Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


mercredi 9 octobre 2019

Automneries 2019, numéro trois

L'imprécateur et le philosophe

Un ami très proche fut contraint, pour des raisons professionnelles, d'assister à une partie de cette convention de la droite très à droite qui se déroulait l'autre samedi. Trentenaire rompu aux dégueulis de toutes sortes déversés par les différents réseaux, il me disait avoir abordé l'épreuve en s'estimant vacciné contre ce genre de saloperies. 
Il assista bien malgré lui au discours de l'imprécateur dont la simple évocation suffit depuis quelques lustres déjà, à donner des haut-le-cœur à tout être vivant doté d'un minimum d'humanité. Le jeune homme ne pensait pas être confronté un jour à cette haine et à cette bêtise s'exprimant là en chair, en os et en voix sous les applaudissements d'une foule en dévotions. Pas un instant il n'aurait pensé que des larmes de chagrin et de dégoût mêlées lui viendraient lorsqu'il fit le récit de ce qu'il avait vu et entendu ce samedi-là.
Raphaël Enthoven : son courage mérite le respect. 
( Francesca Mantovani/Gallimard Via Leemage)
Il y eut pour seul pansement à la douleur les mots d'un philosophe invité qui avait résisté aux adjurations de ses proches et avait décidé de venir pour répondre à ces gens et mettre en pièces leurs malfaisantes théories. Il y eut bien sûr des huées, mais aussi de discrets petits signes d'apaisement sur le ton "chuuuut, vous comprenez, après ILS diront qu'on est intolérants, pas démocrates...". L'homme, en tout cas, mérite le respect pour son courage.
Mon avis est très net, contrairement aux trouillards patentés de l'atermoiement : il ne faut jamais inviter le genre de personnage évoqué plus haut sur le moindre plateau. Pour paraphraser Robespierre, il ne faut pas donner cette liberté démocratique aux ennemis de la démocratie.

Voilà, nous pouvons passer à des choses plus frivoles :

Jours de pluie à Paris


Il suffit que j'écrive ce titre pour qu'une éclaircie, faiblarde, certes, vienne apporter un surcroît d'énergie à mes fleurs qui ont souffert ces derniers jours des bourrasques et du coup de froid automnal qui fait râler tous ces gens qui pensent que l'heure d'été c'est vachement mieux parce qu'on peut prendre le spritz du soir quand il fait jour encore, et toutes ces choses que l'on peut regrouper sous le terme générique d'égoïsme.
Des adolescentes me sachant omniscient cinématographiquement et musicalement (que je m'aime, ce matin !) m'ont demandé, la voix humide, le titre de la chanson jouée et fredonnée par leur nouvelle coqueluche (et la nôtre !) Timothée Chalamet dans le dernier (non !?) film de Woody Allen.
Il s'agit d'un "standard" intitulé Everything happens to me, dont existe une multitude d'interprétations de tous styles, dont une version chantée par Sinatra, une interprétation pianistique de Thelonious Monk et deux vocalement caressantes de Chet Baker. Je vous livre l'une d'elles ; libre à vous d'aller à la rencontre de l'autre sur YouTube.




Des livres et autres nourritures, pas toujours spirituelles


Apocalyptique, cauchemardesque, satirique, le roman de René Barjavel Ravage, paru en 1943, livre une vision on ne peut plus pessimiste de la France de ... 2052.
Culte du chef et apologie du retour à la terre sous la férule de ce dernier après une terrible catastrophe : on comprend pourquoi le torchon collaborationniste Je suis partout publia ce roman sous forme de feuilleton.
Le roman de Barjavel (qui fut accusé puis bénéficia du doute à la libération comme beaucoup d'autres) n'en reste pas moins le modèle d'un style nouveau pour l'époque, la science-fiction à la française.

