Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


mercredi 4 mars 2020

Divers faits de fin d'hiver (quoique...)

Pilori ou lapidation* ?


Jean Dujardin et Louis Garrel dans J'accuse de Roman Polanski

J'avais vu J'accuse au cinéma.
C'est un film très académique dont la réalisation ne méritait certes pas un César, une sorte de téléfilm de luxe servi par d'excellents comédiens, Louis Garrel en tête, un formidable Gadebois, et Jean Dujardin, lequel, habituellement, m'est plutôt indifférent.
Bref, c'est mieux ou presque (j'ai un doute, c'est à revoir) que le téléfilm réalisé en 1995 par Yves Boisset avec un excellentissime Thierry Frémont, qu'on pourra comparer au Polanski "césarisé".
Le cinéaste qui nous effraya autrefois avec son Bébé de Rose Marie, nous réjouit avec son Bal des vampires, nous émut avec un Pianiste inoubliable et moult autres films d'indéniable envergure a rempli son contrat avec professionnalisme, faisant oeuvre utile en cette période de résurgence de l'antisémitisme et, plus généralement, de toutes les haines. 
L'écrivain Daniel Defoe mis au pilori à Londres en 1703 | Leemage - AFP
On sait que le joli Jour de pluie à New York, dernier opus de Woody Allen fut ostracisé par les nouvelles ligues qui régentent aujourd'hui la vie culturelle de notre douce France.
Le déchaînement qu'entraînèrent les douze "nominations" de J'accuse aux César, les manifestations aux abords de la salle Pleyel, les tags et autres dégradations qui les accompagnèrent, les insultes vociférées, les "blagues" de Florence Foresti sur la taille de celui-dont-il-ne-faut-pas-dire-le-nom, blagues paradoxalement douteuses après une désopilante tirade sur cet "humoristiquement correct" qui a désormais force de loi, l'embarras de ce pauvre Darroussin, la sortie d'Adèle Haenel, le désarroi final de Sandrine Kiberlain qui fit justement observer - avant, après, pendant ? Je ne sais plus, tout s'emballe ! - que le film du paria soulève un problème pas du tout résolu au vingt et unième siècle, celui de la haine anti-juifs, qui devrait interpeller les gays, les noirs, les arabes, les asiatiques, et les autres.
Quand Lambert Wilson, qui n'est pas un petit acteur à la con, dénonce le lynchage de Polanski, digne des pires sanctions "populaires" de l'Histoire, il a bien sûr mon assentiment : le retour du pilori et de la lapidation, sous toutes leurs formes, en résurgence de la loi du talion, n'ont pas de quoi enchanter les temps nouveaux.
Enfin, peut-être serait-il bon de se souvenir des événements que relate le film de Polanski.


* Omission : la flagellation publique, c'est bien aussi.

 

Sortez vos morts !

Un humoriste que j'entraîne ("coache" pour les anglophones) pianistiquement, m'envoya récemment un message ainsi libellé :
- T'étais pas en Italie, toi ?
Quand on sait combien les artistes sont hypocondriaques (normal : "vais-je pouvoir jouer ce soir ?"), sous la question perçait une inquiétude que je crus calmée par ma réponse : - Oui, mais à Rome.
Las, l'artiste en question "oublia" son rendez-vous, me mettant en quarantaine de son propre chef.
Cet humoriste est notoirement doté d'une grande intelligence et d'une culture certaines , ce qui ne laisse pas de m'inquiéter : je me dis que si des gens comme lui sont saisis tout à coup d'une peur irrationnelle, on ne peut être étonné des débordements hystériques et violents dont furent victimes, tout récemment, des touristes désireux de débarquer en terre martiniquaise ou à La Réunion.
Je fais quant à moi confiance aux organes officiels, évitant comme la peste (!) les réseaux dits sociaux et les médias populistes qui se frottent les mains (re  !) dans la perspective d'affoler les publics les plus crédules, à l'instar des politiques spécialistes du genre, comme Le Pen (entreprise familiale), Dupont-Aignan et autres humanistes de haute volée.
La rumeur étant devenue, en temps ordinaire, chose courante, l'arrivée de la peste du virus en nos contrées va en alimenter des plus effrayantes.
En attendant que ça passe ou de passer de vie à trépas (après quelques bisous d'anges trop appuyés tant qu'à faire), faisons provision de beauté.

(Illustration : Le triomphe de la mort, par Pieter Brueghel l'Ancien, 1562 | Museo del Prado)

Et Bach dans tout ça ?


Hannes Minnaar, pianiste :  J. S. Bach / Ferruccio Busoni: Nun komm der Heiden Heiland BWV 659


Oh oui, des bisous !

10 commentaires:

Hadrien a dit…

Bravo Silvano pour cet excellent billet! "Sortez vos morts" reflète parfaitement mon opinion sur les terreurs "induites"... Sans oublier JS Bach et le petit minou trop mimi en fin de billet ;-)

Anonyme a dit…

Merci, Silvano pour ces mots apaisants pour lesquels vous avez appelé à l'aide "la musique de dieu". La vie allant m'a appris que la haine et la peur appelaient, en ce monde, leur reflet et que l'Amour et la Beauté pouvaient en être le miroir.
Je souhaite à chacun.e la paix qui les aidera à choisir.
Marie

Ludovic a dit…

J'apprécie toujours vos chroniques pleines de sagesse, de modération et de cette culture humaniste qui manque certainement à beaucoup de nos nouveaux vociférateurs publics ou privés. Bien entendu, j'ai désinfecté mon écran à l'alcool après mon passage quotidien dans ce cher GC, en raison de vos pérégrinations italiennes. Amitiés cher Silvano.

Xersex a dit…

Oggi è il compleanno del Prete Rosso: Don Antonio Lucio Vivaldi!

Silvano a dit…

Bon anniversaire, Antonio !!!!!

Antoine a dit…

Excellent billet.
Marie, Hadrien, Ludovic, Silvano, et moi : les affinités électives.

Alex H. a dit…

D'accord avec vous en totalité. Le Brueghel est magnifiquement effrayant.

Pippo a dit…

Je suis marri de découvrir que Marie pratique la langue inclusive.
Je lui soumets une réflexion.
Ceux qui soutiennent cette langue sont en général des personnes progressistes. Fort bien.
Dans leur élan, elles disent volontiers que le français ne se réduit pas à son écriture et valorisent l'oralité qui ne retranche pas les illettrés de la société. Fort bien également.
Mais comment utiliser la langue inclusive quand nous parlons ? Faut-il multiplier les et/ou ?

Silvano a dit…

Ce(tte) chacun.e ne me gêne pas, on est libres. D'autant que les commentaires de cette qualité me sont très précieux. Car, comme l'écrit Antoine, les affinités électives, n'est-ce-pas ?!

Anonyme a dit…

Voila un billet qui fait du bien merci.
Bon choix musical pour le petit déjeuné,
Pour ceux qui n’auraient pas leur dose.
Je conseille cette excellente émission: Bach au piano, ma discothèque idéale
Pour avoir le détail diffusé : lien ici
Bonne journée
Jean-Paul