vue ne demandent qu'à se rapprocher. Je peux être d'accord sur le fait que la pornographie peut avoir un effet désinhibant ("Je ne ne suis pas le seul à avoir envie de ça"); à dose mesurée toutefois. Pour tout ce qui suit, j'approuve sans réserve. Des commentaires de cette qualité sont une récompense inespérée pour moi.

Hersaint a dit…

Les corps jeunes ,beaux,harmonieux,souriant,joyeux,dans leur virilité
rafraîchissante sous une caméra bienveillante, ne feront jamais de la
pornographie...c est le cruel et insolent privilege de cet âge !

Silvano a dit…

Hersaint, c'est un point de vue. Que je ne partage évidemment pas.

Alex H a dit…

Un vrai billet comme nous les aimons ici, et le très beaucommentaire de Ludovic. Merci à vous deux.

Ludovic a dit…

Sous des caméra bienveillantes, Hersaint, s'il en existe ! Surement pas dans le porno ! Même si marginalement,et sous toutes réserves, elle peut avoir des effets bénéfiques, l'industrie du cinéma porno, qui est infiniment plus puissante que l'art cinématographique que nous défendons, sait très bien salir les anges (comme elle salit tous les corps, tous âges et sexes confonds). La question est donc de savoir jusqu'où elle nous salit nous-mêmes quand nous subissons volontairement sa fascination avec l'illusion de bonne conscience que nous procure le fait que ce soient des anges.