L'auteur s'y révèle visionnaire et dépeint une société qui pourrait bien être la nôtre dans un avenir proche si nous ne mettons un terme à nos errements, si nous ne nous préparons pas à la fin du capitalisme, si nous ne partageons pas les richesses, si nous ne cessons pas de bouffer la planète par tous les bouts. Ravage est une oeuvre inquiétante, voire terrifiante au point que j'ai demandé à l'ami qui me l'a prêté ce que j'avais fait pour qu'il m'en veuille autant ! L'auteur, cependant, nonobstant un réel talent de narrateur, ne mérite pas qu'on le glorifie, lui qui, après l'exécution de Christian Ranucci (le fameux fait-divers sanglant dit du "pull-over rouge") demandait, dans sa chronique du Journal du dimanche que l'on n'eût la moindre pitié pour les "larves de la société" que sont les assassins et se réjouissait, ce-écrivant, de la mort d'un homme dont on ne sut jamais s'il fut réellement le meurtrier de la petite Dolorès.

Le même ami auquel je dois quelques moments de cauchemars a allégé ma peine, m'offrant Les villes invisibles d'Italo Calvino.
Je le sens mieux.
Dans tous les sens du verbe ; car j'ai pour habitude de m'imprégner de l'odeur des livres avant  de les lire.
Je suis le seul ?

Papilles


J'ai quelques consolations, dont, toujours à portée de main, Si le grain ne meurt d'André Gide qui savait qu'une brandade de morue ne peut être que "floconneuse" et savait les fricandeaux et croûtillons au lard, que les gens qui parlent "pointu" nomment "croustillons". Les mêmes, en exagérant à peine,  nomment "grattons" ce que ma pauvre bonne brave femme de mère appelait "crotillons", mets aussi sauvage que cévenol dont elle se délectait sans prendre le moindre intérêt à mes grimaces de dégoût.
Aujourd'hui, je me damnerais (cela dit, c'est fait depuis longtemps) pour en déguster.
La littérature et la gastronomie ont toujours fait bon ménage, les grands auteurs ayant toujours su nous faire saliver à la lecture des descriptions des mets les plus raffinés ou, inversement rustiques et roboratifs de notre cuisine nationale.
Sans prétendre au plus haut niveau, je pense, rédigeant ce qui précède, à un passage de mon propre roman où Victor et Paul dégustent sans manières un pan-bagnat pour lequel on n'a pas lésiné sur l'huile d'olive.
Je vous assure que, l'écrivant, une envie mortelle du précieux sandeouiche m'est venue, me faisant saliver comme un écureuil devant un gland une noisette.

Pavillons


Je poursuis l'écoute de l'invraisemblable pile de disques microsillons offerts par un fort aimable voisin (voir chronique d'automne précédente), dont, à ce moment très précis*, le premier Concerto de Beethoven par le jeune (c'est vieux !) Cristof Eschenbach avec le Philharmonique de Berlin dirigé par Karajan.
Il y a de vraies pépites comme l'oeuvre pour piano de Brahms par Julius Katchen,un pressage de 1964 chez Decca dont ne subsiste hélas que le premier volume.
On trouve encore le coffret de disques vinyliques à un prix pour moi prohibitif de quelques 260 euros. Pour dix fois moins, j'ai fait l'acquisition du coffret en 6 CD.

J'ai déniché dans mon quartier une officine spécialisée dans la réparation, la restauration et la vente de matériel haute-fidélité anciens : amplis à lampes de prestige, sources diverses, dont des platines historiques comme la Thorens TD 124, un pur joyau d'une solidité à toute épreuve doublée d'une redoutable précision. Après le cadeau du ciel reçu il y a peu, j'ai apporté là-bas mon précieux tourne-disques, un Thorens également, de bonne gamme (TD 160 pour les connaisseurs) dont le technicien, aimable, courtois, et joli, de plus, a affiné les réglages pour tirer le meilleur parti auditif de mes merveilles discographiques.

J'exulte.



* "à ce moment très précis" est une citation, un extrait d'un chef d'oeuvre impérissable de la chanson française. Si vous trouvez lequel, sortez !

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Ravage de Barjavel est un roman remarquable et vous avez raison de l'écrire novateur dans une certaine mesure car il n'a pas inventé la science-fiction française qui existait, sans remonter à Jules Verne dans l'entre deux guerres voir Maurice renard par exemple. Mais avec son retour à la terre et son culte du patriarche est un des romans les plus vichyste que je connaisse c'est à dire illustrant bien par la fiction certaines des idées prônées par Pétain, ce qui n'empêche pas d'être un très grand livre comme le Malevil de Robert Merle pas très éloigné des thèses sous tendant Ravage. Pour faire la balance idéologique on peut lire les romans et nouvelles apocalyptiques de Jean-Pierre Andrevon également très passionnantes. Calvino c'est magnifique mais c'est autre chose.

Jean a dit…

Merci pour ce beau billet.Pour mon vieux matériel à la peine, je pratique une petite boutique sise dans une petite rue derrière le
théâtre de l'Odéon.

Arrow a dit…

Waouhh ! Il y a du texte aujourd'hui. Pas qu'il n'y en ai pas d'habitude mais là, il y a de quoi faire. J'ai un peu lu en diagonal, je reprendrai tranquille ce soir au coin du feu ;) . Un peu futile, je me suis bien marré sur le coup du gland barré et remplacé par une noisette et j'ai lu la totalité de l'article sur Barjavel ( je suis très sf et fantasy). Il se trouve que j'ai lu "ravage" et oui ! J'ai adoré, un incontournable comme "1984" . Je conseille du même auteur "le grand secret" et surtout, surtout, à lire absolument "la nuit des temps" l'histoire d'un amour impossible et intemporel, une petite merveille.
Bonne fin de journée à vous.

Jules D. a dit…

Quel plaisir de vous lire après un amphi soporifique. Je crois que comme votre ami, je serais sorti en sanglots de cette réunion de sales types (et femme !).
Je n'ai pas tellement aimé le Woody Allen (Timothée mis à part), mais cette chanson est restée dans ma tête une éternité. Merci de l'avoir remise ! Enfin, l'autre jour vous avez mis une pièce de Brahms que j'écoute tous les jours. Je vais me faire offrir le coffret dont vous parlez pour Noël. Merci pour vos articles passionnants.
Jules

Anonyme a dit…

Pour transiter cavalièrement de votre premier à votre avant-denier sujet : espérons que l'affreux Z. meure, mais ne porte pas trop de fruits...
Yama Zek

Silvano a dit…

Merci à tous pour vos commentaires éclairés.
Jules D. : "Merci de l'avoir remise", je sens comme une ironie dans cette gratitude. Heureux d'avoir transmis mon amour pour Brahms.
Arrow : pour tout dire, je n'aime guère la science-fiction. En revanche, 1984 est un chef-d'oeuvre total, et l'un de mes films favoris est le "Brazil" de Terry Gilliam.
Jean : j'achète parfois des disques à la Dame Blanche, rue de la Montagne Ste Geneviève.

Anonyme a dit…

Claude François, "ça s'en-va et ça revient"...
Mais aussi (pour ma part, je dirai, surtout), un texte de Dino Buzzati, belle réflexion sur la création littéraire...
Lorenzo

Silvano a dit…

Bravo, Lorenzo, un exégète ! Le vrai titre étant "Chanson populaire" ; mais on a beau être un encyclopédie vivante, hein... (!)
La référence à Buzzati est également bien venue.
;)

Anonyme a dit…

J'ai bien aimé ce billet avec de nombreux sujets bien présentés.
Du coup je pars à la pêche pour rechercher les 2 premiers.
Y aura-t-il des billets comme ça à chaque saison ?
Vous devriez faire comme Bernard A (c’est lui qui m’a fait connaitre votre Blog),
faire des renvois aux précédents.

Jean-Paul

Silvano a dit…

Jean-Paul,merci. Dans les libellés, au bas du billet, il y a "Automneries", qui renvoie à tous ceux de la série, et même des années précédentes.
Dans la liste de libellés de la colonne de droite, vous trouverez aussi "Hivernales" ou "Printâneries", par exemple.